** Les conditions d’une poursuite du rally haussier des quatre dernières séances n’étaient clairement pas réunies hier, même si le rush des acheteurs vendredi dernier, dans des volumes supérieurs à sept milliards d’euros, pouvait préfigurer un test des 5 000 points ; l’objectif a été manqué à une vingtaine de points près en fin de semaine dernière.
La bourse de Paris, qui a clôturé en repli de 1,03%, constitue le parfait benchmark des places européennes puisque l’Euro Stoxx 50 consolidait de 1,02% et l’Eurotop 100 de 1,05%.
Après une envolée de 3,4% la semaine passée, il fallait bien s’attendre à ce que le CAC 40 souffle un peu. C’est ce qu’il a fait en cédant jusqu’à 1,52% à 4 885 points (vers 16h30) avant de se redresser au cours de la dernière heure pour terminer au-dessus des 4 910 points.
Parmi les principales raisons invoquées pour justifier le coup d’arrêt à la hausse des indices européens, les investisseurs pointaient du doigt la rechute du dollar sous 1,5920/euro sur fond de nouvelle flambée du baril de pétrole jusque vers un nouveau zénith de 117,60 $.
A partir de la mi-journée, les dégagements bénéficiaires se sont accélérés avec la publication d’une série de résultats trimestriels décevants aux Etats-Unis. Mattel (-7,5%) a ainsi vu ses ventes reculer de 2% — celles de Fisher Price ont plongé de 13% — et son résultat net basculer dans le rouge. Bank of America a dévoilé des profits en recul de 77% tandis que National City a réalisé une perte de 171 millions de dollars et va devoir procéder augmentation de capital de sept milliards de dollars.
** Wall Street n’a lâché pratiquement rien, en dépit d’un recul de 1,5% du compartiment bancaire. Le Dow Jones a reculé de 0,75% au cours des premiers échanges mais l’indice phare n’a pas tardé pas à rebondir sur l’ex-palier de résistance des 12 750 points, tandis que le Nasdaq revenait doucement mais sûrement à l’équilibre (au-delà du seuil des 2 400 points).
Nous ne savons pas de quelle manière le Nasdaq va gérer le débordement de la zone des 2 410/2 105 points — peut-être serait-il plus sage de revenir combler le gap des 2 248 points du 16 avril — mais l’enjeu est de taille. Nous pressentons qu’une clôture au-dessus des 2 413 points (zénith des 1er et 4 février derniers) pourrait préfigurer une envolée en direction des 2 600 points.
Le Dow Jones semble avoir ouvert la voie en pulvérisant, vendredi 18 avril, l’obstacle graphique et technique des 12 655 points (moyenne mobile à 100 jours) avec les 13 265 points en ligne de mire. L’intégralité des pertes subies depuis le 31 décembre 2007 serait alors effacée.
Si un tel scénario n’a rien d’absurde pour le spécialise de l’analyse des courbes indicielles, il aurait de quoi laisser perplexes les économistes. En effet, les perspectives de croissance mondiale en 2008 ont été abaissées d’un point au cours des trois derniers mois ; elles ont aussi été divisées par deux aux Etats-Unis, réduites d’un tiers dans l’Euroland et maintenues au niveau initial uniquement au Japon et dans les ex-pays de l’Est.
Seuls les pays producteurs de pétrole se sont vus créditer d’une possible accélération de leur PIB au cours des 12 ou 18 prochains mois — au-delà de 6,5% dans les Emirats et l’Arabie Saoudite. Il se trouve justement que de nombreux économistes s’interrogent sur l’émergence d’une bulle immobilière dans la péninsule arabique.
** Compte tenu d’une fièvre de construction qui n’a rien à envier à celle qui stupéfie les voyageurs qui se rendent à Shanghai, nous ne savons pas s’il faut s’extasier de voir la tour « Burj Dubaï » s’élever en cette mi-avril au-delà des 645 mètres au-dessus du niveau de la mer — c’est-à-dire plus de deux fois la hauteur de la Tour Eiffel.
Ce gratte-ciel, digne d’un conte des mille et une nuits, bâti au coeur de Dubaï, la capitale de l’argent roi au Moyen-Orient, mérite déjà le titre de plus haute construction humaine de l’histoire — un relais de télévision dans le Dakota du nord possédant une structure métallique haubanée de 630 mètres détenait ce record depuis 1963. Cependant, sa hauteur finale — tenue secrète — devrait dépasser les 700 mètres lors de son achèvement, prévu pour la fin de l’année 2008 ; ce sera 30 mètres de mieux que le plus haut sommet des Ardennes qui culmine à 678 mètres… en un amical salut au passage à nos lecteurs et abonnés belges.
C’est à se demander si son altitude est corrélée au cours du pétrole. Le facteur multiplicateur serait alors de six : un baril à 117 $ « donne » 702, s’il atteint 120 $, le Burj Dubaï devrait mesurer 720 mètres, etc.
Nous avons le sentiment qu’un tel bâtiment va s’avérer être un grand dévoreur d’énergie, mais des scientifiques affirment que des méga-constructions de ce type constituent une évolution incontournable dans des métropoles surpeuplées comme au Japon, en Chine ou en Inde.
Imaginez-vous emménager dans un confortable appartement — garanti sans vis-à-vis — au 160ème étage : nous vous recommandons d’étudier de près les charges de copropriété car les frais d’ascenseur ou d’adduction d’eau pourraient receler de mauvaises surprises… à moins que vous et votre famille ne soyez adeptes du base jump, ce qui vous permettrait de prétendre à une réduction de moitié de votre quote-part au titre des frais de déplacement dans l’immeuble — mais il vous faudra prévoir un budget conséquent pour le pliage quotidien de vos parachutes par des « petites mains » sri-lankaises ou indonésiennes.
** En vérité, l’architecture à degrés de type fractal de la tour Burj Dubaï nous évoque par beaucoup d’aspects à la fois le profit du Nasdaq entre octobre 1998 et septembre 2002, celui du pétrole depuis janvier 2007 et enfin celui du riz depuis juin 2005. Rien dans cette dernière envolée exponentielle ne prête à sourire comme nous le rappelle Françoise Garteiser dans sa chronique « Emeutes et petits déjeuners ».
La bulle des dot.com a ruiné beaucoup d’idiots qui l’avaient bien cherché, la flambée des denrées alimentaires frappe mortellement des populations qui n’ont rien demandé et qui ignorent jusqu’à l’existence de marchés à terme sur les céréales tels que la Chicago Board of Trade.
Si nous leur en expliquions les mécanismes, ils seraient probablement horrifiés : les fortunes qui se font et se défont au mépris de leur survie donnent la nausée ! Mais ils ne peuvent au mieux qu’en imaginer la sensation car, désormais, leurs estomacs sont vides. Le pain ou les galettes dont ils se nourrissaient quelques mois auparavant ne sont plus qu’un souvenir.
En l’espace de deux ans, les cours du blé ont triplé à Chicago, idem pour le maïs… et le riz semble bien parti pour connaître une frénésie spéculative qui risque de figurer bientôt dans les manuels d’histoire.
Toute la mécanique du CBOT s’est emballée lorsque l’Inde, un des principaux pays exportateurs de riz, a décidé, fin 2007, de réduire ses exportations ; les stocks mondiaux étaient alors au plus bas depuis 1976. La hausse est devenue explosive le 28 mars dernier lorsque le Vietnam, le Cambodge et l’Egypte — confrontés à une demande de 500 000 tonnes émanant des Philippines — ont, à leur tour, décidé de stopper leurs exportations.
L’annonce a provoqué une flambée sans précédent des cours : la tonne de riz thaï a bondi de 580 $ à 760 $ en une seule séance à Chicago. Vous imaginez sans peine les conséquences pour les populations sous alimentées des pays d’Afrique sub-saharienne.
** D’après le FMI, la dépréciation du dollar et l’abaissement massif des taux d’intérêts aux Etats-Unis qui laminent les rendements obligataires ont « renforcé l’attractivité des matières premières comme actifs alternatifs aux yeux des hedge funds » — lesquels ont déserté massivement les marchés dérivés de crédit depuis le milieu de l’été 2007.
De grands quotidiens n’ont pas tardé à titrer début avril : « Après l’or jaune et l’or noir, le riz serait-il le nouvel or blanc ? ».
Quand nous contemplons les dernières photos de la tour Burj Dubaï, nous nous demandons s’il ne s’agit pas de la gigantesque épingle — symbole d’un argent fou — qui a crevé la bulle mondiale de l’immobilier, provoquant des arbitrages massifs au profit des matières premières puis des denrées alimentaires.
Nous n’assistons pas seulement à la faillite intégrale d’un système financier avide et perverti basé sur la dette immobilière et hypothécaire mais également à la faillite de l’illusion que la « main invisible » peut — et doit — être la seule à réguler efficacement les marchés.
Si le prix à payer c’est de voir quelques millions d’emprunteurs imprudents et de prêteurs mal avisés subir une faillite personnelle — plaie d’argent n’est pas mortelle –, nous pouvons juger cela supportable. Mais si des centaines de millions d’êtres humains doivent le payer de leur vie, c’est que l’heure d’un réveil salutaire des consciences a sonné.
La politique — au sens noble du terme — mérite sans doute de prendre sa revanche sur l’économique. A moins que le « tout économique » ne soit devenu l’ultime politique… ce qui expliquerait qu’il soit si facile de lever en six mois 200 milliards de dollars (2 suivi de 11 zéros) pour sauver une douzaine d’établissements financiers en déshérence tandis que, dans le même intervalle, la FAO n’est parvenue à lever que deux dizaines de millions de dollars (2 suivi de 7 zéros) d’aide alimentaire pour sauver des pans entiers de l’humanité en perdition — soit 0,0001% de la somme avancée par les fonds souverains et autres banques centrales pour éponger les ardoises liées à la crise des subprime.
Philippe Béchade,
Paris