Par Adrian Ash (*)
Le contrôle de la masse monétaire est censé représenter la moitié des outils politiques de la BCE. En fait, la limitation du nombre d’unités monétaires en circulation était autrefois le "Premier Pilier" de la position anti-inflation adoptée à l’aube du troisième millénaire.
Mais l’idée d’utiliser vraiment une discipline "à la Bundesbank" pour obtenir une inflation basse de style allemand a bientôt cédé le pas à l’observation attentive des "données économiques larges". Jouant désormais les serviteurs de ce que Wolfgang Munchau, du Financial Times, appelle "l’opinion du monde réel" sur la croissance économique, les prix à la consommation et les taux de change, la cible initiale de la BCE pour la masse monétaire — selon laquelle le M3, mesure large de la liquidité, ne devrait pas dépasser les 4,5% — a discrètement disparu des discours, des communiqués de presse et des déclarations officielles de la BCE.
Mal aimée, délaissée, la masse monétaire refuse néanmoins de se laisser ignorer. Elle commence à ressembler à une ex-femme un peu ridicule… qui continuerait d’envoyer des cartes à la Saint-Valentin, mais en écrivant "Devine qui ?…" de la main gauche pour déguiser son écriture. Cependant, depuis que l’euro est né, début 2000, la véritable croissance de la masse monétaire en Europe occidentale a dépassé la "valeur de référence" de plus d’un tiers.
Et actuellement, la quantité d’euros en circulation — tant physique que digitale — augmente deux fois et demie plus rapidement que la prescription initiale de la BCE, ramenant la Zone euro à l’inflation du crédit galopante de la fin des années 70.
Pas étonnant donc qu’à "un niveau mondial, les risques d’inflation [des prix] soient à la hausse", comme l’a dit M. Trichet à la Banque des règlements internationaux (BRI) il y a quelques jours en Suisse.
Pas étonnant non plus que le prix de l’or en euros ait explosé.
La politique de Trichet à la tête de la BCE va-t-elle mettre fin l’inflation en 2008 et éteindre la hausse fulgurante de l’or ? Nous donnerions plus de chances de réussir à un pompier essayant d’éteindre un incendie en l’arrosant de kérosène.
"Il y a un danger d’effets collatéraux sur l’inflation", comme le disait l’Homme de l’Année à Bâle. Peut-être que Trichet pensait aux six syndicats menaçant de faire grève sur l’augmentation des salaires en France… ou au fait que des augmentations de salaire supérieures à l’inflation avaient justement échoué à éviter les grèves dans le secteur public italien… ou peut-être aux négociations actuellement en cours en Espagne, où les augmentations de salaires annuelles sont encore liées à l’inflation — qui est actuellement à +4,1% par rapport à l’année dernière.
Bref, "il n’y a pas de place pour la complaisance [sur l’inflation]", comme le déclarait M. Trichet à son public bâlois. Mais quelle autre explication que la complaisance pour expliquer l’augmentation en flèche du M3… qui n’accélère cependant pas assez rapidement pour suivre le rythme de l’expansion monétaire aux Etats-Unis ou l’inflation indécente de la Grande-Bretagne et de la Chine ?
Trichet peut sembler être un choix étrange pour "l’Homme de l’Année 2007". Cependant, il semble être un choix idéal pour "l’Homme du Moment". Il incarne l’air du temps actuel en termes de banque centrale — un moment où l’on utilise de grands mots… et de petites actions.
En disant une chose tout en faisant une autre… en aidant les forces de l’inflation à se rassembler, alors qu’il affirmait s’y opposer fermement… Trichet a résumé l’esprit de notre ère financière mieux encore que Ben Bernanke à la Réserve fédérale américaine.
Jean-Claude Trichet, nous vous saluons !
Adrian Ash
Pour la Chronique Agora
(*) Correspondant du Daily Reckoning à la City de Londres et intervenant régulier dans les pages du magazine MoneyWeek, Adrian Ash est également le rédacteur en chef de Gold News et directeur de la recherche chez BullionVault.