Les investisseurs en Bourse ne se basent plus sur des faits et des résultats concrets pour faire leurs choix – désormais ne comptent plus que les espoirs et les rêves…
La Bourse est devenue – non plus un casino, mais un jeu de bingo pour des aliénés dyslexiques, disions-nous vendredi. En voici une preuve de plus, apportée par Matt Levine, de Bloomberg :
« [Le constructeur de camions électriques] Nikola a publié les résultats [d’une] enquête interne et ils sont… eh bien, cela se passe de commentaires. Le fondateur de Nikola a-t-il menti sur le fait que la société a produit un camion à zéro émissions ? Oui, disent eux-mêmes les avocats de Nikola, dans le rapport annuel de Nikola auprès de la SEC. A-t-il menti sur le fait que le camion fonctionnait ? Oui. A-t-il menti lorsqu’il a déclaré que tous les composants majeurs du camion étaient fabriqués en interne ? Oui. A-t-il menti lorsqu’il a affirmé que les camions sortaient de la chaîne de montage ? Bien sûr. Nikola a-t-elle produit une vidéo prétendant qu’on pouvait conduire le camion, alors qu’en fait il n’avançait que parce qu’il descendait une colline ? Oui, c’est là encore une vraie chose que l’entreprise a vraiment faite. »
Autrefois, note Levine, les investisseurs achetaient des entreprises en se basant sur leurs performances passées. Plus maintenant. Le jeu a changé. Les mots sont des rêves… ou des mensonges. Et les chiffres ne correspondent pas.
Les investisseurs achètent les actions d’entreprises dont ils pensent qu’elles pourraient avoir un jour un produit que les gens pourraient acheter et sur lequel ils pourraient faire des gains… si tout va bien.
Tout ça est un pari gigantesque, en d’autres termes – on parie qu’il y a toujours plus idiot que soi quelque part… aussi bête soit-on au départ.
Tesla, le grand gagnant
Et grâce au système éducatif et à la Réserve fédérale – c’est un bon pari !
Voyez plutôt. Même si Nikola, l’entreprise de camions électriques, n’a pas de camions électrique… même si elle a menti sur sa capacité à en produire un…
… Même si elle a neuf procès sur le dos, dont six ont été réunis en un seul procès d’action collective…
… Sa valeur est malgré tout estimée à 5,8 Mds$.
Bingo !
Evidemment, le grand gagnant de notre époque est l’entreprise gérée par le deuxième homme le plus riche de la planète… qui a un produit, lui. Et des ventes.
Ce qu’il n’a pas, en revanche, c’est suffisamment de produits pour justifier plausiblement son prix – qui frôle actuellement les 660 Mds$.
Faisons le calcul. Au ratio profit/voiture actuel, TSLA devrait en vendre plus de 25 millions afin de faire suffisamment de profits pour correspondre à un modeste PER de 12. (Passons sur le fait que l’entreprise a perdu 775 M$ en 2019.)
Si le marché automobile mondial représentait 80 millions de véhicules, cela signifierait qu’une sur trois ou quatre voitures vendues devrait être une Tesla.
Cela n’arrivera pas.
Tous les grands constructeurs se mettent aux véhicules électriques (VE). Certains d’entre eux vont avoir du succès et viendront grignoter les parts de marché de Tesla.
Un énorme pari
Il y a aussi Lucid Motors. C’est l’entreprise qui a fabriqué les batteries de tous les compétiteurs lors de la course Formula E, qui réunissait uniquement des véhicules électriques, à Pékin en 2014. Les batteries, pense-t-elle, sont la clé du succès dans le monde des VE. Et elle s’y connaît, en batteries.
Or la semaine dernière, Lucid a déposé un dossier pour une introduction en Bourse à 24 Mds$ – une bouchée de pain, par rapport à Tesla. Mais à présent, elle a décidé de ne plus se limiter aux batteries ; elle va se lancer dans la fabrication de voitures électriques. Elle courra donc sur la même piste que Tesla.
Typique de la phase « casino », Lucid n’a pas de voitures à vendre. Pas encore. Ce n’est qu’espoirs et estimations.
Jadis, lorsque les investisseurs avaient les pieds sur terre, tout cela n’aurait mené Lucid à rien. Les investisseurs voulaient voir de vrais résultats – des produits, des ventes, des profits – avant de sortir leur argent durement gagné.
Avant d’atteindre cette étape, les start-ups devaient se fier à des sources de financement plus dures – le patrimoine familial, le capital-risque et les prêts.
Mais Lucid ne pouvait pas attendre. Les marchés l’ont accueillie avec un SPAC (special purpose acquisition company… une ruse permettant de s’introduire en Bourse sans IPO) qui lui a apporté 4,4 Mds$ pour se lancer.
Sauf mensonge de l’entreprise, l’automobile pas-encore-tout-à-fait-prête de Lucid peut faire plus de 750 km sur une seule charge de batterie, contre seulement 600 km pour le modèle Long Range de Tesla.
TSLA était un pionnier. Il a réalisé rapidement que non seulement on pouvait faire une bonne voiture électrique – tout le monde sait ça –, mais que les investisseurs ne sont pas plus futés aujourd’hui que durant la bulle du Mississippi, il y a 300 ans.
Ils finissent cependant par ouvrir les yeux.
Lorsque l’inflation passera des riches à l’homme de la rue… de l’industrie financière à l’économie réelle… et de délicieuse à détestable…
… Ce sera une toute autre affaire.
Soudain, les investisseurs apprendront à écrire. Et à compter.