L’ajout régulier de nouvelles sanctions ou menaces de sanctions visant la Russie et la Chine sont loin d’avoir convaincu le monde entier…
Les Etats-Unis ont mis en place le régime de sanctions le plus agressif qui soit, pour punir la Russie d’avoir envahi l’Ukraine.
La première série de sanctions comprenait des attaques frontales telles que le gel des comptes en dollars américains des banques et des oligarques russes. La deuxième série de sanctions a atteint le cran supérieur, via le gel des comptes en dollars de la banque centrale de Russie. Cette mesure était sans précédent, à part pour des Etats considérés comme voyous comme l’Iran, la Corée du Nord et la Syrie.
Du jour au lendemain, la banque centrale de la neuvième économie mondiale et du troisième producteur de pétrole, dont le PIB s’élevait à plus de 2 100 Mds$, s’est retrouvée exclue des systèmes bancaires et de paiement mondiaux.
Les sanctions ont été appliquées au-delà du secteur de la finance et des banques, et ont inclus des interdictions sur les exportations russes, l’interdiction d’accéder aux marchés de l’assurance des navires (comme moyen d’interdire de façon efficace les livraisons de pétrole) et des interdictions sur les exportations vers la Russie, notamment sur l’équipement de haute technologie, les semi-conducteurs et les biens de consommation populaires.
Les grandes entreprises américaines et occidentales, de Shell Oil à McDonald’s, ont été poussées à cesser leurs activités en Russie, ce que nombre d’entre elles ont fait.
Laissez-nous en dehors de ça
Mais une grande partie du reste du monde a refusé de se plier aux sanctions financières dictées par les Etats-Unis et l’Union européenne. La conférence au sommet des ministres des Finances du G20, qui s’est tenue à Bangalore, en Inde, fin février, en a été la meilleure preuve.
Les sanctions financières sont difficiles à imposer. Elles nécessitent une coopération à grande échelle de la part de nombreux pays, afin d’éviter les fuites et les contournements allant à l’encontre des objectifs de ces sanctions.
Les Etats-Unis savaient qu’ils pouvaient compter sur des Etats vassaux tels que l’Allemagne, la France, le Japon et le Royaume-Uni pour accepter de mettre en œuvre ces sanctions. La conférence des ministres des Finances du G20 représentait le moment idéal pour renforcer la coopération et obtenir le consensus de pays importants tels que le Brésil, l’Inde, la Chine et l’Arabie saoudite.
La secrétaire américaine au Trésor, Janet Yellen, a assisté à la conférence du G20 et a fait pression pour former un front uni contre la Russie. Elle a échoué.
La Chine, la Russie et l’Inde ont refusé d’approuver la déclaration finale proposée. Pour la deuxième fois seulement dans son histoire, le G20 n’a pas été en mesure de publier un communiqué final reflétant le consensus des participants.
La force du nombre
Les Etats-Unis ont beau être la plus grande économie du monde (avec un PIB de 25 000 Mds$ environ), leur part du PIB mondial, mesurée en pourcentage, diminue chaque année, alors que de grandes économies en développement comme l’Inde, le Brésil, la Chine et l’Indonésie ne cessent de monter en puissance.
En fait, les quatre plus grandes économies en développement du monde (la Chine, l’Inde, la Russie et l’Iran) ont un PIB combiné supérieur à celui des Etats-Unis. Si l’on ajoute les trois suivants (Brésil, Mexique et Indonésie) à ce groupe d’économies en développement, l’écart par rapport aux Etats-Unis s’accroît encore de 4 600 Mds$. Collectivement, ces pays sont bien trop importants pour être ignorés.
Et ce n’est pas qu’une question de taille. Ces mêmes économies en développement peuvent influencer les prix mondiaux de matières premières essentielles telles que le pétrole, le gaz naturel, le soja et les produits manufacturés, notamment les automobiles et les technologies de communication. C’est pourquoi la prise à partie de ces pays dans les sanctions financières à l’encontre de la Russie est essentielle.
Si ces économies en développement ne veulent pas participer à l’exécution de ces sanctions, les partenaires commerciaux de la Russie seront beaucoup trop nombreux pour que les sanctions soient efficaces. Et c’est exactement ce qu’il se passe.
Les affaires sont les affaires
Le fait est que le monde est bien plus fracturé que les Etats-Unis ne l’avaient anticipé. Cela ne veut pas dire que ces pays soutiennent nécessairement l’invasion de l’Ukraine par la Russie. Mais ils ne veulent pas que les sanctions américaines perturbent leurs relations commerciales avec la Russie, dont ils dépendent. Ils ne veulent pas nuire à leur économie pour une raison qui ne les concerne pas et qui trouve ses origines à l’autre bout du monde.
Prenons l’exemple de l’Inde et de la Chine. Ce sont les principaux acheteurs du pétrole que la Russie aurait, sans guerre, vendu à l’Europe. La Chine elle-même vend des automobiles, des semi-conducteurs et des machines à la Russie.
Dans le même temps, la Turquie a considérablement développé ses exportations vers la Russie, tandis que l’Iran lui vend des armes, notamment des drones « kamikazes » qui agissent comme des missiles de croisière qui peuvent s’attarder au-dessus de leurs cibles.
Outre les failles et les limites inhérentes au processus de sanctions mené par les Etats-Unis, ce manque de coopération de la part des principales économies en développement affaiblit considérablement l’impact des sanctions.
Le boomerang des sanctions
Et surtout, plus ces économies neutres feront affaire avec la Russie, moins elles auront besoin de dollars américains comme moyen d’échange. Ainsi, les sanctions américaines ne sont pas seulement un échec, elles contribuent au déclin à long terme du dollar en tant que principale monnaie de paiement dans le monde.
C’est un bon exemple de ce que j’avais annoncé il y a un an, peu après l’invasion russe. Non seulement les sanctions ont échoué (la croissance russe a largement dépassé les attentes et le rouble russe est plus fort qu’avant le début de la guerre), mais elles se sont retournées contre les Etats-Unis et leurs partenaires.
Elles causent des dommages aux économies occidentales et fracturent les institutions multilatérales qui ont été soigneusement construites au cours des quinze dernières années, depuis la crise financière mondiale de 2008. Que s’apprêtent donc à faire les Etats-Unis ? Redoubler d’efforts pour échouer…
Où sont les adultes ?
Fidèles à leur dangereux modèle d’escalade, les Etats-Unis envisagent des boycotts supplémentaires. Sauf que la cible des sanctions n’est plus leur ennemi principal, mais un autre pays qui fait affaire avec l’ennemi, d’une façon qu’ils n’approuvent pas : il s’agit de la Chine.
La Chine envisage de fournir une aide militaire à la Russie, notamment des drones, qui se sont révélés très efficaces sur le champ de bataille.
Les Etats-Unis ont prévenu la Chine que si elle fournissait une telle aide à la Russie, elle s’exposerait à de « graves conséquences » et que les États-Unis lui imposeraient de réelles « sanctions coûteuses ».
L’efficacité des sanctions américaines à l’encontre de la Chine n’est pas prouvée, étant donné que la Russie et la Chine ont coopéré étroitement ces dernières années et que la Chine découple activement son économie de l’économie américaine (et vice versa).
Plus vraisemblablement, les sanctions secondaires imposées à la Chine ne feront que rapprocher la Russie et la Chine et marginaliser encore plus les Etats-Unis. Nous savons tous que l’escalade sur le front militaire est extrêmement dangereuse et pourrait provoquer une guerre nucléaire.
Mais l’escalade sur les fronts financier et économique est tout aussi dangereuse, et pourrait contribuer à une récession mondiale. Les décideurs politiques américains semblent être trop stupides et trop myopes pour envisager l’une ou l’autre de ces perspectives.
Où sont les adultes ?