Les marchés ne sont plus qu’un concours de beauté entièrement dissocié de la réalité. Et désormais, ce ne sont plus les candidats qui ont de l’importance, mais bien le jury lui-même…
L’économiste John Maynard Keynes était un fin connaisseur de la Bourse de son époque, de ses vices et de ses limites.
C’est lui qui a popularisé l’idée du concours de beauté. Il a expliqué que dans un concours de beauté, ce ne sont pas tant les candidates – et maintenant les candidats, il faut vivre avec le temps du genre – qu’il faut examiner, mais le jury.
Appliqué à la Bourse, cela signifie qu’il faut passer plus de temps à analyser l’état d’esprit des participants au jeu boursier que les actifs financiers eux-mêmes.
L’idée n’est plus d’accomplir une fonction économique d’affectation de ressources rares mais de trouver des gagnants, des chevaux gagnants ou des numéros gagnants au grand casino.
Keynes avait compris la modernité, c’est-à-dire la névrose qui consiste à substituer un signe au réel et à en faire un fétiche. Ici, le fétiche est le cours de Bourse : il occulte la réalité économique sous-jacente et ensuite… il vit sa vie.
L’affectation des ressources rares devient, comme il l’a dit cyniquement (Keynes était un terrible cynique sous-apprécié), le sous-produit d’une activité de casino. Il ne faisait que reprendre la découverte du grand joueur/escroc, John Law qui lui-même la reprenait d’Adam Smith.
Cela a plusieurs répercussions importantes pour l’investisseur…
De la théorie du jeu à la théorie des jeux
Keynes avait inclus dans ses réflexions la névrose sociale, le fait que l’on perdait de vue le réel et que l’on se laissait séduire/aveugler par les ombres, les cours de Bourse. Keynes, comme John Law, avait compris la disjonction des ombres et des corps.
Mais il n’avait pas anticipé la post-modernité. Depuis Keynes on a, si j’ose dire, progressé ! On a monté d’un cran dans la névrose.
On a compris qu’analyser, décortiquer le jury et son état d’esprit était insuffisant car les opinions du jury ne sont pas des données mais des produits, des résultantes. L’opinion d’un jury, cela se façonne, cela se fabrique et même, maintenant, cela se programme.
Bref dans la post-modernité il faut remonter, remonter et aller en amont des opinions du jury, il faut voir comment se fabrique cette opinion.
Et là, on a découvert que l’opinion du jury – constitué par le public de la Bourse – est fabriquée, manipulée, produite par le monétaire et que le monétaire est produit par des oracles, des grands prêtres… à savoir les gouverneurs et le chef des gouverneurs, le président de la Fed, Jerome Powell.
Donc on progresse toujours, si on peut dire, dans la névrose ; on étudie les paroles des oracles.
Mais on peut encore aller plus en amont et remonter jusqu’à ce qui produit la parole des oracles à savoir, leur psychologie, leur humeur, leur histoire etc.
Couper les cheveux des gouverneurs en quatre
Le jeu boursier ne consiste plus à étudier les produits boursiers, le jury des joueurs, mais maintenant à couper les cheveux des oracles en quatre, à scruter la personnalité, les forces et faiblesses de ceux qui croient influencer le jury.
Les autorités, de leur côté, savent que non seulement le jury a une mémoire mais qu’il joue à interpréter les oracles avant même qu’ils ne soient prononcés. Ce qui conduit bien sûr les gouverneurs de la Fed à intégrer dans leurs paroles ou leurs actions les apprentissages et les réactions supposées du jury !
Par exemple, s’agissant de la question idiote mais centrale du taper (le resserrement de la politique monétaire), la Fed intègre l’expérience du tantrum (« crise de colère », en anglais), de la colère des marchés ; elle croit jouer au plus fin en se servant de cette expérience.
On va donc faire un taper qui n’en est pas un, c’est-à-dire une ombre de taper pour ne pas avoir une ombre de colère, une ombre de tantrum.
Bref on va faire joujou avec des ombres, ou des ombres d’ombres. C’est à peu près aussi intelligent que ce que l’on fait avec les QE, où on crée de la monnaie qui n’est qu’une ombre de monnaie… ou encore avec les reverse repos, où d’un côté on pompe des liquidités mais de l’autre on réinjecte ces liquidités, tout en sachant qu’elles sont excédentaires car il ne faut pas dire qu’elles sont excédentaires et que l’on va finir par les enlever…
… Tout cela pour dissimuler le vrai problème qui est celui… des ombres que sont les collatéraux !
[NDLR : Retrouvez toutes les analyses de Bruno Bertez sur son blog en cliquant ici.]
1 commentaire
L’économie et la finance sont devenues une partie de poker où la psychologie joue un rôle déterminant.
La morale de la fable de « la cigale et de la fourmi » devrait nous inciter à nous remettre au travail.