** Son prénom commence par un W. C’est un milliardaire dont les avis pèsent lourd dans l’inconscient collectif de Wall Street. Mr W, né au milieu des années 30, se montre très sceptique au sujet de la pérennité des "jeunes pousses" dont les médias et les investisseurs se font l’écho.
Mr W redoute un coup de gelée d’ici la fin de l’année. Selon lui, la consommation — qui représente 70% de la croissance américaine — risque de caler pour cause de montée en flèche du chômage. A quoi viendra s’ajouter la dévaluation persistante de la valeur du patrimoine boursier et immobilier des ménages américains — la perte avoisine déjà les 6 000 milliards de dollars en deux ans.
Et Mr W s’y connaît en matière de marché hypothécaire, de bulle du crédit et d’entreprises frappées de plein fouet par des vents économiques contraires. Son prénom est Wilbur (et non Warren) et son nom est Ross (comme le docteur d’une célèbre série télévisée… les cheveux en moins !). Il est de la même génération, à défaut d’être de la même école, que le sage d’Omaha.
Sa spécialité, ce n’est pas la prise de participation minoritaire (comme Warren Buffett) mais majoritaire dans les entreprise qu’il sélectionne. Il s’intéresse non pas à celles qui se portent bien et sont promises à un bel avenir mais à celles qui sont au bord du dépôt de bilan.
Wilbur Ross s’est en effet spécialisé dans la restructuration des entreprises en difficulté, de préférence des foncières avec de la pierre en garantie.
Il s’empare le plus souvent des leviers de commande après avoir lancé un LBO (leveraged buyout, rachat via un prêt adossé à la valeur d’actif qu’il compte extraire après acquisition). Il s’efforce ensuite d’isoler puis de revendre les parties saines au prix fort tandis qu’il renégocie les dettes irrécouvrables avec les banques.
Aujourd’hui, nous sommes prêt à croire Wilbur Ross lorsqu’il affirme que les banques vont devoir encore passer des centaines de milliards de dépréciations sur leurs portefeuilles de prêts immobiliers — un domaine qu’il connaît mieux que personne, y compris Warren Buffett.
Il sait que les emprunteurs sont aux abois comme jamais depuis la crise de 1929 à 1933… et il constate comme chacun d’entre nous que le taux d’épargne des ménages américains (négatif de 2004 à 2007) est en train de s’envoler vers les 6% en juin. Il pronostique qu’il atteindra 8% à 10% avant la fin de l’année 2009, ce qui va s’avérer un poison mortel pour la consommation.
Il ne voit pas comment le plan de relance voté début février ainsi que le stimulus fiscal qui y est associé vont parvenir à maintenir les dépenses des ménages au niveau actuel (lequel est quasi miraculeux) : l’Etat américain n’a plus les moyens de distribuer de l’argent comme il l’a fait au printemps 2008 (le fisc avait alors "remboursé" 850 milliards de dollars) puis au printemps 2009 (baisses d’impôts touchant les classes moyennes).
La hausse des prestations sociales (pensions d’invalidité, indemnités chômage) coûte très cher au budget des Etats-Unis. Il va falloir que l’Amérique se serre la ceinture et fasse enfin rentrer de l’argent d’une manière ou d’une autre.
** Wilbur Ross affirme — et il est bien placé pour le faire — que le système financier américain (basé sur la titrisation des créances) reste en survie artificielle grâce au TALF (Term-Asset Backed Securities Loan Facility), c’est-à-dire grâce au programme de rachat d’actifs de type ABS ou RMBS par le Trésor US et la Fed… qui expire au début de l’automne.
Le milliardaire du New Jersey s’était en effet proposé de participer au programme de rachat d’une partie des dérivés de crédit (notés AA et AAA-) détenus par les banques et en partie garantis par le gouvernement… et Warren Buffett s’était également déclaré intéressé.
Mais Wilbur Ross, compte tenu de ce qu’il observe ces derniers mois, notamment au sujet de la réticence ou de l’incapacité des banques à prêter de l’argent, repousse à fin 2010 l’amorce du véritable rebond de l’économie américaine.
Or chaque mois de décroissance apporte son lot de déficits budgétaires, de contraction des prix de l’immobilier, de nouvelles créances douteuses, de faillites personnelles, d’explosion des défauts de paiement sur les cartes de crédit.
** Peu importe cette triste réalité : la confiance des consommateurs américains ne cessait de grimper depuis cinq mois. Les économistes s’attendaient logiquement à une poursuite de l’amélioration de l’indice du Conférence Board en cette fin de premier semestre où les places boursières tutoient leurs meilleurs niveaux annuels.
Mais les anticipations sont complètement prises à contre-pied car la confiance des ménages s’est brusquement dégradée de 54,8 vers 49,3 : le chômage apparaît de nouveau comme un fléau qui remet beaucoup de projets en cause. Ce chiffre a complètement éclipsé la hausse de l’indicateur d’activité PMI de la région de Chicago (+5 points à 39,9).
Si ce chiffre dépasse légèrement le consensus de Wall Street, il reste bien inférieur au seuil technique des 50. Les nouvelles en provenance du front de l’immobilier demeurent quant à elles déprimantes : les prix ne parviennent toujours pas à se stabiliser aux Etats-Unis.
L’indice S&P/Case-Shiller publié ce mardi a reculé de 0,7% en avril par rapport à mars, après une baisse de 2,1% le mois précédent (soit -18,1% contre -18,7% en rythme annuel). La Californie, l’Arizona, la Floride, le Nevada continuent de subir une forte désescalade des prix immobiliers : San Francisco, Phoenix ou Las Vegas affichent de -28% à -33% sur un an. Dans le même temps, des villes comme Charlotte, Chicago, Cleveland, New York, Portland ou Seattle (jusqu’ici relativement épargnées) ont enregistré une chute record depuis le début de la crise au mois d’avril avec des écarts de -3% à -5% par rapport au mois de mars.
** Toutes ces statistiques expliquent une fin de semestre boursier peu glorieuse. Alors que beaucoup d’opérateurs comptaient encore sur les derniers habillages de bilans pour ramener le CAC 40 en territoire positif par rapport aux 3 218 points du 31/12/2008, les acheteurs semblaient avoir soudain perdu la belle détermination dont ils avaient su faire preuve lundi.
Le CAC 40 a chuté de 1,7% à 3 140 points dans un volume proche de trois milliards d’euros (ce qui demeure assez modeste), avec 34 valeurs sur 40 terminant dans le rouge. La fin du mois de juin se solde par une consolidation généralisée : la Bourse de Francfort a perdu 1,6% et celle de Londres a reculé de 1%. L’Euro-Stoxx 50 lâche 1,5% mais le second trimestre 2009 reste globalement un très bon cru avec une progression de 15% (Paris se contente de +12%).
Si Wilbur Ross a vu juste, les marchés ne tarderont pas à mettre au rencard la légende des jeunes pousses, puis à se chercher un nouveau leitmotiv… A la rédaction des Publications Agora, nous apprécions beaucoup le concept de "vague scélérate"… celle que les marins redoutent lorsque la mer semble trop calme et lorsque l’équipage n’a rien de mieux à faire que de vider les bols de punch les uns après les autres.
Philippe Béchade,
Paris