Les anticipations optimistes de baisse des taux d’intérêt sont remises en question, ce qui augmente le risque de correction des prix des actifs.
En fin d’année dernière, la quasi-totalité des classes d’actifs sont entrées dans un marché haussier.
Le S&P 500 a pris +13,7% entre fin octobre et fin décembre, alors qu’il avait perdu 9% sur les quatre mois précédents. Sur les deux mêmes périodes, les paniers d’obligations américaines de long terme ont gagné 17,7%, alors qu’ils avaient précédemment perdu 17,3%. Même tendance sur l’or physique, qui a entamé son rally haussier dès la fin septembre, engrangeant +13,2% sur les quatre derniers mois de l’année, contre -9,6% sur les cinq mois précédents.
Ce revirement brutal n’était aucunement justifié par une amélioration des fondamentaux économiques ou géopolitiques, mais par une anticipation de baisse des taux d’intérêt de la part des investisseurs.
Comme un avant-goût du retour de l’ère de l’argent gratuit, l’idée d’une baisse significative des taux de la BCE et de la Fed était une promesse de hausse des valeurs de marché de l’ensemble des actifs. Logiquement, les investisseurs ont provoqué une nouvelle « bulle de tout », emportant à la hausse actions, obligations et or physique.
Mais les hypothèses qui ont conduit à ce mouvement brutal sont en train d’être démenties. Les traders obligataires, qui pariaient jusqu’ici sur un programme d’assouplissement plus rapide que celui évoqué par les banques centrales, sont en train de jeter l’éponge. Ils revoient désormais leurs anticipations d’assouplissement monétaire à la baisse.
Pour les marchés actions, les obligations et l’or physique, le risque est maximal. Si les grosses mains se basent de nouveau sur le consensus qui prévalait au début de l’automne, les prix des actifs devraient retrouver les niveaux qu’ils avaient à ce moment-là. Un tel mouvement de correction pourrait conduire à des pertes à deux chiffres sur l’ensemble des compartiments.
Les traders obligataires ne croient plus à la baisse
En début d’année, les marchés à terme anticipaient entre 6 et 7 baisses de taux directeurs de la part de la Réserve fédérale américaine en 2024 – bien au-delà du discours officiel qui laissait entendre que trois allègements des conditions monétaires pourraient avoir lieu cette année.
Or, entre trois et six baisses, les scénarios monétaires sont totalement différents.
Pour les instances monétaires, le scénario privilégié était celui d’un premier semestre passé sur un plateau haut, avant une légère décrue du coût de l’argent durant le second semestre. Pour les traders, la Fed allait baisser ses taux dès le début d’année et continuer à le faire jusqu’en décembre 2024.
Ce bras de fer ne pouvait durer éternellement, les deux scénarios devant, tôt ou tard, se réconcilier et se transcrire dans la réalité des faits. Et, paradoxalement, la Fed n’était pas nécessairement donnée vainqueur par avance. Car si la sagesse populaire dit que les petites mains qui achètent des actions ne doivent jamais se retrouver en porte-à-faux avec la politique monétaire (le fameux adage « don’t fight the Fed »), le marché obligataire est si puissant que ses messages doivent être pris en compte par les instances monétaires.
De la même manière que le gouvernement français et la BCE ne peuvent ignorer le signal-prix envoyé par les marchés lorsqu’ils font varier le prix de notre dette étatique, la Fed ne peut totalement s’absoudre des attentes du marché obligataire, dont le poids dépasse les 150 000 milliards de dollars.
Mais son président Jerome Powell a tenu bon. Il a rappelé en début d’année que la banque centrale suivrait une trajectoire de baisse de taux prudente et s’est même permis de rappeler que la trajectoire anticipée par les marchés était trop optimiste et qu’il était « prématuré » d’anticiper une baisse.
Au vu des risques de regains d’inflation outre-Atlantique, où le taux de chômage n’est que de 3,7% et où les salaires ont augmenté de 4,5% l’an passé (pour une inflation mesurée de seulement +3,4%), les marchés ont fini par rapprocher leurs positions du discours officiel de la Fed.
Désormais, le consensus table sur seulement quatre assouplissements monétaires aux Etats-Unis, avec une première baisse de taux qui devrait arriver à la fin du printemps.
Ils restent plus optimistes en Europe, anticipant une première intervention de la BCE dès le mois d’avril, ce qui vient, là aussi, clairement en contradiction avec le discours officiel de Christine Lagarde qui annonçait encore récemment : « Si nous avons la certitude que l’inflation sera bien à 2%, alors les taux commenceront à baisser. » L’objectif sera bien difficile à atteindre d’ici deux mois sachant que le taux d’inflation annuel de la zone euro était encore mesuré à +2,9% en décembre, et +2,8% en janvier.
La boussole du marché obligataire a perdu le nord
Même après ajustement du consensus, les prévisions de trajectoire d’évolution des taux restent franchement optimistes. Le marché obligataire n’a comblé qu’une partie du fossé qui sépare ses anticipations du discours de nos grands argentiers. Or le marché obligataire ne mérite plus la réputation de sagesse et de rationalité dont il pouvait se prévaloir jusqu’à la crise des suprimes.
En 2022, ses traders ont totalement nié l’imminence de la vague de hausse des taux d’intérêts, en Europe comme ailleurs.
Les anticipations de taux directeurs sont restées au plancher durant toute la phase de resserrement monétaire. Puis, toutes les excuses furent bonnes pour anticiper des baisses de taux : crise des banques régionales américaines, faibles prévisions de croissance… bien peu de grosses mains croyaient au maintien des taux sur un plateau haut.
Ces paris se sont révélés perdants, et ce n’est pas une surprise si la phrase « perte pour couvertures défavorables » revient comme un mantra dans les annonces de résultats annuels, y compris chez les banques comme ce fut le cas pour la Société Générale. Visiblement, le déni de réalité des investisseurs obligataires, autrefois réputés pour être bien plus clairvoyants que les investisseurs en actions, se prolonge.
Cela signifie que le marché obligataire n’est plus un bon indicateur avancé de l’évolution du prix des autres catégories d’actifs. Pour les investisseurs, il ne faut plus se baser sur les signaux qu’il apporte pour déterminer son allocation d’actifs idéale.
La bonne nouvelle est qu’une irrationalité qui perdure est l’occasion de prendre le consensus à contre-pied pour générer des gains.
Les traders obligataires, qui se trompent en permanence depuis deux ans, font comme si l’argent allait redevenir gratuit cette année ? Faites le contraire, et vous pourriez bien être la contrepartie qui profite de toutes leurs positions perdantes.
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Intéressant comme analyse