L’issue de la super-bulle ne peut être que la destruction de la monnaie. Les demi-mesures actuelles ne sont que de la poudre aux yeux.
Je soutiens que si une bulle est irrationnelle, le « tout en bulles », lui, est rationnel. Il est cynique et est produit volontairement par les autorités monétaires.
Le « tout en bulle » est alimenté par la « monnaie », par des instruments de crédit, et par le levier.
L’actif bullaire de l’univers « tout en bulles » doit être perçu à la fois comme attrayant, spéculativement parlant et, en même temps, comme sûr ! C’est cela le paradoxe. Il est faux de dire que le « tout en bulles » est la manifestation de l’appétit pour le risque, car il repose sur l’idée qu’il n’y a pas de risque, parce que ce risque est assuré par la banque centrale.
Assurance tout risque
Il y a un lien étroit entre l’expansion des bulles et le fameux « put » de la banque centrale. Le « tout en bulles » s’est développé à la faveur de ce put accordé par Greenspan et renouvelé par ses successeurs comme Bernanke. Greenspan a créé ce put, c’est-à-dire cette promesse, cette assurance qui couvrait le derrière des spéculateurs, mais Bernanke l’a validée. Bernanke a dit qu’il ne laisserait jamais les conditions financières se resserrer.
Traduisons tout cela en français : le put accordé par la Banque centrale, c’est l’assurance donnée à la communauté spéculative que toujours elle pourra vendre ses positions, toujours elle aura contrepartie, toujours elle pourra vendre ses actifs financiers, sa quasi-monnaie.
C’est l’assurance donnée par la banque centrale que toujours les quasi-monnaies seront convertibles, échangeables, c’est-à-dire en définitive que les billets de loterie sont aussi bons que de la monnaie ! Le put, c’est la promesse de l’argentéité, de la monnaie-itude des actifs financiers, c’est leur consécration comme quasi-monnaie. Il faut bien assimiler cette notion pour suivre.
Le put est indispensable à la formation de bulles, car il retire le risque des spéculateurs et le transfère sur le bilan de la banque centrale. Le spéculateur sait que la banque centrale garantit la liquidité, la contrepartie, donc il n’y a pas de vrai risque.
La spéculation en régime de bulles produites par les banques centrales ne s’analyse pas comme un goût pour le risque, mais par le cynisme et la connivence. Le « tout en bulle » est intrinsèquement un monde de pillage et de prédation.
Avec ce cadre analytique, vous êtes capable de comprendre pourquoi j’affirme que la bulle-mère de toutes les bulles, la bulle sous-jacente au « tout en bulles », c’est la bulle des fonds d’Etat.
Fondations pourrissantes
C’est la « bulle mondiale des finances publiques ». Cliquez ici pour lire la suite…
Pour pouvoir élargir/gonfler leur bilan, les banques centrales ont besoin d’acheter un actif en contrepartie de leur monnaie au passif ; elles doivent monétiser quelque chose. Elles ont inventé les quantitative easing (QE), c’est-à-dire les achats d’actifs à long terme. Le principe est d’acheter les fonds d’Etat et de les payer avec de la monnaie en créditant le compte des vendeurs.
Les fonds d’Etat jouent un rôle central dans la formation et dans l’entretien des bulles. Il faut pouvoir en créer toujours plus, pouvoir en stocker toujours plus et donc il faut pouvoir en émettre à volonté. Le jeu du put implique à chaque fois la mise en place de QE, comme on l’a encore vu en mars 2020.
Avec la formation de bulles, puis la constitution d’un univers tout en bulles avec le put et l’introduction nécessaire des QE en conjonction avec des déficits budgétaires massifs, le régime ainsi créé pourrit finalement les fondements de la finance ; il pourrit le crédit de la banque centrale et la confiance dans la dette publique. C’est la raison pour laquelle je soutiens que l’issue c’est la destruction ultime, celle du noyau du système que constituent les banques centrales. L’issue ne peut être que la destruction de la monnaie.
La destruction passera par la chute des prix des actifs sur les marchés, par la hausse non contrôlée des taux longs sur les fonds d’Etat, par la ruine des porteurs de dette publique, et finalement la fuite devant la monnaie.
Mais on n’y est pas, car le temps historique n’est pas celui des gens, des individus vivants ; c’est un temps logique, un temps long.
Du centre à la périphérie
Les crises, ne sont pas des phénomènes instantanés ou des chocs, ce sont des processus. Ces processus sont étalés dans le temps et dans l’espace. Et c’est ici qu’il convient d’introduire les notions de centre et de périphéries auxquelles je recours souvent.
Le monde est un système avec un centre, le système dollar/Fed/Etats-Unis, et des satellites/périphéries.
Quand la Fed crée de la monnaie, le dollar est abondant, il s’érode. Quand cette monnaie dégouline, elle descend la ligne de plus grande pente du profit vers les périphéries, vers les émergents et les situations marginales. Cela provoque dans ces zones des fausses prospérités, des prospérités fragiles.
Quand la Fed est obligée comme maintenant de fermer un peu le robinet elle ralentit la production de dollars, le dollar renchérit car il est plus rare, il quitte les Périphéries et les émergents revient vers le Centre car le Centre devient plus attrayant et moins risqué, alors que les périphéries sont plus fragiles.
Le système est endogènement instable, mais il est dérivable, linéaire : cela signifie que la Fed a la possibilité de fermer le robinet au moment qui constitue l’optimum… pour les Etats-Unis. Elle a la possibilité d’infliger la peine du resserrement – ou, si l’on veut, de l’asphyxie – d’abord au reste du monde. C’est le coup qu’elle vient de réussir sur les matières premières.
Nous sommes exactement dans cette situation de gestion de la souffrance imposée. Dans cette phase, au stade actuel du resserrement monétaire, la Fed a serré suffisamment pour faire souffrir la périphérie, mais elle n’a pas serré au point de faire souffrir les Etats-Unis.
Tout ce qui est marginal, boiteux ou faible est menacé. Les mains faibles économiques et financières décrochent, mais le « core », le cœur, n’est pas encore atteint.
Les autorités jouent là-dessus. La dégringolade du marginal est spectaculaire, elle leur sert à faire croire qu’elles s’attaquent sérieusement à l’inflation. Elle consolide leur crédibilité. Mais c’est de la poudre aux yeux. Au cœur, à la racine des déséquilibres et de la pourriture, rien n’est touché.
A ce stade, l’austérité et l’assainissement pour les Etats-Unis sont Canada Dry.
[NDLR : Retrouvez toutes les analyses de Bruno Bertez sur son blog en cliquant ici.]