** Il nous est parfois difficile de dissimuler notre satisfaction de voir nos prévisions conjoncturelles et boursières — inflation, panne de croissance, crise du subprime, retournement du cycle immobilier, inversion du carry trade, flambée des matières premières — se vérifier de façon aussi exacte et systématique après que le rouleau compresseur médiatique et institutionnel américain a soutenu point par point des thèses opposées durant plus de neuf mois.
Cette montagne de mensonges accouche (à terme !) d’une hideuse créature appelée stagflation : la Fed et la Maison-Blanche ont essayé tous les traitements — injections massives de liquidités, électrochocs psychologiques, coups de batte de base-ball budgétaire — pour empêcher le fœtus de parvenir à son terme.
Mais la pauvre Goldilocks, qui avait perdu les eaux mercredi dernier (ISM manufacturier sous les 47,7), vient de mettre au monde vendredi — au forceps et sans péridurale — un rejeton vagissant avec deux taches de naissance en forme de « chômage 5% » sur l’abdomen et « PIB américain sous les 2% » sur la fesse gauche.
Aucun problème respiratoire dès la délivrance pour ce vilain nourrisson qui ne ressemble ni à son père (dont le surnom est « Bull Ducredit ») ni à sa mère (dont le nom de jeune fille est « Carry Trade ») et semble aspirer goulûment le vent de la récession qui souffle sur le nord du continent américain et s’infiltre par le système de climatisation de la maternité.
Nous pressentons que la cérémonie du baptême va être remplacée par un exorcisme, tant les mauvaises fées sont nombreuses à se pencher sur le berceau de l’héritier nouveau-né de Goldilocks !
** En effet, il va falloir beaucoup plus que des prières fébriles pour que le nourrisson renonce à faire usage de ses super pouvoirs destructeurs entre deux tétées — les baisses de taux de la Fed étant délivrées par le sein gauche, le sein droit procurant son quota de rachats de créances immobilières pourries par des collectivités locales.
Les spécialistes des maladies infantiles (et infectieuses) de Wall Street — qui avaient sciemment dissimulé le caractère contagieux de la crise du subprime au grand public — prévoient déjà en privé une épidémie de profits warnings dès le premier trimestre 2008, avec une croissance de 4,7% seulement des bénéfices et de 4,6% au deuxième, contre 11,4% et 9,4% respectivement il y a trois mois.
Sans surprise, le secteur financier devrait afficher les plus mauvaises performances au premier semestre 2008, après une chute des bénéfices moyenne de 60% estimée au quatrième trimestre 2007. L’automobile ou le BTP, eux, devraient continuer de glisser sur la mauvaise pente alors que les immatriculations ont chuté de 2,5% en décembre tandis que ventes de logements neufs sont en chute de 23,4% en rythme annuel et les mises en chantier de près d’un tiers. N’oublions pas non plus le doublement des saisies/ventes aux enchères fin 2007 avec l’explosion des incidents de remboursement et des procédures de foreclosure.
** Cela devrait suffire à conforter notre scénario baissier sur les indices boursiers. Mais il y a un autre symptôme très caractéristique d’une défiance des investisseurs, c’est cette ruée vers les secteurs défensifs des « services aux collectivités » (distribution d’énergie), les pétrolières, les pharmaceutiques (Sanofi-Aventis a bondi de 2,9% lundi) et des valeurs peu cycliques comme France Télécom (3,6%) ou Danone (qui a pris 3%).
Malgré une vigoureuse campagne de rotation sectorielle des portefeuilles — pas moins de huit milliards d’euros négociés le lundi 7 janvier –, le CAC 40 peine à franchir le palier des 5 450 points. L’indice effectuait même une seconde incursion dans le rouge (-0,3% vers 17h00) car les valeurs « moyennes » sont littéralement laminées (-2,2% pour celles composant le SBF 80).
Il devient évident que ces dégagements sur les mid caps ont pour principal objectif de dégager les liquidités permettant d’éviter au CAC 40 de menacer le support des 5 400 points.
** A Wall Street, les technologiques subissaient d’entrée de jeu de nouveaux dégagements massifs — les spécialistes des assistants personnels et des réseaux de télécommunication virtuels sont jugés surévalués — et les compagnies aériennes américaines, très vulnérables aux retournements de cycles économiques, furent victimes d’un véritable trou d’air (UAL a dévissé de 15%).
Le Nasdaq 100, qui gagnait initialement 0,4%, a perdu 1,2% après 90 minutes de cotation et le Composite perdait alors pas moins de 7,5% en cinq séances.
Le Dow Jones est repassé sous les 12 800 points (12 750 points environ vers 17h30) et ruinait les espoirs de voir les places européennes entamer une phase de rebond qui ne se limite pas à un simple mouvement ponctuel de rachats de découvert.
Les spécialistes de l’analyse des graphiques n’ont pas manqué de remarquer la proximité de supports majeurs sur le S&P 500 vers 1 405 points et le Dow Jones autour de 12 730 points.
** La Maison-Blanche n’a pas tardé, elle non plus, à réagir. Henry Paulson s’est empressé de rassurer Wall Street — dont il est le digne fils prodigue — au sujet de l’impact de la crise immobilière, affirmant que tout sera fait pour en minimiser les conséquences et maintenir l’économie aussi forte que possible.
Comme le département du Trésor américain n’a aucun moyen d’action direct permettant de soutenir les marchés, les opérateurs n’ont pas tardé à en conclure que la Fed était dans le coup et n’allait pas hésiter à réduire le prime rate de 50 points à la première occasion. Et mieux encore ! La rumeur d’une action « hors calendrier » (et donc imminente) a commencé à circuler lundi, peu avant l’heure du déjeuner à Wall Street, d’où un rebond de plus 1,5% du Nasdaq 100 sur ses plus bas du jour.
Mais comme nous le sous-entendions en tout début de Chronique, le fait que nous ayons eu raison sur toute la ligne en matière de diagnostic macro- ou micro-économique ne suffit pas à garantir que les indices boursiers vont corriger de 30%, 40% ou 50% les gains accumulés lors du gonflement de la bulle du crédit de l’automne 2002 au printemps 2007.
En d’autres termes, puisque tout le monde semble d’accord pour juger la situation critique, peut-être devrions-nous jouer l’hypothèse d’un rebond !
Nous en étions là de nos réflexions vendredi soir — méditant sur le caractère peut-être excessif de la chute de 4% du Nasdaq 100 — lorsque le tonitruant Larry Kudlow annonça avec des manières péremptoires dont il a le secret qu’il était temps pour les téléspectateurs de CNBC de passer à l’achat, dans une optique de long terme.
Cela a stoppé net nos velléités de stock-picking car chacun de nous sait qu’un investissement long terme, c’est un achat court terme qui a déjà (ou qui aura bientôt) mal tourné ! Nous n’étions plus très loin de guetter la première opportunité de nous mettre vendeur quand Larry affirma que Goldilocks n’était pas morte.
Effectivement, elle ne l’est pas, puisqu’elle n’a jamais existé ailleurs que dans son imagination… Mais si nous le suivons dans son doux délire, nous pouvons affirmer que l’accouchement du petit Stag Flation a bien eu lieu vendredi et que cet enfant (indésirable) se porte beaucoup mieux que sa maman, dont la souffrance morale éclipse de très loin les douleurs post-natales.
Philippe Béchade,
Paris