** Aucune politique gouvernementale n’est stupide au point que les Romains n’y avaient pas pensé auparavant.
* Dans la Ville éternelle, le visiteur, même s’il est déjà venu de nombreuses fois, reste toujours bouche bée, le coeur battant. La cité est une ruine magnifique… un vaste memento mori rappelant toutes les absurdités et toute la corruption connues de l’homme. Nous commençons ab ovo, comme disaient les Romains — depuis l’oeuf.
* Tout au bout du Largo Torre de Argentina, par exemple, se trouve l’endroit où le corps de Jules César a été percé de trous d’aération. Pauvre Jules. Sa femme l’avait prévenu. Son devin l’avait prévenu. Même ses amis l’avaient prévenu que quelque chose se tramait. Malgré tout, l’homme qui avait conquis la Gaule et ramené Vercingétorix enchaîné à Rome, avant de triompher dans la guerre civile contre l’un des plus grand généraux de Rome, Pompée, renvoya ses gardes et tomba dans une embuscade à deux sous tendue par des politiciens — dont l’un d’entre eux était probablement son propre fils. "Tu quoque, fili mii" dit-il à Brutus alors qu’il s’effondrait, mortellement blessé. Mais telle est bien la chose la plus étonnant au sujet des Romains — et de l’homme moderne : même lorsque les pièges sont aussi évidents que Bagdad ou des sauvetages bancaires, ils s’y ruent les yeux fermés.
* Et là… la Domus Aurea, le palais doré de Néron ; un endroit où la débauche était telle que la royauté britannique — à l’exception peut-être d’Edward — semble angélique en comparaison. La mère de Néron était la soeur de Caligula, avec qui elle entretenait "une relation interdite". Elle complota contre Caligula, et une fois ce dernier écarté, elle épousa son oncle, Claudius. Elle empoisonna Claudius… ainsi que son fils Britannicus, pour que son propre fils d’un précédent mariage — Néron — puisse devenir empereur. Puis, craignant d’être en train de perdre la main sur son fils, elle le séduisit. Mais il était déjà si accro aux relations avec des esclaves, des femmes de sénateurs et de jeunes castrats que ses charmes maternels ne purent rien. Elle essaya donc de le tuer. Il la devança, envoyant ses soldats l’embrocher.
** Notre sujet, c’est l’argent et non l’histoire. Mais aujourd’hui, nous fouillons les profondes poubelles de Rome pour tenter d’en apprendre quelque chose.
* Tout a commencé à mal tourner à l’époque de Marc Aurèle, s’accordent à dire la plupart des historiens. Les soldats revenant des guerres parthes apportèrent avec eux la première grande épidémie de peste. Il y eut une révolte en Egypte. Et les tribus germaniques franchirent le Rhin et le Danube.
* Mais le véritable problème a commencé bien plus tôt, pratiquement ab ovo. Depuis le début, les Romains cherchaient des noises à leurs voisins. La petite colonie était à court de femelles — si bien que les Romains enlevèrent les femmes d’une tribu locale. A partir de là, ils soumirent une tribu après l’autre. Et chaque campagne réussie élevait la puissance et la richesse de Rome, menant — comme l’antipasto au primo platti — à la campagne suivante.
* En termes de business model, la stratégie de Rome avait des failles évidentes ; comme une bulle de crédit, elle avait besoin d’une constante expansion. Malgré tout, c’était agréable au début. Les premiers jours de l’empire romain ressemblaient à ceux de l’empire britannique, ou de l’hégémonie américaine. L’expansion ouvrait de nouveaux marchés et apportait de nouvelles sources de matières premières à meilleur prix. Il y avait du butin, mais aussi des esclaves.
* Rien n’échoue comme le succès. Les esclaves influencèrent le marché de l’emploi de l’époque, un peu comme les paysans chinois et indiens sur les salaires actuels. Le prix de la main d’oeuvre chuta. Autre conséquence connue : l’augmentation de la spéculation, et ce que nous appellerions la "financiarisation" de l’économie. Au lieu de cultiver eux-mêmes, les Romains ambitieux sous-traitèrent, mettant en place d’immenses domaines dans tout l’empire, cultivés par des esclaves. Cela fit baisser plus encore les prix des produits agricoles. Les petits propriétaires indépendants n’étaient pas de taille. Ils rejoignirent les villes, ou l’armée.
* L’expansion romaine atteignit ses limites sous Trajan. La machine militaire changea, passant d’une institution profitable tenue par des Romains à une coûteuse force de maintien de la paix composée en majeure partie de barbares. On n’entendait plus le bruit des chaînes sur les marchés aux esclaves. Et c’est là que les véritables problèmes commencèrent. Le gouvernement avait commencé à distribuer du pain gratuit, afin de maintenir le calme — un programme qui ressemble aux réductions d’impôts actuelles. Ensuite, la balance commerciale de Rome devint de plus en plus négative. Cela provoqua une autre chose qui nous est familière : l’inflation. Néron a soustrait 10% d’argent-métal au denarius. Sous Marc Aurèle, on passa à 75% en moins. Et au troisième siècle, le denarius était fait de cuivre, avec une mince couverture d’argent. Les prix à la consommation grimpèrent en flèche. La solution de Dioclétien ressemblait d’assez près à ce que Richard Nixon ferait de nombreuses années plus tard — un système de contrôle des prix.
* Sans esclaves arrivant dans la ville, Rome se tourna vers les petits fermiers qui restaient. Pour commencer, l’Etat subventionna les agriculteurs — avec les alimenta. Ensuite, cherchant désespérément de la nourriture, les autorités réquisitionnèrent directement des céréales et du bétail… et forcèrent les agriculteurs à rester sur leurs terrains, comme des serfs. La situation des fermiers devint si misérable qu’ils commencèrent à se vendre en esclavage. Le trafic enfla à tel point que le gouvernement interdit cette pratique en 368 av. J.C..
* Les politiciens et les banquiers centraux modernes n’ont rien inventé. Les sauvetages… les stimulants monétaires… les subventions… les distributions — les Romains avaient une solution pour tous les problèmes. Et chaque solution apportait de nouveaux problèmes… jusqu’à ce que leur poids écrase tout l’empire.