A l’heure des émissions monétaires illimitées, les deux monnaies alternatives ont le vent en poupe. Mais le bitcoin a, pour le moment, un avantage.
Aux yeux des autorités, la monnaie légale n’est pas censée se déverser sur l’or ou le bitcoin. Elle est créée pour financer les nombreux titres de dette émis par le système bancaire. Elle doit favoriser une expansion économique continue et éviter à tout prix une déflation, véritable hantise des banquiers centraux.
A cet égard, les monnaies indépendantes sont peu appréciées par le système financier en place. « Nous avons envisagé l’achat de tous types d’actif, sauf l’or », lançait par exemple l’ancien président de la BCE, Mario Draghi, en décembre 2014, lors d’une discussion sur les actifs collatéraux à acheter dans le cadre d’un nouvel assouplissement monétaire.
« Il n’existera pas de monnaie [décentralisée] dans le monde. Aucun gouvernement n’acceptera ça durablement. […] La technologie [blockchain] sera utilisée, peut-être même pour transférer de la monnaie, mais ce sera le dollar américain », estimait quant à lui Jamie Dimon, le directeur de la banque JPMorgan en 2015.
Depuis, une crise économique d’un nouveau genre et des émissions monétaires elles aussi inédites ont augmenté l’attrait des deux monnaies alternatives. Et dans ce mouvement, c’est aujourd’hui Bitcoin qui tient la corde.
Dérivé contre réel
La cotation de l’or est nourrie par les marchés des certificats de New York et de Londres. Celle de Bitcoin par des plateformes d’échange direct. En d’autres termes, le premier est en quelque sorte un cours dérivé, le second un cours réel. Voilà qui pourrait expliquer leur remarquable divergence ces derniers mois.
Du côté de l’or, des baisses marquées ont été observées sans raison apparente et à intervalles réguliers, alors même que le métal précieux est censé constituer une protection imparable face aux émissions monétaires des derniers temps : -5% le 9 novembre, -4% les 23 et 24 novembre, -4% le 8 janvier.
Deux jours plus tôt, le 6, alors qu’à Washington le cœur du pouvoir légal était envahi par des manifestants, l’or papier perdait encore 3% en séance, tandis que les Bourses américaines d’actions et d’obligations atteignaient de nouveaux records… Le cours officiel du métal précieux est aujourd’hui au même niveau qu’en septembre 2020.
De son côté, le bitcoin a atteint sommet sur sommet, passant de 11 000 $ le 15 octobre à 20 000 $ le 15 décembre, puis 40 000 $ trois semaines plus tard, avant de se stabiliser à plus de 30 000 $.
Manipulations sur le marché de l’or ?
Ces évolutions brutales du cours de l’or papier pourraient accréditer la thèse du Gold Anti-Trust Action Committee (GATA), une association américaine qui affirme depuis plus de 20 ans que des interventions subreptices sont menées sur le marché par les gardiens du dollar, afin de décourager la thésaurisation en or.
Manœuvres délibérées ou pas, la cotation officielle du métal précieux est de fait largement déterminée par quelques grandes banques.
On trouve d’une part celles qui sont membres de la London Bullion Market Association (LBMA) de Londres, organisation qui fixe le cours deux fois par jour. D’autre part, il y a les grands établissements financiers de Wall Street, lesquels sont connus pour intervenir massivement sur le marché des contrats à terme de New York (Comex), pour le compte de clients étatiques et commerciaux ou pour compte propre.
En novembre dernier, l’une d’elle, la JPMorgan, a d’ailleurs payé une amende de près d’un milliard de dollars pour clore une enquête de la justice sur des manipulations majeures opérées sur le marché des métaux précieux et des bons du Trésor américain.
Cette cotation de l’or papier, très centralisée, ne suit pas toujours celle de l’or physique.
Durant une bonne partie de l’année 2020, pour acheter des pièces ou des lingots d’or en France ou en Angleterre, il fallait débourser une prime importante sur le cours officiel déterminé par la LBMA et le Comex, en raison de la rareté relative du métal disponible.
En ce début d’année, la prime a quasiment disparu ; la cotation aurifère qui fait droit dans le monde reste pour le moment celle du marché des certificats de Londres et de New York.
Pour Bitcoin, en revanche…
Rien de tel du côté du bitcoin. Longtemps ignorées par l’oligopole bancaire et les autorités légales, les devises numériques se sont en effet développées à travers des dizaines de plateforme d’échange indépendantes. La cotation des cryptomonnaies est assurée via des échanges directs sur différentes Bourses où les écarts de cours ne sont pas rares.
Cet écosystème financier est donc très différent de celui des contrats sur l’or. Pourtant, un marché « parallèle » a bel et bien été créé en décembre 2017, sur la plus grande bourse de contrats à terme au monde, le Chicago Mercantile Exchange (CME), à la demande des autorités américaines.
Le but ? Faire baisser le prix du bitcoin via des contrats de vente à découvert. L’ancien administrateur de la Commodity Futures Trading Commission (CFTC), Christopher Giancarlo, affirmait ainsi en octobre 2019 au média Coin Desk :
« L’une des histoires non divulguées des dernières années est que la CFTC, le Trésor US, la SEC et le directeur [du Conseil économique national] de l’époque, Gary Cohn, croyaient que le lancement de contrats futures sur le bitcoin pourrait faire éclater la bulle Bitcoin. Et ça a fonctionné. »
Le bitcoin, dont le cours était passé de 1 000 $ à 20 000 $ en l’espace d’un an, avait alors vu son prix retomber à moins de 4 000 $.
L’an dernier, la principale devise numérique revenait côtoyer les 20 000 $, avant de les dépasser largement. Par ailleurs, son utilisation, encore relativement marginale en 2017, s’est généralisée en 2020 avec l’adoption du bitcoin par de nombreux investisseurs institutionnels.
Aujourd’hui, les contrats futures et d’options passés sur la Bourse du CME sont très inférieurs aux volumes de véritables bitcoins échangés sur les plateformes spécialisées. Quel intérêt en effet de passer par des dérivés pour échanger un actif déjà entièrement numérisé ?
Le 11 janvier dernier par exemple, dans une séance particulièrement électrique, près de 3 millions de bitcoins avaient été échangés à 15h TU sur les principales bourses de cryptomonnaies, contre seulement 60 000 via les contrats futures du CME.
S’ils constituent deux alternatives monétaires, or et Bitcoin ne sont pas comparables en tout.
Le premier est physique et représente la réserve ultime des banques centrales ou des particuliers ; le second est électronique et est utilisable plus facilement pour les paiements quotidiens.
La capitalisation de l’or physique existant dans le monde (pièces, lingots, bijoux, industrie) représente au cours actuel du LBMA entre 9 000 et 14 000 Mds$, selon les estimations. Celle du bitcoin s’élève à seulement 600 Mds$, et l’ensemble des devises numériques atteignent à peine 1 000 Mds$.