Les débats sur les bulles financières opposent ceux qui perçoivent des valorisations insoutenables sur les marchés à ceux qui justifient ces niveaux par l’innovation et la croissance économique.
Il est fréquent de s’interroger sur les bulles d’actifs financiers et de parler de l’incohérence et de l’irrationalité des marchés via de sempiternels débats, opposant :
- le camp des partisans de l’existence de bulles insoutenables sur les marchés financiers ;
- le camp des partisans de la justification de la valeur actuelle des actifs financiers en général (accusant souvent le premier camp de favoriser le catastrophisme et le pessimisme inutile et de ne rien comprendre à la prétendue nouvelle économie).
Tout récemment, le célèbre investisseur Ray Dalio, fondateur de Bridgewater, a rejoint le second camp, en estimant que la situation actuelle ne correspondait pas à une bulle sur les marchés boursiers.
Malgré des plus-hauts historiques sur nombre d’actifs risqués (indices boursiers, valeurs de la tech et du luxe pour ne citer que ces secteurs, bitcoin…), Ray Dalio a expliqué que « le paysage ne répond pas entièrement à ses critères de définition d’une bulle, comme des prix élevés par rapport à la valeur, des signes de croissance insoutenable, des acheteurs naïfs qui se lancent dans la spéculation et une grande partie des achats financés par l’endettement ».
Avant de prendre position sur ce sujet, rappelons qu’il n’est pas question de faire l’énième procès des marchés financiers, ni de nier leur utilité et leur valeur ajoutée.
D’ailleurs, de qui ferait-on le procès ? Les marchés financiers ne sont pas une créature abstraite, un deus ex machina omniscient dépositaire de l’allocation optimale des ressources.
Les marchés sont constitués par tout un ensemble d’acteurs avec des contraintes, des objectifs, des horizons de temps et des réglementations différents : trader, hedge fund, arbitragiste, investisseur institutionnel, trésorier de banque, gestionnaire ALM, banque centrale, gérant d’actif, etc. Et chaque acteur contribue directement ou indirectement à faire en sorte que les marchés financiers :
- permettent de financer l’économie au meilleur coût ;
- permettent de recycler les excédents d’épargne de façon « productive » ;
- permettent aux agents économiques de couvrir dans des conditions de liquidité optimales leurs risques financiers (taux, crédit, change, actions).
Ainsi, pour bien cadrer le débat sur l’existence ou non des bulles d’actifs financiers, nous tenterons de répondre, dans cette série d’articles, aux questions suivantes…
1/ Comment définir et caractériser les bulles d’actifs financiers ou non (même si nous nous concentrerons sur les actifs financiers) ?
2/ Pourquoi les bulles financières existent-elles ?
3/ D’un point de vue macroéconomique, toutes les bulles sont-elles dangereuses ? Si non, existe-t-il des bulles supportables et tolérables ? Et pourquoi ?
Comment définir et caractériser les bulles ?
Qu’est-ce qu’une bulle sur les marchés financiers ?
En fait, sur le papier, la réponse est simple.
On peut parler de bulle lorsque la valeur d’un actif est totalement déconnectée de la réalité économique. Par exemple, pour un actif boursier, il s’agira d’une déconnexion entre le prix de l’action et la croissance anticipée des bénéfices (puisque le prix d’une action n’est rien d’autre que la somme actualisée des bénéfices annuels anticipés dans le futur).
Certains vous diront que la déconnexion est normale, donc que la bulle n’éclatera pas et que « shorter » l’action serait suicidaire, en s’appuyant sur l’idée selon laquelle l’entreprise cotée en question serait en train de révolutionner l’économie et de générer la croissance infinie ou éternelle (bref, on connaît cette finance de superlatifs).
Certes, Amazon, Microsoft, Apple, Alphabet (Google) et Meta (Facebook) n’étaient pas des bulles. Mais il est facile de le dire aujourd’hui. Cependant, que dire de ces prétendus pionniers de la croissance éternelle qui se sont retrouvés assez rapidement dans une situation désastreuse et qui auront donc été de véritables bulles ? La liste est connue : Netscape, AOL, Yahoo, BlackBerry, entre autres (les moins de 25 ans ne connaissent même pas leurs noms)…
La faible rémunération du risque – ou pire, l’absence totale de rémunération – est également une caractérisation des bulles d’actifs financiers (notamment sur des actifs autres que les actions, tels que les obligations assez mal notées offrant un spread de crédit trop faible par rapport à des obligations « souveraines »).
Repérer une bulle revient donc à identifier des déviations significatives des prix des actifs par rapport à leurs fondamentaux. La façon la plus naturelle d’évaluer ces fondamentaux est de mesurer l’endettement de l’émetteur/emprunteur par rapport à ses capacités de remboursement (solvabilité, capacité à générer des résultats et à accroître ses fonds propres).
Ces déviations des prix des actifs par rapport aux fondamentaux ont des inconvénients majeurs, à la fois macroéconomiques (une variabilité excessive de la consommation et de l’investissement, avec des effets de richesse négatifs, ainsi que des excès d’endettement suivis de crises de solvabilité) et microéconomiques (avec une allocation non-optimale des excédents d’épargne).
Les crises financières majeures de ce XXIe siècle trouvent leur origine justement dans des situations d’excès d’endettement (associées à une surévaluation des actifs concernés) qui se sont toutes transformées en crises de solvabilité.
1/ On se souvient des cours surévalués et délirants des actions des entreprises télécoms surendettées en 1999-2000 avec l’éclatement de bulle qui a suivi.
2/ On se souvient aussi des crédits subprime accordés aux ménages US surendettés et mal-endettés en 2004-2006, et des produits structurés adossés à ces crédits « pourris », avec comme aboutissement une crise sans précédent de la titrisation en 2007 et des effets de contagion impressionnants illustrés par la faillite de Lehman Brothers en septembre 2008.
3/ A partir de fin 2009 et ce jusque durant l’été 2012, nous avons vécu un autre type de surendettement, celui de certains souverains de la zone euro avec les conséquences que nous connaissons.
Dans le prochain article, nous verrons pourquoi les bulles se forment.