Les riches n’ont jamais manqué d’argent pour investir – surtout avec du crédit presque gratuit. La réforme fiscale rate l’essentiel : la réduction des dépenses publiques.
Aurions-nous été trop cynique ?
Hier, la Chambre US a passé sa grande loi sur la baisse des impôts. L’indice Dow Jones a bondi de 187 points à cette nouvelle. Plus tard, un journaliste nous a posé la question suivante : l’indice Dow Jones va-t-il atteindre les 40 000 points ?
Nous faisons partie de ceux qui en profiteront le plus (comparativement). L’essentiel de nos revenus relève du système « pass-through » (1) via des sociétés de type S (2)… et nous devons nous protéger de l’impôt sur la transmission du patrimoine.
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Merci, Donald Trump et Paul Ryan !
Outre le coup de pouce que cette loi va nous donner, ses défenseurs républicains affirment qu’elle va rapporter 3% de croissance.
Hmmm… de quelle façon ?
Avec le stimulus, bien sûr. D’après le Wall Street Journal, la loi va réduire les recettes fiscales fédérales de 1 400 Mds$ au cours des 10 prochaines années. Et la Tax Foundation, think tank spécialiste des questions fiscales, déclare que cela va réduire le budget fédéral de 1 080 Mds$. Parallèlement, le Penn Wharton Budget Model (3) prédit que cela va alourdir la dette publique de 6 900 Mds$ d’ici à 2040.
Toutes ces réductions d’impôts… et cette augmentation de la dette… sont censées stimuler l’économie américaine. Steve Mnuchin, ex-salarié de Goldman, à Manhattan, et plus récemment producteur de cinéma, déclare que ces baisses d’impôt généreront un taux de croissance économique soutenu, de 3%… et augmenteront les recettes fiscales fédérales de 2 000 Mds$. Tout le monde est gagnant.
Vous y croyez, vous ?
Nous espérons bien que non. Car c’est absurde.
Les sangsues fédérales prélèvent la même quantité
L’Etat est peuplé de sangsues. Ce qui compte, c’est le volume de sang qu’elles peuvent sucer. Ce nouveau plan fiscal ne réduit pas d’un centime les dépenses publiques.
Au bout du compte, l’argent que l’Etat dépense doit venir de l’économie productive : il n’y a aucun autre moyen de s’en procurer.
Voici notre lecture simplifiée de la réforme fiscale :
- Les pauvres n’ont pas d’argent.
- La classe moyenne n’a pas de lobbyistes à sa disposition.
- Les riches n’ont pas envie de payer plus.
Pourquoi le fait de donner plus d’argent aux riches stimulerait-il la production ? Ont-ils du mal à boucler les fins de mois ? Manquent-ils de capitaux ?
Selon un nouveau rapport publié par le Crédit Suisse, les 1% les plus riches de la population mondiale contrôlent déjà 50% de la totalité des richesses. Ils ont plein d’argent à dépenser. Leur en donner plus ne va pas augmenter la consommation de façon appréciable. Et s’il leur faut plus d’argent, ils peuvent l’emprunter moyennant les taux d’intérêts les plus faibles de toute l’histoire.
A notre connaissance, au cours de l’histoire récente de l’Amérique, aucune entreprise n’a fait faillite, ou raté son expansion… en raison d’un manque de capitaux. En revanche, des milliers d’entreprises font faillite par manque de clients.
Ce qui nous amène au reste de la population… la partie qui n’est pas riche… celle qui doit gagner sa vie et consommer afin de faire fonctionner l’économie.
Pour consommer, les moins riches s’endettent
L’endettement des ménages américains a atteint un nouveau record au trimestre dernier : 13 000 Mds$.
Voici quelques indications, fournies par Wolf Richter, chroniqueur financier :
- Les prêts immobiliers ont bondi de 4,2% d’une année sur l’autre, pour atteindre 9 190 Mds$, soit juste au-dessous du record historique de 10 000 Mds$ de 2008, juste avant le krach généralisé.
- Les prêts étudiants ont bondi de 6,25% d’une année sur l’autre, pour atteindre un record de 1 360 Mds$.
- L’endettement lié aux cartes de crédit a bondi de 8%, pour atteindre 810 Mds$.
- La rubrique « autres » a bondi de 5,4%, pour atteindre 390 Mds$.
- Et les crédits autos ont bondi de 6,1%, pour atteindre un record de 1 210 Mds$.
Tous ces crédit vont s’écrouler lors du prochain séisme financier, mais les 1 200 Mds$ de crédits autos ont l’air particulièrement instables. Wolf poursuit ainsi :
« Sur tous les crédits autos en cours, 2,4% affichent de sérieux incidents de paiement de plus de 90 jours, soit une hausse de 2,3% par rapport au trimestre précédent. Mais les défauts de remboursement se concentrent sur le segment ‘à risque’ de ces crédits, où les choses sont en train de dégénérer.
[…] tous les prêts à risques ne sont pas identiques. Le taux d’incidents de paiement de plus de 90 jours relatifs aux crédits autos à risques souscrits auprès des banques a chuté après la crise financière et demeure relativement stable, depuis. Au 3e trimestre, ce taux avait baissé à 4,4%, par rapport aux 7,1% enregistrés au plus fort de la crise financière. Donc, le fiasco des crédits autos à risques ne va pas ébranler les banques.
En revanche, le taux d’incidents de paiement de plus de 90 jours relatif aux prêts souscrits auprès des sociétés de financement du secteur automobile flambe depuis 2013. Au 3e trimestre 2017, il a atteint 9,7%.
Ce taux d’incidents de 9,7% est le plus élevé que l’on ait enregistré depuis le 1er trimestre 2010. Il avait déjà été atteint juste avant la Grande Récession, au 3e trimestre 2008, au moment de la faillite de Lehman. Un an plus tard, il enregistrait un pic de 10,9%. »
La relance est un échec même à l’échelle mondiale
Le fait d’alléger les impôts des entreprises et des riches va-t-il aider ceux qui ont souscrit ces prêts à risques à régler leurs mensualités ?
Cela va-t-il aider les étudiants – qui ont été poussés à emprunter par l’Etat – à rembourser leurs prêts ?
Cela va-t-il alléger le fardeau des cartes de crédit ?
Eh bien, peut-être… si la « théorie de la relance » était juste.
L’est-elle ?
A vous d’en juger.
Depuis 2009, l’Etat a injecté 3 600 Mds$ dans l’économie dans le cadre de cette relance via l’assouplissement quantitatif (QE), et la dette publique a doublé.
Cela a produit la reprise la plus faible de l’histoire… le pire taux de chômage enregistré depuis la Grande Dépression… et une économie si boiteuse et si peu exaltante que l’espérance de vie est en baisse.
Depuis 2000, les banques centrales, partout dans le monde, ont injecté 20 000 Mds$ dans l’économie mondiale… tout en abaissant les taux d’intérêt à des niveaux absurdes… et en propulsant l’endettement mondial à 225 000 Mds$, soit environ trois fois le PIB mondial. Le taux de croissance du PIB mondial a chuté.
En 1981, le président Reagan a fait passer un plan de réduction des impôts bien plus ambitieux et dynamique que la version des républicains de la Chambre.
Notre confrère David Stockman, directeur du budget de Reagan à l’époque, dit que cela a multiplié par dix l’impulsion économique.
Que s’est-il passé ?
Il y a eu un élan de croissance… puis la croissance du PIB a affiché une tendance à la baisse au cours des trente années suivantes. Et cela continue.
Nous doutons que les initiatives actuelles contribuent à stopper cette tendance. Au contraire, elles vont l’accélérer.
1. Aux Etats-Unis, revenu transmis par une entité intermédiaire, fiscalement transparente, à ses propriétaires. Ainsi, le revenu n’est pas imposé au niveau de l’entreprise, mais uniquement au niveau de la personne. Cela évite une double imposition.
2. Société à responsabilité limitée, fiscalement transparente, non soumise à l’impôt sur les bénéfices. Obéit au §S du code fiscal général américain.
3. Université de Pennsylvanie/Wharton School (école de commerce).
2 commentaires
» A notre connaissance, au cours de l’histoire récente de l’Amérique, aucune entreprise n’a fait faillite, ou raté son expansion… en raison d’un manque de capitaux. En revanche, des milliers d’entreprises font faillite par manque de clients.
Ce qui nous amène au reste de la population… la partie qui n’est pas riche… celle qui doit gagner sa vie et consommer afin de faire fonctionner l’économie. »
Keynes aurait tenu le même discours.
Les entreprises qui font faillite car elles sont sous capitalisées existent bien. Mais il existe surtout des entreprises prospères qui pourraient se développer encore plus rapidement si elle disposaient de fonds propres plus importants, ainsi que des entreprises qui pourraient augmenter leur productivité en se modernisant et en formant leur personnel, ou encore des entrepreneurs qui pourraient réaliser leurs projets de création et de développement avec l’aide d’un investisseur. Il existe également des multinationales qui parquent des milliers de milliards de dollars à l’étranger plutôt que d’investir aux USA afin d’éviter la fiscalité confiscatoire.
Les investissements les plus importants pour la croissance économiques à long terme sont les investissements à risque (par exemple dans les start-up et la recherche), précisément ceux qui ne peuvent être financé que par des investisseurs en capitaux propres et non à crédit, le crédit gratuit n’encourage que l’acquisition d’actifs de rente tel que l’immobilier ou le rachat d’entreprises matures à fort cash flow.