La Société Générale a déjà vu plusieurs fois son cours chuter brusquement depuis 2008, mais la dernière chute en date est bien différente.
Ce n’est pas moi qui vais faire le procès des marchés financiers. Les marchés financiers ne sont pas une créature abstraite, un deus ex machina omniscient dépositaire de l’allocation optimale des ressources. Les marchés sont constitués par tout un ensemble d’acteurs avec des contraintes, objectifs, horizons de temps et réglementations différents : trader, hedge fund, arbitragiste, investisseur institutionnel, trésorier de banque, gestionnaire ALM, banque centrale, gérant d’actif.
Dans ces conditions, chaque acteur contribue directement ou indirectement à faire en sorte que les marchés financiers :
- ils permettent de financer l’économie au meilleur coût ;
- ils permettent de recycler les excédents d’épargne de façon « productive » ;
- et ils permettent aux agents économiques de couvrir dans des conditions de liquidité optimales leurs risques financiers (taux, crédit, change, actions).
Naturellement, c’est ce à quoi devraient servir exclusivement les marchés financiers. Mais voilà ; ceci n’empêche pas d’apporter quelques nuances.
Dès lors, il y a deux façons de critiquer les marchés : la critique simpliste de la sphère politique où la démagogie et la méconnaissance triomphent ; la critique de certains professionnels et analystes (parmi lesquels je me range) sur les excès et incohérences des marchés financiers.
La chute récente du cours de la Société Générale en réaction à la présentation du plan stratégique en est une belle illustration, et nous allons y revenir. Mais commençons par nous intéresser à ces critiques.
Des marchés bien utiles pour les Etats
Quels que soient leurs orientations, les dirigeants politiques ont, pour la plupart, purement et simplement délégué leurs politiques économiques aux marchés financiers, au début des années 1980 dans le monde anglo-saxon, et depuis le milieu des années 1980 en Europe continentale. C’est alors la fameuse période des « 3 D » : dérégulation, désintermédiation et déréglementation.
A cette époque, tout le monde ne jure que par les bienfaits des marchés. Ils sont facilitateurs du financement de l’économie en désintermédiant la relation entre le prêteur et l’emprunteur ; ils permettent surtout d’absorber, sans grandes difficultés, le financement des gaspillages publics. Ou, en termes policés, ils facilitent l’animation et le financement de la dette publique, comme en France avec la participation de banques spécialistes en valeurs du Trésor (SVT) lors des adjudications mensuelles de titres d’Etat.
La nécessité de continuer à financer les gaspillages et les excès d’endettement des Etats a d’ailleurs souvent conduit à des bulles, dont les risques extrêmes ont été volontairement minimisés (et pourtant, un emprunt d’état d’un pays de l’OCDE peut être un actif risqué).
Alors, il n’est pas très honnête de condamner dans certaines circonstances la prétendue folie des marchés ; car, après tout, pourquoi ceux-ci n’auraient-ils le droit que de souscrire aux émissions de bons du Trésor des Etats, et pas celui de vendre ceux-ci lorsqu’ils estiment, à tort ou à raison, que les politiques – budgétaires en particulier, et économiques en général – d’un pays ou groupe de pays, sont aussi inefficaces que dispendieuses ? C’est simplement le verdict des marchés.
Souvent irrationnels, absurdes, exubérants
Comme nous l’écrivions récemment, « les marchés ont, en réalité, presque toujours tort : ils surévaluent violemment le prix de certains actifs, ce qui provoque les krachs, et sous-évaluent tout aussi violemment certains autres – conduisant à des hausses rapides et à de bonnes affaires en perspective ».
En allant plus loin, nous pourrions dire que les marchés sont souvent irrationnels, ou absurdes, ou exubérants, ou même les trois à la fois. Nous avons tous en tête nombre d’épisodes de réactions excessives à la hausse ou à la baisse de tel ou tel actif financier.
La baisse de 12% du cours de la Société Générale ce lundi 18 septembre, suite à la présentation par son nouveau patron de son plan stratégique, en est un exemple édifiant.
Nous ne sommes pas en janvier 2008, quand le scandale Kerviel a renforcé les doutes sur la solvabilité de l’établissement. A l’époque, la baisse de « seulement » 8% le 24 janvier 2008 était fondamentalement justifiée, le jour de l’annonce de l’affaire au public, mais elle suivait une chute de l’action de 26% depuis début le début du mois.
Nous ne sommes pas non plus en août 2011, en pleine crise des dettes souveraines de pays périphériques de la zone euro et alors que des rumeurs courraient, plus ou moins fondées, sur une potentielle crise de liquidité de certains établissements bancaires – dont la Société Générale. La pire séance pour la banque fut alors le 10 août 2011 : le cours de l’action a alors dévissé de 17% durant la journée, avec une folle variation intraday de 36% entre plus haut et plus bas.
Mais, ce 18 septembre 2023, nous sommes dans un contexte bien différent, pacifié, où l’actualité ne concerne pas les questions de liquidité et de solvabilité de l’établissement. Le problème réside en fait, bien plus simplement, dans la présentation du plan stratégique par le nouveau patron du groupe, Slawomir Krupa.
Nous verrons demain pourquoi cette simple présentation a fait dévisser le cours de l’action de la Société Générale de manière plus importante que la révélation de l’affaire Kerviel.