▪ S’il fallait attribuer une notation en termes de pouvoir soporifique à la séance du 4 novembre, nous pourrions lui attribuer un bon huit sur dix. Mais compte tenu qu’aucune autre place majeure n’était en congé — exception faite de Tokyo dont personne ne tient compte de toute façon –, on peut accorder un demi-point supplémentaire, ce qui porterait la note à 8,5… ou 17 sur 20 pour respecter une échelle plus familière à nos lecteurs.
Dommage que la météo ait été aussi exécrable hier. C’était une bonne occasion d’aller discuter affaires sur un green de golf sans être interrompu toutes les cinq minutes par des appels concernant l’emballement du dollar face à l’euro ou la stratégie à mener face au débordement des 4 300 sur le CAC 40.
Le dollar s’est figé comme une fondue savoyarde en panne de réchaud autour de 1,35/euro. Le CAC 40 s’est comporté exactement de même en terminant exactement à parité avec son cours d’ouverture, à 4 288. Cela après avoir oscillé sans désemparer entre 4 280 et 4 295 points durant huit heures et 35 minutes, dans des volumes dérisoires — moins de deux milliards d’euros échangés.
L’ambiance a été tout aussi léthargique en Europe (+0,4% en moyenne). La tendance demeurait cependant positive afin d’écarter toute amorce de consolidation intempestive à 72 heures de la conférence de presse de Mario Draghi… Certains espèrent en effet qu’il fera allusion à une possible baisse de taux à 0,25%, histoire de booster le CAC 40 vers les 4 315 et l’EuroStoxx 50 au-delà des 3 075 points (son zénith de la mi-février 2011).
▪ Que fait la BCE ?
Nous entendons beaucoup d’économistes expliquer que l’arme des taux est complètement émoussée et qu’un nouveau geste de la BCE n’aurait aucun impact sur la croissance, l’emploi, le volume de crédits distribués à l’économie réelle.
Ils ont raison si l’on se borne à considérer que l’économie réelle constitue LA référence pour toute prise de décision de la BCE.
Mais la réalité dont les banques centrales se préoccupent est toute autre : tout l’argent injecté — soit environ 150 milliards de dollars par mois en additionnant la Fed, la Bank of Japan, la Bank of England — et capté à son usage exclusif par la sphère financière. Et il sert à financer le gonflement démesuré de la bulle des produits dérivés (de taux et de devises principalement) dont l’encours « notionnel » se chiffrerait — le conditionnel est de rigueur — à 750 000 milliards de dollars.
Oui, il s’agit bien de sept cent cinquante mille milliards de dollars, c’est-à-dire 10 fois le PIB des Etats-Unis, de l’Europe, de la Chine et du Japon réunis.
Rassurez-vous, il ne s’agit que d’un encours « virtuel » ! Le montant des sommes réellement engagées dans ce gigantesque casino de la finance totalement coupée de son objet (le monde dans le quel les gens commercent, dépensent et investissent du vrai argent) n’est que de 25 000 à 28 000 milliards de dollars.
Autrement dit, un simple calcul du niveau classe de maternelle nous donne un levier de 30.
Une paille, c’est à la portée de n’importe qui, non ?
▪ Appliquons cela à l’immobilier…
Tenez, vous êtes propriétaire d’un petit studio d’une valeur de 166 000 euros (un prix moyen en région parisienne). Imaginons qu’il vous sert de garantie pour des opérations immobilières plus ambitieuses.
Eh bien, avec la démonstration d’une martingale mathématique infaillible de votre invention (du style « à tous les coups ça gagne »), vous allez pouvoir obtenir d’un banquier ou d’un hedge fund de quoi acheter — virtuellement — 30 studios, soit un levier de cinq millions d’euros.
Compte tenu du fait que les règles du jeu concernant les loyers risquent de changer en cours de route (Loi Duflot ou autre joyeuseté), vous achetez également une couverture contre toute fluctuation des flux financiers… et une autre contre des risques de change — car vous avez naturellement emprunté en yen, que vous vendez aussitôt à découvert en pariant sur la poursuite de sa désintégration.
En réalité, il suffirait d’une chute de 3% des prix immobiliers (ou d’une hausse de 3% du yen) pour que vous ne possédiez plus rien et deviez de l’argent à vos bailleurs de fonds.
Cela n’arrivera jamais puisque vous vous êtes « couvert » de toutes les façons imaginables et que votre martingale est infaillible… sauf si votre contrepartie manque à ses obligations.
Là aussi, cela n’arrive jamais, sauf lorsque tout le monde fait jouer sa police d’assurance en même temps (et comment peut-il en être autrement ?). Comme en 2008 sur les dérivés de crédit et les options de change, par exemple, avec le débouclage en catastrophe de milliers de milliards de dollars de carry trade.
▪ Mais rien à craindre, n’est-ce pas ?
Il n’y a évidemment aucune raison de craindre qu’un tel scénario survienne en 2013 ou 2014. Après tout, l’économie est florissante et la confiance dans l’euro est revenue au triple galop. C’est en tout cas ce que nous démontre la publication de l’indice PMI final Markit concernant l’Eurozone : il s’établit à 51,3 en octobre contre 51,1 en septembre pour l’industrie manufacturière.
On nous vante une amélioration de la conjoncture pour le quatrième mois consécutif… enfin surtout en Allemagne — en Espagne grâce à la baisse des salaires. C’est le fameux retour à la compétitivité prôné par Goldman Sachs et un aréopage d’économistes ultra-libéraux… au prix d’une saignée à blanc côté pouvoir d’achat des ménages et d’un saut 40 ans en arrière en matière de standards sociaux.
Nous observons une fois de plus qu’un pays résiste envers et contre tout aux mesures d’austérité (préférant la voie si commode de la pression fiscale accrue) : il s’agit de la France. La production manufacturière y a reculé pour le troisième mois consécutif en octobre, à 49,1 en octobre, contre 49,8 au mois de septembre, sur fond de révolte fiscale et de perte de confiance généralisée.
C’est en quelque sorte le pays-étalon du déclin économique — auquel Dominique Strauss-Kahn doit penser très fort en ce moment — dans un univers ultra-concurrentiel où l’ouvrier polonais travaillant dans le secteur agro-alimentaire en Allemagne est payé cinq euros de l’heure quand son collègue breton coûte le triple à son entreprise.
Et devinez quel pays est cité en exemple et encensé pour son « efficacité » et lequel est dénoncé pour sa résistance à l’ultra-libéralisme ?
Avec des salariés payés cinq euros de l’heure, un euro à 1,6 contre le dollar ne pose pas de problème. A 15 euros de l’heure charges comprises, en revanche, même une parité 1/1 ne suffit pas à redevenir compétitif.
Alors vive la déflation salariale à -30% comme en Allemagne et en Espagne… et vive la spéculation sur les dérivés de taux avec un levier de 30 !