L’affaire n’est pas encore bouclée mais cela pourrait très bientôt être le cas : l’entrée en jeu de Mario Draghi au poste de président du Conseil des ministres d’Italie. Comment interpréter l’arrivée de cet ancien banquier central dans le champ du pouvoir exécutif ?
Commençons si vous le voulez bien par plonger quelques instants dans le contexte politique italien.
Draghi aux commandes de l’Italie : une majorité constituée d’ici la fin de la semaine ?
Le 3 février, le président de la République italienne Sergio Mattarella (démocrate-chrétien), a chargé Mario Draghi de former un gouvernement pour succéder à Giuseppe Conte (indépendant mais proche du Mouvement 5 étoiles – M5S).
Le deuxième gouvernement Conte, formé en septembre dernier dans le cadre d’un accord entre le M5S et le Parti démocrate (PD), a en effet perdu sa majorité absolue suite à la démission le 13 janvier de deux ministres appartenant au nouveau mouvement de Matteo Renzi (ex-PD), Italia Viva, en raison d’un désaccord au sujet de la mise en œuvre du plan de relance européen.
Après avoir remporté la confiance de la Chambre des députés et du Sénat, Conte a néanmoins échoué le 2 février à former une nouvelle coalition, d’où l’appel du président Mattarella à un nouvel homme : Mario Draghi.
La nomination de cet ancien banquier central de 73 ans en tant que président du Conseil des ministres reste bien entendu suspendue à la formation d’une majorité afin d’obtenir la confiance du Parlement italien.
La semaine passée, Mario Draghi s’est entretenu avec les représentants des forces politiques en présence et, aux dernières nouvelles, « l’ex-président de la BCE a obtenu samedi l’appui de la Ligue et du Mouvement 5 Etoiles », comme le rapportait L’AGEFI lundi matin.
Autre surprise : a priori, la Ligue du Nord de Matteo Salvini ne s’opposerait pas à la nomination de Draghi.
Un deuxième tour de table a débuté cette semaine mais, après avoir initialement suscité l’opposition frontale du M5S, l’idée d’un gouvernement Draghi pourrait donc bientôt voir le jour.
Si ce dernier n’obtenait pas la confiance du Parlement, Sergio Mattarella devrait alors envisager des élections législatives anticipées, et c’est précisément ce qu’il souhaite éviter au travers de son appel à Mario Draghi.
L’Italie dans l’attente d’un sauveur
Il est vrai que la péninsule italienne n’est pas au mieux de sa forme. En 2020, l’activité économique a chuté de 8,9%, ce qui en fait l’une des pires performances de la Zone euro.
Comme si cela ne suffisait pas, le rebond de 2021 est attendu comme inférieur à celui de ses voisins, Rome ne tablant que sur 3,5% de croissance cette année…
L’Italie attend donc avec impatience de pouvoir utiliser les 222 Mds€ du Plan de relance européen qui lui incombent.
Cependant, les divergences entre les partis interrogent sur la capacité du pays à exploiter cette manne pour relancer sa croissance. Comme le rapportait Les Echos au mois de décembre, « le pays n’a […] toujours pas défini ses priorités et choisi les projets auxquels seront destinés ces ressources », et ce alors même que l’Italie est l’un des plus grands bénéficiaires de ce plan tristement nommé « Next Generation EU ».
Le personnel politique traditionnel ayant échoué, il était temps, selon le président Mattarella, de faire appel à un technocrate. Et c’est là qu’intervient Super-Mario, tout auréolé de sa couronne de « sauveur de la Zone euro » (une baudruche que j’ai déjà dégonflée).
Comme le rappellent Les Echos, « son nom était souvent évoqué comme ‘la plus éminente réserve de la république italienne’ et comme un potentiel ‘sauveur de la patrie’ ».
Le « sauveur de la patrie » ou le défenseur le plus ardent de la fuite en avant dans la dette ?
On ne présente plus Mario Draghi. Je renvoie les nouveaux lecteurs au bilan que j’avais dressé de son action à la tête de la BCE (voir ici et là), un poste qu’il avait accepté après avoir été gouverneur de la Banque d’Italie.
Sa nomination serait évidemment vue comme rassurante pour les marchés puisque l’Italien est perçu à la fois comme une figure déterminée, à l’aise dans les situations de gestion de crise, jamais avare lorsqu’il s’agit de dépenser de l’argent public, et surtout pas du genre à répudier les dettes publiques.
L’ancien banquier central avait d’ailleurs à peine commencé son premier tour de consultations en vue de former une majorité que le spread de taux entre le 10 ans italien et le Bund touchait un plus bas de cinq ans.
4 février : « L’effet Super Mario fonctionne : le spread de taux de l’Italie vis-à-vis de l’Allemagne chute sous les 100 points de base pour la première fois depuis 2016. Les investisseurs parient que l’ancien gouverneur de la BCE, Mario Draghi, sera en mesure de former un gouvernement pour gérer la crise du coronavirus et les fonds en provenance de l’UE. »
Quelle politique Mario Draghi est-il susceptible de mener ? Depuis qu’il a laissé sa place à Christine Lagarde le 31 octobre 2019, l’ancien banquier central s’est distingué par quelques déclarations, avec en particulier cette tribune publiée dans le Financial Times le 25 mars dernier.
« Draghi : nous sommes en guerre contre le coronavirus et nous devons nous mobiliser en conséquence »
Attention cher lecteur : « Nous mobiliser en conséquence », cela ne veut pas dire procéder à des réformes structurelles pour améliorer la compétitivité du pays, cela veut plutôt dire ceci :
« La question clé n’est pas de savoir si l’État doit utiliser son bilan à bon escient, mais comment. […] Des niveaux de dette publique beaucoup plus élevés vont devenir une caractéristique permanente de nos économies et s’accompagneront d’une annulation de la dette privée. »
Et Mario Draghi d’invoquer l’argument favori des étatistes forcenés :
« Nous devons également nous souvenir qu’étant donné les niveaux actuels et futurs probables des taux d’intérêt, une telle augmentation de la dette publique n’augmentera pas les coûts de son service. »
Bref, comme l’écrit Philippe Herlin, « c’est donc la dépense à tout va qui va s’imposer en Italie, moins pour relancer l’économie (les plans d’aide ont un effet réel limité) que pour sauver un système bancaire très fragilisé ».
Tout cela bien sûr pour le plus grand bonheur de Christine Lagarde, qui ne cesse de déclamer que les gouvernements doivent prendre le relais de la politique monétaire.
Janet Yellen au Trésor US, Mario Draghi à la présidence du Conseil italien… à quand le retour de Jean-Claude Trichet ?
A l’heure où j’écris ces lignes, on ne peut pas encore être certain que Mario Draghi sera le prochain président du Conseil italien. Ce qui est sûr en revanche, c’est que tous les signes montrent que la politique budgétaire continue, doucement mais surement, de fusionner avec la politique monétaire.
Sur le site ZeroHedge, le 6 février :
« Que tous saluent les banquiers centraux conquérants, ou sinon… »
Alors répétez avec moi : « Hourra pour les banquiers centraux, et vive la Théorie monétaire moderne ! »