Pourquoi passer du temps à réfléchir à une allocation d’actifs traditionnelle sur les marchés financiers ? Après tout, les réflexes traditionnels deviennent de plus en plus inappropriés…
Aujourd’hui, il devient presque inutile de savoir si tel actif ou tel actif va monter ou baisser en regardant les fondamentaux ou les primes de risque.
De même, l’on finit par se demander à quoi cela sert de mettre en place une allocation d’actifs – que ce soit en fonction de considérations macro-économiques (anticipations de politique monétaire, d’inflation et de croissance)…
… En fonction de considérations micro-économiques (PER des entreprises)…
… Ou encore en fonction des modèles traditionnels d’optimisation du couple risque-rendement (les corrélations historiques entre classes d’actifs volent en éclat et les classes d’actifs les plus risquées ne sont plus forcément les mieux rémunérées).
C’est dommage… mais c’est ainsi ; il faut apprendre à réapprendre.
Et ces nouvelles leçons pourraient être très profitables…
Des hedge funds aux algorithmes
Il faut désormais faire évoluer votre référentiel d’analyse. Il s’agit plutôt, pour prévoir les évolutions des marchés financiers, de mettre en place des scénarios sur le comportement et la situation des banques centrales.
Il faut aussi en passer par une étape sans doute plus compliquée : il s’agit de scruter le comportement de gros hedge funds ou fonds souverains en matière de paris directionnels.
Certes, me direz-vous, les paris des hedge funds s’appuient sur des fondamentaux… mais on ne peut pas en dire autant du trading algorithmique.
Eh oui ! Les modes de négociation « modernes » des instruments financiers via des plateformes de trading génèrent des décalages aussi brutaux qu’inexpliqués (dont la meilleure illustration est ce que l’on appelle désormais les « flash krach »).
Que se passe-t-il en réalité ? Des ordinateurs ultra-rapides fractionnent, achètent et vendent des titres en très peu de temps. L’intervention humaine se limite à choisir l’algorithme qu’il faut lancer puis à contrôler la machine.
Le risque inhérent à la détention d’une position prise isolément est faible puisque celle-ci est très souvent tenue moins de cinq secondes, ce qui crée une volatilité inutile et indésirable.
Ne perdez pas votre temps… et votre argent
Qu’ils sont loin, les fondamentaux et la réflexion sur les anomalies de valorisation… et qu’il est inutile de perdre son énergie et son argent à pester contre la surévaluation de tel ou tel actif financier !
Nous faisons nôtre l’idée selon laquelle, à long terme, les fondamentaux finissent toujours par triompher… A long terme, les lois économiques ne peuvent être transgressées sans dommage… A long terme, la valeur d’un actif ne peut être déconnectée de sa valeur fondamentale (à savoir la valeur actuelle des flux futurs de revenus plus ou moins certains que cet actif va générer).
D’accord, mais… où et quand se situe ce long terme ? Sans compter que tout le monde ne dispose pas du temps et de la solvabilité pour patienter et attendre.
En tout cas, il est nécessaire de réapprendre la finance quel que soit votre background et votre expérience. Pour trois types de raisons.
Les marchés financiers qui ne donnent plus de signaux de prix rationnels
On a souvent écrit, ces derniers mois, que certains marchés financiers ne fonctionnaient plus comme des marchés libres mais étaient « manipulés » par des politiques non-conventionnelles.
Le meilleur exemple depuis 2009 dans le monde anglo-saxon et depuis 2014 en Europe continentale est celui des marchés obligataires de dettes publiques, avec la mise en œuvre des quantitative easing et la quasi-disparition du fonctionnement concurrentiel de ces marchés : présence d’un acheteur massif en dernier ressort nommé banque centrale avec toutes les conséquences que cela implique en termes de surévaluation de nombreux actifs obligataires.
Cette situation peut être généralisée, si bien que le nouveau mode de fonctionnement des marchés financiers ne conduit plus à la formation de prix librement fixés par le jeu de l’offre et de la demande, lesquelles offre et demande doivent être influencées par des fondamentaux micro-économiques ou macro-économiques.
On peut aujourd’hui constater que la valorisation de nombreux actifs financiers (et les principales classes sont concernées) ne s’explique pas ou plus par leur valeur fondamentale :
– Une obligation d’Etat dont le cours (et donc le taux de rendement actuariel associé) ne rémunère pas forcément le risque de solvabilité de l’émetteur de cette obligation.
– Une obligation corporate dont l’écart de crédit vis-à-vis des actifs dits « sans risque » ne rémunère pas forcément le risque de défaut
– Enfin une action dont le cours est déconnecté des perspectives sur les bénéfices futurs
Aléa moral
Il y a bien sûr derrière tout cela la monétisation systématique des déficits publics – et donc le fait qu’une partie de plus en plus importante des dettes publiques est détenue par les banques centrales.
Sans oublier que la liquidité fournie par la banque centrale qui achète ces actifs est « donnée » aux marchés financiers (traders, hedge funds et investisseurs) – lesquels achètent à leur tour des actifs financiers en fonction de leur appétit pour le risque et de leurs anticipations… mais aussi et surtout sans une grande sélectivité, puisqu’ils se reposent sur cet aléa moral.
Souvenons-nous que cet aléa moral gouverne les marchés financiers depuis plus de 10 ans. Il est représenté par le fameux put des banquiers centraux, qui offre à l’investisseur une assurance certes non explicite mais quasi-inconditionnelle d’impossibilité de baisse des cours de nombreux actifs financiers en-deçà d’un certain niveau.
Pourquoi cette obstination des banquiers centraux ? En réalité il ne s’agit pas tant d’obstination que du piège de la financiarisation des économies créé par les banques centrales elles-mêmes.
Au début de l’histoire, on crée de la monnaie à travers des opérations exceptionnelles pour conjurer le risque systémique bancaire (nous sommes en 2009-2010)… suite à quoi nous rentrons dans une spirale et une irréversibilité, avec une dépendance des banques et des marchés vis-à-vis de la liquidité banque centrale.
C’est parce que ces économies sont aujourd’hui hyper-financiarisées que l’arrêt des injections de liquidité – ou même une moindre progression de la liquidité créée – provoquerait de violents effets de richesse négatifs.
Sans doute faudra-t-il un jour se rendre à l’évidence que la hausse continuelle du prix des actifs financiers n’est pas la solution aux problèmes structurels de l’économie, et que ce n’est pas non plus la condition de la mise en place d’un processus de croissance saine et équilibrée.
Ne vaudrait-il pas mieux prendre le risque de petits effets de richesse négatifs que de continuer à entretenir une économie de bulles ?
Après tout, supposer que la hausse des prix des actifs crée un effet positif de richesse en soutenant la demande et l’investissement n’est pas toujours pertinent.
La réalité est plus complexe : si le prix d’une classe d’actifs augmente, les détenteurs de cet actif sont enrichis, mais ceux qui doivent acheter cet actif sont appauvris. L’exemple du marché immobilier est éloquent puisque la hausse des prix enrichit les propriétaires d’immobilier… mais évince les acheteurs futurs ou les conduit à s’endetter plus et plus longtemps.
A suivre…