** Nous attendions de revoir le CAC 40 à 5 081 points depuis le 1er avril dernier, suite au débordement des 4 780 points survenu à l’occasion de la séance inaugurale du deuxième trimestre 2008 (l’indice avait bondi de 3,3% en quelques heures)… C’est un nouveau rally haussier de +1,45%, survenant une fois encore lors de l’entame d’un nouveau mois boursier, qui permet au marché parisien de s’affranchir de la résistance des 5 000 points et de refermer un gap resté béant depuis le 18 janvier dernier.
Après trois séances hésitantes, la situation s’est soudain débloquée avec la publication des chiffres de l’emploi aux Etats-Unis : de 0,4% mercredi, le gain hebdomadaire du marché parisien est passé à 1,85% en clôture vendredi, à l’issue d’une semaine écourtée par le pont du 1er mai. Tout s’est passé très vite — si vite que tout s’est joué en deux minutes ! Le CAC 40 a pris 1,20% à 9h01, testant les 5 060 points avant de consolider jusque sur l’ex-sommet des 5 030 points inscrit lundi. Il a ensuite grimpé de 1% en quelques secondes à 14h31, refermant instantanément le gap des 5 081 points.
En dehors de ces deux minutes décisives, la séance du 2 mai ressembla à n’importe quelle autre séance de bourse enchâssée au milieu d’un long « pont » de quatre jours. Compte tenu de l’absence de cotations jeudi, le volume de 5,8 milliards d’euros traité ce vendredi était parfaitement anodin en regard de la volatilité indicielle ; le CAC 40 a flirté avec les 5 100 à 90 minutes de la clôture avant de décliner légèrement en direction des 5 070 points… qui constituera le score final.
** Le test des 5 100 points… voilà donc un heureux évènement qui nous renvoie à une période bénie où le nom de Jérôme Kerviel n’était connu que de quelques responsables de trading sur les dérivés indiciels européens (avant de devenir une unité de mesure équivalente à une perte de cinq milliards d’euros)… une époque où personne n’envisageait qu’un Bear Stearns puisse faire faillite ou qu’un Credit Suisse puisse perdre 40 milliards de dollars sur les subprime (soit l’équivalent de cinq « Kerviels », après conversion en euros)… une époque où le pétrole valait à peine 90 $ (30% de moins que ce vendredi soir), tandis que le dollar cotait environ 1,45/euros (soit 10% de mieux que lundi dernier).
A la mi-janvier, le moral des ménages américains n’était pas au plus bas depuis 27 ans, ni celui des Français au plus bas depuis 21 ans… le nombre de logements neufs invendus aux Etats-Unis n’avait pas encore atteint les 11 mois de stocks (du jamais vu depuis 40 ans !)… le prix du riz était inférieur de moitié à celui que nous constatons aujourd’hui et le lait ou les corn flakes n’étaient pas encore considérés comme des produits de luxe… oui vraiment, c’était une autre époque, presque insouciante pour les salariés américains puisque le marché du travail était demeuré relativement robuste jusqu’aux ultimes semaines de l’année 2007.
** Nous évoquions un CAC 40 à 5 100 points deux paragraphes plus haut… mais que penser d’un Dow Jones revenu vendredi à 1% de son score de référence du 31 décembre 2007 dès l’entame de la séance, ou d’un Nasdaq 100 qui tutoie les 2 000 points, soit ses niveaux du 3 janvier 2008 ?
Les performances de tous ces indices entre le 2 janvier et le 2 mai vous semblent-elles avoir la moindre cohérence avec l’évolution des fondamentaux (matières premières, devises, inflation, investissement, production industrielle, etc.) ?
Vous seriez tenté de répondre non… mais c’est parce que vous sous-estimez la puissance du « moins pire que prévu » !
Or c’est bien sous ce régime que nous vivons depuis plus d’un mois : les statistiques économiques américaines sont à pleurer, le secteur immobilier est au purgatoire, les emprunteurs vivent un enfer… mais les chiffres de l’emploi sont… « meilleurs que prévus » au mois d’avril (20 000 emplois détruits au lieu des 80 000 attendus).
Il s’agit certes du quatrième mois consécutif de repli du marché américain de l’emploi, après la destruction de 240 000 postes au total sur les trois premiers mois de 2008… mais cela « aurait pu être pire ». Et le bonheur devient total lorsque les opérateurs découvrent que le chômage s’est replié vers 5%, contre 5,1% au mois de mars (et un taux attendu en hausse à 5,2% au mois d’avril).
Le secteur du bâtiment licencie en masse (-61 000), celui de la production de biens durables a détruit 110 000 emplois, 23 000 postes ont été supprimés dans le secteur financier (dont la moitié rien que chez Merrill Lynch et Citigroup), presque autant dans la distribution… mais grâce aux « services » — comprenez les petits jobs à tiers ou à quart temps — et aux recrutements de fonctionnaires (effet pyramides des âges oblige), les statistiques officielles nous proposent un tableau de l’emploi plutôt moins sombre que celui induit par différents sondages effectués auprès des salariés eux-mêmes.
** Même avec une lecture ultra-optimiste des dernières statistiques, vous avez encore du mal à vous convaincre de la crédibilité du rebond actuel ? Oubliez votre scepticisme vis-à-vis du discours haussier redevenu archi-dominant : les dernières réticences des acheteurs ont été balayées par une nouvelle intervention des banques centrales pour soutenir les marchés financiers.
Des dizaines de milliards de dollars supplémentaires sont mis à la disposition des banques américaines et européennes. Les montants bi-hebdomadaires passent de 50 à 75 milliards de dollars (soit neuf « Kerviels ») aux Etats-Unis ; quant à la BCE, elle offrira 50 milliards de dollars (six « Kerviels ») au lieu de 30 milliards de dollars, tandis que la Banque nationale suisse double le montant, passant de six à 12 milliards de dollars (1,5 « Kerviel’).
Il fallait bien ça : les différentes institutions financières impliquées dans la crise des dérivés de crédit ont déjà annoncé plus de 300 milliards de dollars (40 « Kerviels ») de dépréciations d’actifs, de pertes et de provisions sur créances douteuses.
Pour couronner toutes ces bonnes nouvelles, les commandes à l’industrie américaine se sont redressées au mois de mars (+1,4% au lieu de +0,2%) après une baisse de 0,9% en février (révisée de -1,3% en estimation initiale). Les effets positifs de la décrue du dollar commencent à se faire ressentir… au détriment des exportateurs européens.
Bah, pourquoi s’en soucier, puisque la bourse a retrouvé le sourire !
** Et puis nous ne remercierons jamais assez Henry Paulson pour avoir égayé nos neurones — qui faisaient relâche le 1er mai — avec cette affirmation incantatoire : « la crise financière est finie ».
C’est aussi véridique qu’un bulletin météo annonçant la fin de la tempête alors que le poste d’observation est en plein oeil du cyclone. Mais peu importe… puisque ceux qui prendront la mer sur la foi d’un tel communiqué ne seront bientôt plus en état de venir réclamer des comptes à celui qui l’a rédigé.
Philippe Béchade,
Paris