Par Bill Bonner (*)
L’argent n’a pas de passeport, mais il se glisse quasiment à travers toutes les frontières. Il n’a pas de drapeau, mais il est bienvenu quasiment dans tous les pays. Il ne parle aucune langue, mais lorsqu’il s’exprime, tout le monde l’écoute. Malgré tous ses aspects passe-partout, cependant, l’argent a plus d’ennemis que d’amis. Et la principale menace provient probablement de l’industrie financière elle-même.
"Ne vous inquiétez pas", nous disait un jeune homme intelligent dans une banque privée londonienne, "nous avons les plus hauts niveaux de professionnalisme, et nous utilisons les outils de gestion de portefeuille moderne les plus sophistiqués".
C’est exactement ce qui nous inquiétait. Ce qui suit est une lamentation… une complainte… sur l’état actuel des professionnels de la finance : ils sont paralysés par leurs propres théories… handicapés par leur propre activité malsaine.
Nous étions impressionné par l’homme qui se tenait devant nous. Joli garçon, portant beau, maîtrisant trois langues différentes, il avait passé des années à apprendre les principes de l’économie, de la finance et de la gestion d’affaires. Son petit discours à ses prospects était sans défaut. Oui, disait-il, notre département de recherche détecte activement l’alpha… mais nous savons que 80% de la performance provient d’une allocation d’actifs soigneuse, que les stratégistes de la banque calculent en se basant sur des analyses risque/rendement remontant jusqu’à une centaine d’années. Le rendement attendu des valeurs japonaises sur les cinq prochaines années, par exemple, sera de 7,56% précisément… mais avec une volatilité anticipée de 20,43%.
Nous avons ensuite appris que nous n’avions pas besoin de nous soucier de la volatilité. Les analystes de la société ont fait des recherches exhaustives, nous expliqua notre interlocuteur ; ils ont pu trouver de nombreuses classes d’actifs différents qui ont des volatilités égales et opposées. Lorsque les valeurs japonaises prennent une direction, par exemple, le fonds de couverture Macro Opportunity, qui fait jouer un ultra-effet de levier, prend l’autre.
Jetez un os aux mathématiciens, ils calculeront comment l’utiliser pour que vous puissiez optimiser votre rendement tout en minimisant vos risques. Ensuite, si l’on en croit les calculs des génies des maths, vous pourriez avoir 90% de chances de voir votre investissement de 100 $ devenir quelque chose entre 292 $ et 193 $ à l’année 10. Il faut préciser que c’est là une valeur "nominale". Même si la cible est atteinte, ces 132 $ pourraient ne pas suffire à vous acheter une tasse de café à Londres. C’est tout juste s’ils peuvent en payer une aujourd’hui.
Tant de chiffres… de six et de sept… de cinq et de quatre… tous les chiffres inventés par les Arabes sont appelés à la rescousse. Mais que signifient-ils vraiment ?
"Pouvez-vous nous dire ce que le prix du pétrole sera la semaine prochaine ?" avons-nous commencé pour tourmenter notre interlocuteur. "Ou celui du dollar ?"
"Non, bien entendu".
"Alors comment pouvez-vous faire des projections à dix ans… ou des investissements qui seront tous très influencés par le prix du pétrole, la vigueur du dollar, les taux d’inflation et des événements complètement imprévisibles ?"
"Eh bien, ce ne sont pas des prédictions. Ce sont des projections, basées sur de nombreuses années d’expérience. Nos chercheurs sont les meilleurs du secteur ; ils sont tous diplômés de Harvard, du MIT ou d’Oxbridge. Bien entendu, personne ne sait ce que l’avenir nous réserve… mais ces projections les produits les plus pointus de la gestion de portefeuille moderne".
Nous aidant d’un graphique très utile, fourni par la société d’investissement, nous avons poursuivi notre interrogation :
"Ces six derniers mois, Merrill Lynch a dû passer en pertes et profits une somme quasiment égale à la moitié de sa valeur comptable. Pour UBS, c’était 40%. Si ces ingénieurs financiers étaient vraiment capables de projeter les bénéfices et le risque jusqu’à deux chiffres après la virgule, comment n’ont-ils pas pu se protéger eux-mêmes de cette explosion ?"
Il faudrait accorder des places de parking spéciales à quiconque étudie les affaires, l’économie ou la finance ces 30 dernières années. Leur parcours universitaire a réduit leur QI. Des années de travail sur les bancs de la faculté ont affaibli leur vision… et leur ont enlevé tout sens commun.
La suite dès demain…
Meilleures salutations,
Bill Bonner
Pour la Chronique Agora
(*) Bill Bonner est le fondateur et président d’Agora Publishing, maison-mère des Publications Agora aux Etats-Unis. Auteur de la lettre e-mail quotidienne The Daily Reckoning (450 000 lecteurs), il intervient dans La Chronique Agora, directement inspirée du Daily Reckoning. Il est également l’auteur des livres "L’inéluctable faillite de l’économie américaine" et "L’Empire des Dettes".