Avant d’investir dans un actif ou un autre, mieux vaut se demander si une banque centrale ne va pas intervenir sur les marchés ou annoncer un changement de politique qui fera chuter son prix dans les prochains jours…
Nous l’avons vu hier, pour effectuer une bonne allocation d’actifs en 2022, il n’est plus possible de se contenter d’observer les politiques monétaires ou fondamentaux des entreprises. Il est nécessaire d’aller plus loin, et de se pencher sur les chances que différents scénarios pourraient avoir d’influencer les banques centrales ou les plus grands fonds d’investissement à agir d’une manière ou d’une autre.
Le scénario affectant toute allocation d’actifs cette année dont nous étudions la probabilité était celui qu’un krach obligataire survienne. Le dernier grand krach obligataire s’est produit en 1994.Pourrait-il se reproduire aujourd’hui ? Nous ne le pensons pas. Notamment car ce krach fut déclenché par la décision complètement inattendue de relever les taux directeurs de la Fed.
Depuis, la communication des banques centrales a bien changé, avec des annonces qui permettent d’anticiper leurs décisions.
Un ralentissement très progressif
Selon ses dernières annonces au moment d’écrire ses lignes, la Réserve fédérale devrait ainsi stabiliser la taille de son bilan dans les prochaines semaines, avec l’arrêt du tapering programmé pour la fin du T1 2022 et la mise en place d’un cycle de hausse des Fed Funds à partir de cette même période (il reste certes beaucoup d’incertitudes sur la durée du cycle de durcissement de la politique monétaire et l’ampleur de la hausse).
Du côté de la BCE, la hausse des taux d’intérêt n’est pas prévue aussi rapidement (et les taux du marché monétaire ne remonteraient de toute façon pas durablement, du fait de l’excès d’offre de liquidités qu’elle a provoqué depuis plus de 10 ans), mais a annoncé la réduction de la taille de son programme d’achats d’actifs à partir d’avril 2022.
En clair, les cycles de politique monétaire restrictive du passé (jusqu’en 2008) sont désormais remplacés par un travail de communication plus ou moins pertinent, mais globalement compris par les marchés de taux, ce qui limite les surréactions.
D’abord, la banque centrale qui veut rendre sa politique monétaire plus restrictive va prévenir que les mesures exceptionnelles vont disparaître dans les X mois à venir. Par exemple, la Fed avait annoncé en mai 2013 une normalisation entre janvier et octobre 2014.
Puis elle va annoncer qu’un changement de politique monétaire devrait intervenir dans les Y mois qui suivent (dans le but là encore de préparer les marchés et les banques à la fin des mesures accommodantes). Ceci correspond dans notre précédent exemple à la période octobre 2014-septembre 2015.
Aujourd’hui, la normalisation de la Fed serait officiellement moins étalée dans le temps.
Parier contre les banques centrales ?
Mais attention, dans la réalité, les choses ne sont pas aussi simples. Et ce n’est pas parce que la banque centrale annonce de façon assez explicite son calendrier de normalisation monétaire que ce calendrier sera respecté.
« Don’t fight central banks » (ne luttez pas contre les banques centrales), dit-on souvent. C’est vrai que, lorsqu’elles ont décidé d’assouplir leur politique monétaire et d’injecter des liquidités, il est dangereux d’être contrarien. Par contre, il est moins dangereux d’être contrarien dans l’autre sens, à savoir quand les banques se préparent à durcir leur politique monétaire.
Eternelle dissymétrie des décisions de politique monétaire : des banques centrales très réactives pour baisser leurs taux dès l’apparition d’un ralentissement de la conjoncture ou, pire, dès que des craintes de risque systémique surviennent ; puis, dans le sens inverse, peu enclines à remonter leurs taux directeurs lorsque le cycle économique devient fort.
Patrick Artus, patron des études économiques de Natixis, a publié un article intéressant sur ce sujet récemment : « Est-il déjà arrivé que les banques centrales changent d’avis ? »
« Aujourd’hui, [la Fed et la BCE] annoncent une sortie des politiques monétaires très expansionnistes, rapide aux États-Unis. […]
Pourtant, on peut penser que la croissance de 2022 ne sera pas très bonne et que les banques centrales finalement hésiteront à mener une politique monétaire plus restrictive.
A-t-on déjà vu dans le passé que les banques centrales changent d’avis en raison des conditions économiques, c’est-à-dire annoncent un durcissement de la politique monétaire, commencent ce durcissement, puis arrêtent ou même reviennent à une politique monétaire plus expansionniste ?
Cela s’est produit assez souvent :
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- aux États-Unis, en 1995, 2000, 2003, 2019 ;
- dans la zone euro, en 1993 et 1998 (Bundesbank avant l’existence de la BCE), 2000, 2012, 2015.
Ce revirement des banques centrales pourrait donc aussi se produire en 2022. »
Le risque du changement de politique monétaire
En effet, Le problème, c’est que pendant ces périodes de transition monétaire, des éléments exogènes peuvent venir perturber la normalisation de la politique monétaire. En ce moment, ce pourrait tout simplement être un ralentissement de la conjoncture et finalement un tassement de l’inflation. Ou, encore plus simplement, un choc extra-économique qui viendraient brutalement renforcer l’aversion au risque, comme les dernières actualités sur le plan géopolitique. La gravité de la situation géopolitique avec l’invasion de l’Ukraine par la Russie est de nature à provoquer un retour d’une forte aversion au risque et à contrarier les plans de « durcisssement » monétaire des banques centrales
Dans ces conditions, l’argument mis en avant par certains observateurs sur les risques de précipitation des banques centrales dans le durcissement de leur politique monétaire n’a jamais été pertinent.
Au contraire, il aurait fallu pouvoir durcir la politique monétaire le plus tôt possible pour déshabituer les marchés et l’économie aux conditions de crédit trop faciles (et donc pour éviter les bulles et les krachs). Cela aurait permis d’insensibiliser un peu plus l’économie à la santé des marchés financiers et, surtout, de disposer de marges de manœuvre monétaires réelles si l’économie faiblissait à nouveau.
C’est ce qu’a souvent fait la Fed, même tardivement. Pire, c’est ce que la BCE n’a jamais commencé à faire… à tel point que l’on peut se demander si celle-ci pourra un jour normaliser sa politique monétaire. Car, plus l’on tarde à durcir sa politique monétaire, plus il devient difficile de le faire.
Il restera toujours un peu d’intervention
Globalement le put des banquiers centraux ne disparaîtra pas malgré un durcissement de leur discours.
Pourquoi employer la terminologie du put ? Lorsque vous êtes vendeurs d’un put sur un actif financier à un niveau de prix déterminé, cela signifie que vous pariez sur l’impossibilité que cet actif descende en dessous de ce prix (et vous êtes donc en face d’un acheteur qui spécule ou se couvre contre la baisse du cours de cet actif).
Notez que, sur un véritable marché, en tant que vendeur du put, vous pouvez être exercé par l’acheteur en cas de forte baisse du cours de l’actif et perdre beaucoup d’argent.
Rien de tout cela avec le put des banquiers centraux, qui offre à l’investisseur une assurance – certes non explicite, mais quasi-inconditionnelle – d’impossibilité de baisse des cours de nombreux actifs financiers en deçà d’un certain niveau. Autrement dit, dès que ce seuil est atteint, la banque centrale interviendra pour acheter ces actifs financiers.
Ces niveaux sont naturellement inconnus, mais une des fonctions des intervenants des marchés est de chercher en permanence à les « deviner ». Tout au plus peut-on penser aujourd’hui que le prix d’exercice des puts se sont un peu ajustés, avec une tolérance des banquiers centraux pour des niveaux de taux longs un peu plus hauts (mais pas trop hauts pour autant) et des niveaux d’indices boursiers un peu plus bas (mais pas trop non plus).
En somme, les comportements d’investissement resteront similaires après la digestion de discours un peu plus « hawkish » (moins accommodants), du fait de cette assurance.
Nous verrons demain pour finir cette petite série d’articles ce que cela veut dire pour votre allocation d’actifs cette année.