▪ Vous commencez peut-être à en avoir assez d’entendre (ou de lire) chaque soir le matraquage des sites d’informations financières concernant Apple. La valeur bat record sur record, même si cela se joue à quelques cents près ; elle se retrouve en rupture de stock sur son dernier iPhone, et va aller tester les 1 000 $ d’ici mars 2013. Nous assistons déjà à 73% de hausse en 2012 et 100% depuis le 5 octobre 2011, il n’y a pas de raison que ça s’arrête !
Partout Apple fait les gros titres… Partout Apple distrait l’attention des épargnants de l’essentiel, à savoir que 75% des entreprises cotées voient leurs profits stagner ou se contracter depuis le début de l’année.
Alors oui, effectivement, un portefeuille sans Apple, c’est une perte de temps et d’argent. Mais est-ce que le destin de toute une épargne retraite se résume désormais au succès commercial d’un gadget électronique conçu en Californie (et pour une bonne part au Japon) mais fabriqué en Chine pour être vendu au prix fort à des Occidentaux en mal de reconnaissance sociale ?
▪ Le mystère de la chute du WTI
Ce tapage médiatique autour d’Apple n’est pas innocent. Nous voyons se multiplier depuis le début de la semaine les manoeuvres visant à distraire l’attention des foules des véritables sujets économiques.
Apple fait oublier à Wall Street la question insoluble de la « falaise fiscale » qui pourrait soit plonger les Etats-Unis en récession (en cas de hausse des impôts), soit provoquer une chute de confiance des créanciers avec une perte du Triple A et tout un cortège de conséquences désagréables sur le coût de refinancement de la dette.
Apple distrait également les commentateurs d’une affaire assez sérieuse et qui reste mystérieuse. Il s’agit du plongeon inexpliqué de 3 $ du baril de pétrole WTI en quelques dizaines de secondes, peu de temps avant la clôture du NYMEX lundi soir.
Les spécialistes des commodities ont d’abord évoqué une erreur de passation d’ordre : 20 000 contrats auraient été passés à la vente au lieu de 2 000, mais cette piste ne semble pas pertinente.
Il a été aussi question d’un bug sur un programme d’algotrading — encore un emballement de robot devenu incontrôlable, comme le 10 mais 2006… Mais l’absence de rebond ce mardi (-1,2% à 95,5$) invite à se demander si la rechute du WTI n’est pas plus fondamentale — le QE3 ne relancera rien du tout.
Si quelqu’un a effectivement liquidé 20 000 contrats entre 97,5 $ et 94,5 $ lundi soir, ce n’est donc pas si mal vendu !
Dans un tout autre domaine, géopolitique cette fois, il y a cette brusque résurgence des tensions sino-japonaises au sujet des îles Senkaku. L’enjeu reste la possibilité d’exploiter des ressources gazières et pétrolières dans le périmètre des eaux territoriales de ces bouts de rochers inhabités (que Taïwan revendique également).
Il en a résulté des attaques d’enseignes japonaises implantées en Chine, l’incendie de concessions automobiles… et par ricochet des fermetures d’usines Toyota, Nissan ou Honda dès lundi matin.
▪ La Chine bouderait-elle les Etats-Unis ?
Côté autorités chinoises, la condamnation officielle des violences ne trompe personne car aucune manifestation (soi-disant spontanée) ne peut se dérouler sans que les autorités ferment les yeux. Voilà un doux euphémisme qui ne traduit que notre désir de rester politiquement correct. Rappelons que la Chine est équipée de milliers de caméras qui surveillent tous les lieux publics du pays.
Ce scénario ne nous étonne guère. Nous avons vu cet été des milliers de chantiers immobiliers pratiquement à l’arrêt, les parkings de certaines concessions saturées de véhicules invendus. Les Occidentaux se demandaient en plus où était passé durant 15 jours Xi Jinping, le successeur désigné de Hu Jintao.
Le futur numéro un chinois est resté invisible durant la première quinzaine de septembre — officiellement pour cause de mal de dos — et il aurait annulé pour ce motif une importante entrevue avec Hillary Clinton. La plupart des dirigeants de ce monde ont coutume d’honorer leurs engagements, y compris jusque sur leur lit de mort… étrange prétexte médical que des douleurs lombaires !
A moins que le message implicite soit que la Chine en a « plein le dos » des Etats-Unis, de leurs déficits abyssaux et de leur planche à billets.
Nous plaisantons… et pour en revenir à l’affaire des quelques îlots désertiques perdus en mer de Chine, c’est un long feuilleton dont les épisodes ne surgissent jamais par hasard. Pékin s’ingénie à réveiller la fibre nationaliste chaque fois que les conditions économiques se dégradent à l’intérieur.
Rien de tel que d’exciter le ressentiment séculaire anti-japonais — toujours très présent dans les esprits. Cela permet de viser indirectement son allié américain, et de rappeler que les Occidentaux font tout pour causer des problèmes commerciaux à la Chine et l’isoler sur la scène internationale.
▪ Paris fait grise mine…
Malgré toutes les distractions proposées aux investisseurs mardi, Paris (-1,15%) en terminait tout près des plus bas du jour, pour cause de sell off durant le fixing (entre 3 526 et 3 512 points).
Nous avons été habitué tout au long de l’été au scénario inverse : quelques acheteurs se sont-ils fait coincer les doigts et n’ont pas voulu prendre le risque de rester long jusqu’à mercredi matin ?
Wall Street n’y était strictement pour rien vu la stabilité déconcertante des marchés américains entre 15h35 et 17h35.
La clôture des places européennes a été clairement négative (-1,17% pour l’Euro-Stoxx 50) malgré des nouvelles macro-économiques plutôt rassurantes… mais les opérateurs ne s’en sont pas préoccupés.
Les investisseurs n’avaient pas réagi positivement à 11h lors de la publication de l’indice ZEW du sentiment économique en Allemagne. C’est pourtant une bonne surprise puisque le baromètre mensuel remonte en effet de 7,3 points à -18,2 ce mois-ci, mettant un terme à quatre mois de repli consécutifs (les économistes attendaient une remontée vers -20).
▪ … et Wall Street aussi !
Pas davantage de réactions à la hausse de confiance dans le secteur de la construction de logements aux Etats-Unis. Elle progresse (+3 points à 40) pour un cinquième mois consécutif (l’indice NAHB/Wells Fargo atteint son plus haut niveau depuis juin 2006).
Wall Street a zappé — dans le même élan d’indifférence — la déclaration du président de la Fed de Dallas, Richard Fisher, qui juge que le QE3 aura peu d’effets économiques même s’il redonne temporairement confiance aux marchés.
Depuis 72 heures, la question de la confiance nous semble de toute façon un peu à côté de la plaque. Wall Street affiche un électro-encéphalogramme plat pour la troisième séance consécutive et cela ne doit certainement rien au hasard !
Les indices américains ont clôturé mardi aux mêmes niveaux qu’à 16h, 17h30 ou 20h15, c’est-à-dire +0,09% sur le Dow Jones, -0,15% sur le S&P.
Plus emblématique, il y avait ce score nul (-0,02%) sur le Nasdaq. L’indice a été maintenu à flot par la magie du titre Apple (désolé, on y revient toujours), tiré tout comme la veille à la hausse au cours de la dernière heure pour en terminer sur un nouveau record de 702 $.
Tout comme la veille, des heures et des heures de lente glissade n’ont abouti qu’à des écarts n’excédant pas -0,3% ; la quasi-totalité du terrain a été reprise au cours du dernier quart d’heure.
▪ Attention au VIX
Si beaucoup d’opérateurs ont la journée des « Quatre sorcières » (ce vendredi 21/09) en ligne de mire, une autre échéance — beaucoup moins connue du grand public — se profile pour ce mercredi. Le basculement sur le mois d’octobre des contrats sur l’indice VIX.
Le but poursuivi depuis vendredi dernier semble être de geler la volatilité du marché, de façon à ce que le VIX soit compensé près de ses planchers historiques (entre 13,5 et 15, des scores remontant au printemps 2007).
Autrement dit, ceux qui déploient tant d’efforts afin d’annihiler toute fluctuation indicielle sont très probablement vendeurs de volatilité depuis fin août. Pas question de la laisser bêtement ressurgir à quelques heures de l’expiration des contrats du millésime septembre.
A moins d’un cataclysme, Wall Street était voué à une inexorable stagnation jusqu’à l’ouverture des échanges ce mercredi… ensuite, le marché ira ou il veut, c’est un nouveau mois qui commence.
Nous serions même tenté de dire : une nouvelle ère…