Face aux tensions géopolitiques, l’Europe s’apprête à injecter près de 1 000 milliards d’euros pour financer son réarmement. Une décision qui masque mal une nouvelle fuite en avant monétaire.
Ces derniers jours, les dirigeants européens ont joué une petite musique bien connue. Une nouvelle fois, ils s’emparent de l’actualité pour justifier des mesures d’impression monétaire. Cet hiver, c’est bien entendu le réarmement de l’Europe qui justifie de faire tourner de nouveau la planche à billets.
Si retrouver une indépendance militaire pour ne plus dépendre du bon vouloir d’Oncle Sam fait consensus, les effets qu’aura ce nouveau cycle d’impression monétaire sur les citoyens et les épargnants sont totalement passés sous silence – comme ce fut le cas lors des épisodes précédents d’impression monétaire.
Les chiffres évoqués devraient pourtant alerter les citoyens.
L’Europe, par la voix d’Ursula von der Leyen, souhaite mettre 800 milliards d’euros sur la table. La seule Allemagne parle déjà de 100 milliards d’euros et la France prévoit un « effort durable ». L’enveloppe initiale du plan de réarmement devrait donc s’approcher des 1 000 milliards d’euros.
Il est évident qu’une telle somme ne peut pas être prélevée du jour au lendemain sur les dépenses actuelles des Etats. Il suffit de voir l’impossibilité totale d’économiser 60 milliards d’euros en France sans mettre le pays dans la rue pour réaliser que ces dépenses ne seront pas acceptées par les contribuables.
Pour faire passer progressivement la pilule, la méthode est toute trouvée : l’endettement. L’Europe prévoit ainsi de proposer aux Etats membres que leurs dépenses de la défense bénéficient d’un traitement budgétaire privilégié. En les excluant de l’assiette de calcul de l’endettement dans le cadre du Pacte de stabilité, Bruxelles incite les Etats à faire bondir le plafond de leur dette.
La relance militaire se fera donc avec de l’argent imprimé, qui viendra avilir une nouvelle fois la valeur de l’euro.
Comme l’Empire byzantin décadent baissait la teneur en or de ses pièces pour masquer son insolvabilité, l’Europe va encore diluer la valeur des euros en circulation.
Au vu des ordres de grandeur, les citoyens doivent se préparer à une perte de pouvoir d’achat digne d’une crise économique. Et même si la situation en Ukraine venait à se stabiliser, il sera impossible de revenir en arrière : alors qu’elle était censée corriger les excès monétaires de la pandémie, la BCE a en réalité augmenté la masse monétaire en 2024. Tout espoir de stabilisation du pouvoir d’achat est donc illusoire.
Toujours plus de relances « au nom de… »
Nombre d’analystes et d’éditorialistes ont questionné la pertinence de la réponse militaire de l’Europe face à la situation actuelle. En accusant Bruxelles d’avoir pris des décisions militaires inadaptées, ils sont cependant tombés dans le piège des instances européennes qui maintiennent la confusion entre la monnaie et le monde réel.
En réalité, le plan de réarmement de Bruxelles est monétaire avant d’être militaire.
Crise après crise, l’Europe répond aux défis du moment (bien réels) par la création et la distribution d’argent frais. Les nouveaux euros en circulation viennent gonfler la masse monétaire, dévaluent l’épargne, et font le jeu de l’inflation et de la perte de valeur de l’euro sur la scène internationale.
A chaque fois, la mécanique est identique… mais les montants sont exponentiels.
Souvenez-vous : en 2008, la crise grecque a nécessité un plan de sauvetage de 80 milliards d’euros de la part des Etats membres. A l’époque, la masse monétaire M3 en circulation dans la zone euro n’était que de 9 000 milliards d’euros, et les économistes se sont émus – à raison – de la décision de l’augmenter d’un claquement de doigts de près de 1%.
En 2015, dans le cadre du quantitative easing pour sauver l’économie du risque de déflation, ce sont 220 milliards d’euros qui ont été mis sur la table. Lorsque le QE a pris fin en 2019, ces 220 milliards étaient devenus 830 milliards d’euros. Et encore ce chiffre ne fut-il que la partie émergée de l’iceberg : en quatre ans, la BCE a fait augmenter la quantité d’euros en circulation de 30%, la faisant passer de 10 000 milliards à 13 000 milliards.
Nos instances monétaires furent ensuite capables de stabiliser la masse monétaire durant trois mois… avant que la pandémie ne les contraigne, à leur corps défendant bien sûr, de faire de nouveau tourner la planche à billets « pour nous protéger du virus ». La réponse monétaire à la crise sanitaire a été estimée initialement à 750 milliards d’euros. En réalité, durant les deux ans qui ont suivi, le nombre d’euros en circulation a bondi de 24%, augmentant de près de 3 000 milliards d’euros.
L’inévitable fuite en avant monétaire
Chaque vague d’impression monétaire est justifiée par une situation urgente incontestable. Politiquement, l’argument est imparable : impossible de la remettre en question sous peine d’être taxé de manque de solidarité, d’inconscience face au risque sanitaire ou de collusion avec l’ennemi.
L’inculture économique en Europe fait que personne ne rappelle à nos dirigeants et aux journalistes qui relaient ce narratif que l’Europe imprime des euros – pas des vaccins, des tanks ou des industries. La monnaie n’est pas de la richesse, c’est une créance sur la richesse existante dans la zone euro.
En se préparant à imprimer 1 000 milliards d’euros supplémentaires, l’Europe augmenter d’un trait de plume la quantité d’euros en circulation de 6%. En moyenne, les épargnants, les salariés, les retraités et les entreprises perdront 6% de pouvoir d’achat lorsque cet argent aura circulé dans l’économie, tandis que les bénéficiaires du plan de relance capteront cette part de la richesse existante.
La situation est d’autant plus dramatique qu’aucun retour en arrière n’est à attendre. En réalité, la BCE a déjà recommencé à faire gonfler la masse monétaire depuis plus de quinze mois – alors même qu’elle prétend être en phase de normalisation des excès passés.

Evolution de la masse monétaire M3 depuis 10 ans en zone euro. Infographie : TradingEconomics
La normalisation n’aura duré que de la mi-2022 à la fin 2023. Elle n’a en aucun cas réduit suffisamment la quantité d’euros en circulation pour la faire revenir aux ratios pré-pandémiques. Rapportée à la taille de l’économie réelle, il y avait toujours trop d’euros en circulation fin 2023 par rapport à fin 2019.
La situation s’est encore aggravée en 2024, et le plan de relance « au nom de la défense » va encore accélérer le mouvement cette année. Préparez-vous à de nouveaux chocs inflationnistes quand ces 1 000 000 000 000 euros supplémentaires seront en circulation dans l’économie réelle.
5 commentaires
On est dirigé par des dingues.
Se rendent-ils compte d’où ils nous emmènent!,
Monsieur Etienne Henri et peut-être un partisan de Donald Trump. Personne ne s’émeut du fait que la Banque centrale U S imprime des milliards de dollars chaque année avec lesquels les USA payent tous leurs achats dans le monde entier, inondant la planète de monnaie de singe. Et cela n’impacte pas le citoyen US, ni dans son pouvoir d’achat , ni dans son quotidien journalier.
Pourquoi vouloir intoxiquer l’opinion publique française avec votre analyse. En faisant la même chose que les
Américains l’Eurpe se montre intelligente.
Nous ne sommes pas plus intelligents que les Américains, il n’y a donc aucune raison que nous ne fassions pas exactement les mêmes idioties qu’eux.
Ils en sont à des dizaines ( centaines ?) de milliers de milliards de $ de dette ?
Nous pouvons faire aussi mal !
Édifiant cette analyse dont vous nous faites par Étienne Henri , merci de nous informer de ce qui va arriver dans les mois qui viennent.
Pourquoi l’Etat se prive-t-il des VRAIS revenus de la TVA ? Vérifiez vos tickets lorsque vous faites vos achats et vous constaterez que tout ce que vous achetez est taxé à 5.5 %. C’est à dire que tout est taxé en « produit » de première nécessité, aussi bien le filet de bœuf que le caviar. Surprenant n’est ce pas ? A l’exception des alcools.
Vous imaginez la perte financière pour l’Etat. Pourquoi ?
Cela a commencé pendant la période Covid.