Les marchés veulent croire dans les chances d’un cheminement vers la paix en Ukraine et dans la désinflation grâce à la baisse des prix de l’énergie.
L’année 2023 démarre très fort en Bourse, avec trois séances de hausse consécutives pour un gain cumulé de 4,7%. C’est une sorte de remake – en mode survitaminé – de l’entame boursière de 2022, avec également trois séances positives d’affilée, mais une progression de 3,1%.
Nous avons gardé en mémoire les commentaires positifs qui accompagnaient cette belle entrée en matière, synonyme d’heureux présages : l’inflation qui s’était accélérée fin 2021 – sans pour autant freiner le rally boursier – n’allait pas tarder à s’inverser, Vladimir Poutine bluffait et n’envahirait pas l’Ukraine avant que toutes les solutions diplomatiques soient épuisées, les entreprises allaient continuer de gagner beaucoup d’argent sur leur lancée de 2021, même si les banques centrales promettaient de mettre fin aux taux zéro… parce que nos économies pouvaient désormais s’en passer.
Un ralentissement bienvenu
Et les planètes semblent de nouveau alignées début 2023 : l’Insee a publié ce 4 janvier un ralentissement surprise de l’inflation en France au mois de décembre, de 6,2% vers 5,9%, alors que l’institut redoutait une envolée vers 6,6%.
L’ensemble des économies de la zone euro profite d’une forte baisse des prix du gaz grâce à une clémence historique de la météo, avec des températures dignes d’un mois de mai entre Noël et le Jour de l’an.
L’Europe a très peu puisé dans ses réserves de gaz et l’Allemagne en particulier pourrait tenir cet hiver sans devoir faire appel à la France… et même être en capacité de lui fournir des MWh produits au gaz en cas d’indisponibilité – ou de retards de remise en route – de certains de nos réacteurs nucléaires.
En ce qui concerne la guerre en Ukraine, le Congrès américain, qui n’est plus exclusivement démocrate, pourrait considérer que les Etats-Unis en ont maintenant tiré suffisamment d’avantages (ventes d’armes et de GNL, affaiblissement industriel de l’Europe) et qu’il serait de l’intérêt des entreprises américaines – notamment de BlackRock qui s’est engagé à financer Kiev pour le reconstruction des infrastructures du pays – que les présidents Zelensky et Poutine négocient afin de faire cesser les hostilités et de parvenir à un compromis permettant à chacune des parties de revendiquer une victoire.
La synthèse des déclarations d’officiels russes depuis mars dernier suggère que le Kremlin espère obtenir le contrôle des rives de la mer d’Azov, l’application des accords de Minsk concernant le Donbass, et la neutralité de l’Ukraine, qui renoncerait à intégrer l’Otan. Kiev reprendrait en échange le contrôle des ports de la mer Noire et croulerait durant des années sous les liquidités occidentales issues de la planche à billet et de « généreux donateurs » (récompensés sous forme de contrats de reconstruction).
Moscou se trouverait symétriquement confronté à un coûteux soutien économique des provinces annexées (sans disposer des moyens financiers de l’Allemagne de l’Ouest lors de la réunification, par exemple) et à l’obligation d’y maintenir de nombreuses troupes pour maintenir la paix entre les différentes communautés et sécuriser les frontières des provinces russophones.
De quoi alimenter du mécontentement au sein de certaines fédérations de Russie qui ont fourni des troupes mais n’ont pas « été payées de retour ». De plus, si le rouble ne s’est pas effondré avec les sanctions occidentales, il est devenu inconvertible, tandis que la croissance a bel et bien chuté, que tout le pays – et ses habitants, majoritairement pacifistes – se retrouvent coupés de l’Occident, et le coût humain des combats en Ukraine est élevé.
Bien plus que ne le fut l’Afghanistan pour l’URSS sur une durée de 9 ans : une guerre qui n’avait fait « que » 14 500 morts et 54 000 blessés, alors que 50 000 à 100 000 soldats russes auraient trouvé la mort en seulement 10 mois en Ukraine.
Cela pourrait finir par fragiliser politiquement Poutine et déstabiliser le Kremlin, tout comme ce fut le cas pour Gorbatchev avec l’achèvement de la mésaventure afghane.
Ce que la paix ne changerait pas
Les marchés veulent croire – comme nous – que les chances d’un cheminement vers la paix l’emportent sur les risques d’une intensification ou, pire, d’une généralisation du conflit vers l’ouest du Vieux Continent (Poutine poursuivant son rêve impérial de reconquête de l’Ukraine puis de la Moldavie/Transnistrie).
Cependant, même si le conflit cessait, il n’est pas certain que l’Otan et Washington autoriseraient la réimportation de gaz russe par l’Allemagne. Et, dans l’hypothèse d’une situation géopolitique stabilisée, les Etats-Unis se tailleraient la part du lion pour la reconstruction de l’Ukraine, l’Europe se contentant des miettes, et ne pourrait nourrir de grands espoirs de se voir rembourser le matériel militaire fourni à Kiev. Les Ukrainiens ne manqueront en revanche pas de commander des chars, des avions de chasse, des systèmes anti-aériens et des drones aux VRP de l’industrie de l’armement américaine, qui sont sur place depuis 2014.
Tout le monde ne peut que souhaiter le retour de la paix – y compris au Yémen et en Ethiopie, où il y a déjà eu 10 fois plus de victimes civiles qu’en Ukraine, dans un silence médiatique assourdissant –, mais les investisseurs européens surestiment peut-être les avantages que l’Allemagne, la France, l’Italie, la Pologne pourraient tirer d’un règlement du conflit entre Kiev (et Washington) et Moscou.
Cela occasionnerait naturellement une bouffée d’euphorie sur les marchés, mais le CAC 40 ou l’Euro Stoxx 50 ont déjà repris plus de 20% en trois mois. Cependant, cela ne changera rien à la vétusté de nos centrales nucléaires, à la persistance d’un système ubuesque de fixation du prix du MWh en Europe, ou au poids de la dette accumulée par la France depuis mars 2020 avec la « guerre contre le Covid » puis les boucliers tarifaires ainsi que les chèques énergie déployés depuis mars dernier et la guerre en Ukraine.