Si notre regard s’est porté sur les prix du pétrole et du gaz depuis même avant le début du conflit en Ukraine, ce ne sont pas les seules matières premières qui sont affectées. Une crise bien plus large se dessine.
La semaine dernière fut de mauvais augure pour l’approvisionnement alimentaire mondial et le prix des matières premières associées.
Le blé (contrat de mai) a bondi de 40,6%, portant les gains cumulés à 57%. Le maïs a bondi de 15% (en hausse de 27% depuis le début de l’année) et le soja a augmenté de 5,4% (en hausse de 26%).
Une crise alimentaire
Le représentant démocrate David Scott interrogeait Jerome Powell lors de l’audience du comité des services financiers de la Chambre des représentants, le mardi 2 mars :
« Je veux tirer la sonnette d’alarme ici ce matin, et je veux que vous m’écoutiez et je veux que la nation le fasse parce que je suis le président de la commission de l’agriculture de notre Chambre et je suis très inquiet de […] l’impact que [le conflit en Ukraine] a sur le commerce mondial et, plus important encore, sur notre propre sécurité alimentaire.
Nous pourrions très bien être proche d’une crise alimentaire partout dans le monde. […] Aujourd’hui, la Russie produit plus des deux tiers des 20 millions de tonnes d’engrais utilisés pour la culture du maïs et du blé dans le monde. […] Les hausses des prix de ces matières premières déstabiliseront les marchés alimentaires mondiaux et menaceront notre stabilité alimentaire et notre stabilité sociale.
Donc, ma question pour vous, monsieur le président Powell est : dans quelle mesure ces développements pourraient-ils créer un risque pour la stabilité financière ici ou à l’étranger, et que devons-nous faire?
Nous pouvons nous passer de beaucoup de choses, mais la seule chose dont nous ne pouvons pas nous passer, c’est la nourriture. Que pouvez-vous faire à ce sujet ? »
La réponse du président de la Fed :
« Nous voyons que ces perturbations se répercutent sur les prix et sur l’approvisionnement en denrées alimentaire déjà quelques jours après la mise en place des sanctions, et alors que la guerre a débuté il y a moins de deux semaines. La Fed n’a pas vraiment les outils pour résoudre ce problème, et c’est vraiment une question pour le Congrès et le gouvernement. »
En parallèle, le risque pour la stabilité financière, surtout en Europe, est considérable.
Aucune solution
Tout a changé. La Fed et la communauté des banques centrales mondiales n’ont aucune solution aux crises qui s’accumulent.
Pas de solutions pour la flambée des prix de l’énergie, des aliments et des matériaux.
Pas de solution aux pénuries croissantes de tant de produits vitaux.
Pas de solution pour les achats de panique.
Pas de solution si la Chine décide d’utiliser ses réserves de dollars pour se procurer des approvisionnements supplémentaires en matières premières à n’importe quel prix.
Pas de solution à une aggravation de la crise de la chaîne d’approvisionnement mondiale.
Pas de solution aux insolvabilités en chaîne des banques russes.
Pas de solution à l’effondrement de la valeur des titres boursiers et à l’illiquidité.
Les actions bancaires européennes rassemblée dans l’indice Stoxx 600 ont ainsi chuté brutalement de 16,0% en une semaine, les banques italiennes s’effondrant de 23,5%.
Un nouvel appel au secours…
Les marchés financiers européens se sont rapidement approchés de la dislocation lors de la séance du 1er mars. Bloomberg avertissait dès le 28 février :
« Les marchés monétaires ont atteint un niveau de stress le plus élevé depuis le début de la pandémie, alors que les opérateurs se précipitent pour obtenir des dollars suite au durcissement des sanctions contre la Russie, suscitant des appels à l’aide de la part des banques centrales.
Le coût de conversion des paiements en euros et en yens en dollars à l’aide de swaps de devises à trois mois est le plus élevé depuis mars 2020. L’écart entre les taux futurs du Libor et de la Réserve fédérale, un indicateur clé des tensions sur le financement […], est également à son plus large depuis mars 2020 pour les contrats d’un mois. »
Les marchés, le système crient au secours et veulent des liquidités !
La finance contemporaine est plombée par les fragilités latentes. N’oubliez pas ce que je répète sans cesse : le système repose sur l’espoir de liquidités surabondance sans limite. Il faut que le système maintienne le mythe selon lequel les actifs financiers sont liquides et conservent quoi qu’il advienne leur monnaieitude. Qu’ils soient aussi bons que le cash.
En termes simples, le système ne fonctionne pas en sens inverse. La structure financière actuelle n’est viable que tant que la bulle de liquidités et de crédit gonfle, tant que le crédit, l’effet de levier et les flux spéculatifs enflent. En cas de vague de réduction sérieuse des risques et de tendance au désendettement, les marchés sont sujets à l’illiquidité, à la dislocation et à la panique.
La structure du marché est devenue un problème critique.
L’ensemble de l’univers financier est soutenu par des anticipations de marchés liquides. Les produits dérivés, en particulier, fonctionnent sur l’hypothèse de marchés liquides et avec une contrepartie en continu.
Au cours de la semaine dernière, les marchés pointent à nouveau vers l’illiquidité et un dysfonctionnement accrus.
C’est désormais une dynamique récurrente : un stress et appel au secours.
… Et un nouveau pivot ?
Ce qui est différent, c’est le statut du filet de sécurité de la Fed en matière de liquidités. Le système mondial se dirigeait vers un épisode majeur de resserrement, de réduction des risques et de désendettement.
Les banques centrales sont obligées de refaire un pivot à 180 degrés !
Le « risk off » a déjà atteint une dynamique puissante.
L’inflation est déjà très élevée
Tout indique des pressions sur les prix encore plus fortes (matières premières mondiales, problèmes de chaîne d’approvisionnement, marchés du travail en surchauffe, etc.).
La corde se resserre autour du cou des banquiers centraux.
[NDLR : Retrouvez toutes les analyses de Bruno Bertez sur son blog en cliquant ici.]