▪ L’opinion selon laquelle il y a besoin d’y avoir un Etat est trop souvent considérée comme une évidence.
L’objectif principal du livre de Sartwell Against the State est de détruire les arguments en faveur d’un Etat, arguments qui sont ceux par exemple de Hobbes, Rousseau et Hegel. En fait, lorsqu’on lit le livre de Sartwell, on comprend très bien à quel point les théories classiques en faveur de l’Etat sont mauvaises.
"Très mauvaises", insiste Sartwell. "C’est choquant, vraiment. Pendant trois ou quatre ans, j’ai donné des cours de philosophie politique, c’est à ce moment que ce livre est né. Chaque fois que je lisais Rousseau, Locke ou Hobbes, je me disais ‘C’est tellement mauvais. Personne ne se rend-il compte à quel point c’est mauvais ?’ Selon moi, ce qui ne va pas, c’est que ces personnages — Locke ou Hobbes ou Hume — ont tellement de certitudes quant à leur position [selon laquelle il doit y avoir un Etat] qu’ils n’ont qu’à montrer cette direction pour que les gens les suivent. Une des fonctions de l’anarchisme, selon moi, est de les interpeller. Certains ont essayé. Robert Nozick a du moins essayé d’articuler une alternative. Des gens ont essayé d’amener l’anarchisme en tant que courant conventionnel mais il a toujours été marginalisé parce que les gens trouvent que c’est de la pure folie".
J’ai demandé à Sartwell ce qu’il pense être le plus fort argument en faveur de l’anarchisme : un argument moral contre la force et la violence ou une défense plus utilitaire basée sur les résultats.
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"Je pense que l’argument moral est le plus fort", m’a-t-il répondu. "C’est le centre de mon engagement, de toute façon. Le problème avec les arguments utilitaires est : sur quels critères faites-vous votre appréciation dans la réalité ? Regardez ce qui se passe en ce moment. Comment savez-vous vraiment quels seront les effets dans un siècle des actions actuelles du gouvernement américain ? On ne peut pas réellement le savoir. J’aime bien retourner ces arguments utilitaires sur l’Etat. Il faut commencer par évoquer les catastrophes provoquées par les Etats : holocaustes, génocides, guerres mondiales".
Dans son livre, Sartwell cite l’oeuvre de Matthew White sur les exterminations de masse du 20ème siècle. Il s’agit d’un réquisitoire ensanglanté contre les Etats. On ne risque guère de se tromper en affirmant qu’il est difficile d’imaginer de tels massacres à grande échelle avoir lieu dans un monde sans Etat.
"Ce n’est pas totalement inimaginable", avance Sartwell, "mais il faut avoir un groupe de personnes très organisées pour en arriver aux armes nucléaires ou à la solution finale. Cela devra être quelque chose qui, dans les faits, sera un Etat d’une manière ou d’une autre. En fait, les seuls groupes constitués qui ont tué à une si large échelle sont les Etats".
▪ Individualisme et moralité
Je suis d’accord : les arguments moraux sont plus forts. Je mentionne l’un de mes anarchistes préférés, Lysander Spooner (1808-1887), dont Sartwell fait référence dans son livre. Spooner est un bon vieil anarchiste à l’ancienne. Il se base sur les droits naturels, en utilisant le langage et les concepts utilisés par les Pères fondateurs et les philosophes des Lumières, selon lesquels l’homme dispose de certains droits inaliénables.
"Spooner est étonnant à ce sujet", approuve Sartwell. "Vous lui donnez un concept minimal de droits naturels et tout le reste s’ensuit. C’est quasiment euclidien. En tant que professeur de philosophie, je m’inquiète à propos de ses bases conceptuelles. Je ne peux formuler de philosophie qui rende les droits naturels évidents".
Dans son livre, Sartwell met en avant un argument moral en faveur de l’anarchisme. Un des exemples qu’il utilise est frappant. Il écrit qu’il sait qu’il ne veut pas être torturé ; il suppose donc que les autres ne veulent pas être torturés non plus.
"Nul besoin d’avoir un concept des droits naturels pour affirmer cela", souligne Sartwell. "Mais les droits naturels sont une façon incontestable de formuler pourquoi cela devrait en être ainsi".
Cela nous amène à l’un des auteurs préférés de Sartwell, Josiah Warren (1798-1874), un personnage remarquable dans la tradition anti-autoritaire. On cite souvent Josiah comme étant le premier anarchiste américain.
Sartwell a publié un excellent livre de ses écrits, les agrémentant d’une longue introduction fort utile ainsi que de diverses notes. Je recommande fortement ce livre, intitulé The Practical Anarchist: Writings of Josiah Warren ["L’anarchisme en pratique : les écrits de Josiah Warren", NDLR]. A l’issue d’un travail passionné, Sartwell a publié tous les écrits de Warren et les a réduits à un échantillon substantiel des plus importants. Il en ressort des étincelles de clarté et l’une des philosophies individualistes les plus extrêmes qu’on puisse trouver dans la littérature américaine.
Warren construit lui aussi son individualisme sur des bases morales.
"Il la fonde sur la réalité de l’individualité humaine et sur la réalité des différences humaines", explique Sartwell.
La suite et la fin de notre entretien avec Crispin Sartwell sont à paraître dès lundi.
2 commentaires
Monsieur Chris Mayer
Les entreprises françaises (et même européennes dans son ensemble) ne bénéficient-elles pas de la protection de l’État pour pouvoir acheminer leurs marchandises d’Asie vers l’Europe par voie maritime contre la piraterie ? Or ce sont les contribuables français qui mettent la main à la poche pour financer cette protection alors que ce sont les entreprises délocalisées qui ne mettent pas un copec dans la caisse qui en bénéficient, trouvez-vous cela normal ?
Bonjour,
Permettez-moi de dire ce que je penses de cette série sur l’état : c’est édifiant de préjugés, d’approximations, de dogmes, d’affirmations sans fondements. Et je m’intérroge sur la présence de tels textes ici.
La vérité est la suivante : l’état est endetté parce que depuis les années 70, le circuit de financement de l’état a été progressivement détruit, de sorte que l’état, plutôt que d’émettre des bons a taux fixe, qui permet de faire appel a sa banque centrale d’une manière indirecte mais à charge prévisible, est obligé de s’adresser aux marchés financiers, a taux variable.
Au cas ou certains l’ignorerais, la banque centrale est la banque de l’état, la monnaie centrale est la monnaie de l’état, sans lequel cette monnaie et toutes les spéculations seraient impossibles. Alors que la monnaie scripturale des banques privées ne sont que des dettes circulantes, et non des euros.
Ensuite, plutot qu’un état, laissons le pouvoir aux grandes entreprises, aux multi-nationnales, puisque cela semble être le rêve de ceux qui relais ces anneries. On aura ceci :
– la privatisation des foces armée (a la Black Water)
– la multiplication des conflits pour la conquête de ressources (façon Libye, Irak, et autre)
– l’utilisation de la force comme moyen commercial
– la généralisation de disparités de richesses extrêmes : en quelques années, 0.05% de la population aura 75% des richesses
– la fin des droits de l’homme, qui s’oppose a la concentration des richesses et a un mercantilisme sauvage
– la mise en place d’un régime ploutocratique absolu
– le retours de la féodalité
…
Heureusement qu’il existe des états !!! Les hommes sont des animaux, et les lumières ont encore cette qualité qu’elle ont remplacées les illusoires vertus naturelles de l’homme, qui n’existent pas, par des vertus constitutionnelles et législatives qu’il faut défendre tous les jours contre la rapacité de la finance et des autres Lobbys, qui n’ont que l’obsession de la fin de la souveraineté des peuples !!!
Ceci n’est que mon humble avis.
Au plaisir.