** Comme il fallait s’y attendre, la réaction de nos gouvernants face au chaos sur les marchés financiers est à la hauteur des évènements historiques qui figureront d’ici peu dans les livres d’histoire aux côtés de la chute du Mur de Berlin ou du 11 septembre 2001. Telles sont en tout cas les comparaisons les plus souvent reprises par les médias, subitement à l’unisson pour se disputer des références qu’ils auraient rejetées 15 jours auparavant.
Pour enrayer une panique boursière, décongeler le marché interbancaire, restaurer la confiance des investisseurs… il fallait avoir ce genre de courage, cette audace intellectuelle qui caractérise les vrais leaders… Oui, il fallait oser lancer en pleine tourmente de vibrants "appels au calme" puis réclamer un "retour à la confiance" (qui va signer le décret ?).
Il fallait oser rappeler — et G.W. Bush s’y est employé avec force conviction ce mardi — que le plan Paulson allait permettre d’ici six ou huit semaines d’apurer le bilan de banques… qui auront d’ici là tout le temps de faire faillite et d’entraîner dans leur chute une foultitude d’établissements de crédit déjà au bord du gouffre, non seulement en Europe, mais également en Corée, en Australie… ou en Islande.
Deux des trois plus grandes banques de l’île aux geysers viennent d’être nationalisées… et la Russie accorde dans l’urgence une ligne de crédit de quatre milliards de dollars à la Banque centrale de Reykjavik pour garantir la valeur de la couronne… laquelle s’effondrait de 40% face à l’euro mardi matin.
A quand un syndrome islandais frappant le dollar ou la livre sterling ?
** Nous ne dénoncerons jamais avec assez de force la mauvaise volonté des marchés qui font la fine bouche face à la mobilisation générale des égoïsmes — à commencer par Wall Street !
Le Dow Jones s’est effondré hier de 500 points, passant sous les 9 450 points ; le S&P 500 (-5,95%) a basculé sous le palier crucial des 1 000 points, tandis que le Nasdaq perdait 6% en clôture mardi soir.
Tout le monde s’accorde à reconnaître qu’il faut "faire quelque chose" (cela vaut mieux que de rester les bras croisés)… et chacun s’organise dans son coin afin de ne pas commettre les même erreurs que son voisin.
Car "l’erreur… c’est les autres", pour paraphraser l’irremplaçable Jean-Paul Sartre, lequel saurait déterminer sans peine qui, dans l’instantanéité d’un surgissement du réel économique, débarrassé de ses mensonges assumés et de ses postulats erronés, a "les mains sales" et qui a "la nausée".
L’existence du marché — son "être" — n’a jamais été aussi proche du "néant", alors que sa capacité ontologique à fixer la valeur des choses s’évanouit devant la masse des choses sans valeurs qu’il a lui-même engendrées.
Le plan Paulson n’est pas sans valeur ; il devrait coûter 700 milliards de dollars au contribuable. Cependant, sa principale faiblesse est d’être sans effet immédiat sur la circulation des capitaux entre des intermédiaires qui ne se font plus confiance.
** Confieriez-vous par exemple votre trésorerie à l’Allemand Hypo Real, même après l’injection de 50 milliards d’euros ce week-end sous l’impulsion d’Angela Merkel ? Après tout, sa principale filiale est implantée en Irlande — un pays menacé de défaut de paiement sur sa propre signature et qui est en situation technique de banqueroute… Cela n’arrivera pas, certes, mais un sauvetage coûterait très cher aux autres membres de l’Union européenne, si l’on se fie à l’exemple de l’Islande évoqué plus haut.
Puisqu’il n’existe aucun risque de faillite — promis-juré — pour les banques de dépôt implantées sur le Vieux Continent, les ministres des Finances de l’Union européenne ont tout naturellement annoncé le doublement (de 20 000 à 50 000 euros) de la garantie des dépôts bancaires des particuliers… en cas de faillite.
Tiens, il y deux fois le mot faillite dans la même phrase alors que justement il ne saurait en être question… Cela signifie que toute mesure de sauvegarde est sans objet… mais puisqu’il s’agit de "rassurer", certains pays (l’Espagne, la Belgique, la Grèce et les Pays-Bas) vont plus loin, portant leur garantie des dépôts à 100 000 euros.
Oui, tout sera fait pour garantir la stabilité du système… mais le système n’en fait qu’à sa tête, bon sang de bois !
** Et la confiance… elle pointe désespérément aux abonnés absents, comme en témoigne l’effondrement de 26% de Bank of America au lendemain de l’annonce d’une augmentation de capital de 10 milliards de dollars. Et parlons aussi de Merill Lynch (-25,6%), de Morgan Stanley (-25%), de Met Life (-17%)… sans oublier les deux plus grandes banques britanniques RBOS et HBOS, qui ont dévissé de 40%, ainsi que Lloyds (-13%… tout comme Citigroup) et Barclays (-11,6%).
Des rumeurs d’intervention imminente de la Bank of England circulent mais le délestage massif se poursuit outre-Manche… Pendant ce temps, la City se prépare à devenir le second Salon de l’Auto (de luxe) permanent sur le sol européen ; Porsche, Ferrari, Aston Martin et Bugatti seront les vedettes de la grande braderie d’automne sur la rive nord de la Tamise. Paris n’a qu’à bien se tenir avec sa profusion de petits modèles économes et sans sellerie en cuir pleine fleur sur châssis en carbone, assemblés pour pas cher dans les ex-pays de l’Est.
Notons pour l’anecdote qu’avec une chute de 21% mardi soir, le constructeur Ford a vu son titre passer sous le seuil historique des 3 $ sur le NYSE… Un géant industriel ravalé au rang de nain boursier, avec une capitalisation équivalente à un fabriquant de matériel agricole régional ! Pire : Ford flirte avec la zone des penny stocks.
Les véhicules dotés d’un moteur à explosion ne font plus recette aux Etats-Unis. Quant à ceux qui extraient ou fournissent du carburant (classique ou de substitution), ils sont en train d’exploser littéralement avec des replis de 25% à 40% en l’espace d’une semaine, et de 50% en 10 jours ; la perte sectorielle dépassait les 10% mardi soir.
** Au lendemain de la capitulation des valeurs bancaires, technologiques et parapétrolières à Wall Street (qui plonge de quasiment 6%), l’évocation du comportement du CAC 40 lundi est d’ordre purement anecdotique.
Les phases de rebond ont constamment paru très fragiles, et la séance s’est achevée sur un gain symbolique de 0,55% — à comparer avec un score de -9,04% la veille. Une clôture bien éloignée des +3,5% affichés peu après l’ouverture ou des +2,5% repris peu après l’ouverture des marchés américains à 15h30.
Le seuil des 3 800 points n’aura été testé qu’à deux brèves reprises. Les vendeurs ont vite profité de l’occasion pour reprendre la main. S’ils avaient eu l’intention de prendre du repos ce mercredi, c’est raté : Ben Bernanke — pour résumer son discours de mardi soir — confirme point par point les pires anticipations macro-économiques décrites dans nos rubriques depuis des mois. Il a tout particulièrement insisté sur les risques de ralentissement sévère de l’activité économique et sur l’impossibilité de formuler des prévisions fiables concernant le prix des matières premières.
** Le patron de la Fed sous-entend néanmoins qu’il s’attend à une baisse… Un message reçu cinq sur cinq par les gérants de hedge funds qui s’enfuient, dans une panique indescriptible, du marché des commodities depuis une semaine : le pétrole est retombé mardi sous les 90 $, le cuivre et l’aluminium dévissent de 5%.
Contrairement à la BCE qui plaide officiellement l’impuissance (compte tenu de ses moyens d’intervention limités), la Fed va allouer aux enchères 450 milliards de dollars, en décembre, à travers trois opérations représentant 150 milliards de dollars chacun. C’est à comparer aux 300 milliards prévus en novembre et à un montant égal en octobre… mais ces sommes sont susceptibles d’être augmentées en fonction du niveau de stress de Wall Street.
De surcroît, la banque centrale américaine va racheter les billets de trésorerie "non garantis" à trois mois afin d’assurer aux entreprises l’accès à davantage de liquidités. La Fed va ainsi créer un véhicule baptisé Commercial paper funding facility… une faculté qui n’était offerte qu’aux banques bénéficiant du statut de primary dealers.
N’espérez pas que la BCE s’en inspire — et nous n’avons rien à lui reprocher, puisque son statut ne l’y autorise pas : le débat est clos. Ce qui nous chagrine, mais peut-être pas autant que nos concitoyens demeurés confiants dans l’idée qu’un euro fort et une inflation maîtrisée nous protégeaient de tous les maux, c’est que J.C. Trichet reconnaisse aujourd’hui que la gravité de la crise des subprime a été sous-évaluée.
C’est un peu comme si un pompier tentant d’éteindre une voiture en flamme après qu’elle ait percuté un platane à 150 km/h estimait que vu l’épaisseur de la fumée, il lui est bien difficile d’estimer l’ampleur des dégâts… De toute façon, les garagistes (comprenez les gouvernements) dotés des meilleurs outils et des meilleures intentions, sont censés faire des miracles !
Allez, quelques coups de marteau sur la carrosserie, un pare-brise anti-reflets, une bonne couche de peinture fraîche et des plaquettes de freins au carbone… et le système bancaire aura l’air comme neuf. Sauf qu’il continue de flotter à l’intérieur du véhicule comme une forte odeur de brûlé !
Philippe Béchade,
Paris