L’épargnant est désormais l’ennemi mortel, pour les autorités : il empêche de mentir, de voler et de s’endetter – et doit donc être éliminé à tout prix…
En Europe, l’Allemagne et les pays du nord sont maintenant appelés les « pays frugaux ». Cela marque ces pays du fer de l’infamie : rendez-vous compte, ils épargnent, ils jouent les fourmis !
Ces pays commettent le péché d’avoir encore du bon sens.
Pour produire des richesses, il faut faire un détour qui est le propre de l’humain. Il faut mettre de côté une partie de ce que l’on a produit afin d’investir, de construire des outils, des machines, qui produiront efficacement les biens et services futurs.
Le secret du bien-être
Le secret de notre bien-être est là : il est dans le détour de l’épargne et de l’investissement. Ce détour permet, par l’abstinence, de préparer l’avenir, de faire face aux aléas, aux imprévus, aux catastrophes.
Au passage, je précise que ce détour est fondateur de notre ordre social et de son évolution passée et future, mais c’est une autre histoire.
Il permet en tout cas d’avoir les ressources disponibles pour produire des biens qui ne servent pas à la consommation immédiate, mais qui servent à produire plus tard.
L’abstinence a rapport au facteur temps, au report de la jouissance dans le temps.
Ce secret est fondé sur la capacité à produire au-delà des besoins immédiats, sur la capacité à produire de façon économique – et c’est-à-dire avec un surplus que l’on peut, si l’on veut, appeler « profit ».
Ce secret est fondé sur la capacité à se projeter dans l’avenir, sur l’innovation et l’inventivité, sur la rémunération de l’abstinence et du risque. Nous y sommes : et surtout sur la capacité à prendre des risques, ce qui veut dire à accepter quelquefois de perdre et quelquefois de gagner.
Quand le bon sens se perd
Bref, grâce à ce secret, nous avons créé notre civilisation – et moi j’en suis fier, je n’ai pas honte d’être à la pointe de la civilisation, celle qui a fait de nous des êtres sophistiqués à un point tel que nous pouvons consacrer du temps à penser, à réfléchir, à nous distraire, à faire œuvre artistique, etc… et même à aider ceux qui nous critiquent et nous haïssent.
Mais le bon sens est perdu depuis que l’on croit avoir découvert le moyen de se passer de l’épargne et de la remplacer par la dette !
Le bon sens est perdu parce que sont arrivés les banquiers et qu’ils nous ont fait croire que l’on pouvait se dispenser d’épargner.
Ils ont créé la monnaie de crédit, celle qui jette un voile impudique couvrant tous les processus économiques et les rendant indéchiffrables, inintelligibles ; celle qui permet de faire prendre les célèbres vessies pour des lanternes ; celle qui permet aux Américains de vivre aux dépens des prolos chinois et aux pays du sud en Europe de vivre sur le dos des fourmis des pays du nord.
L’épargne a été rendue invisible, délocalisée, enfouie, de telle façon que nos sociétés ne se rendent plus compte du fait qu’elle est essentielle.
Le crédit ne remplace pas l’épargne. Simplement, il l’occulte, il la rend invisible – tout comme la délocalisation des fabrications industrielles dans le Tiers-Monde fait croire qu’il n’y a plus de prolétaires.
Comme on ne les voit pas, on croit qu’il n’y en a plus !
Il faut toujours que quelqu’un produise
C’est un mensonge scélérat car il faut toujours que quelqu’un produise et soit exploité pour que le système tourne. De même, il faut toujours que, quelque part, quelqu’un épargne pour que l’investissement soit possible.
On a invisibilisé l’épargne, au même titre que l’on a invisibilisé le travail productif et que l’on a invisibilisé l’exploitation capitaliste. Et si on a invisibilisé l’épargne, c’est exactement de la même façon et pour les mêmes raisons que l’on a invisibilisé le prolétariat : pour l’exploiter, c’est-à-dire pour l’utiliser sans la payer, pour en profiter gratuitement.
Voilà le secret de la soi-disant modernité financière.
Avant, on épargnait – mais à présent, le crédit et la dette ont remplacé et fait concurrence à l’épargne… à un point tel que celle-ci devient nuisible.
Tenez-vous bien, dans le système absurde qui est le nôtre, cette épargne est devenue l’ennemi. Elle fait de l’ombre au crédit dans la mesure où, si vous épargnez, vous consommez moins, vous ralentissez la machine économique et alors, alors, tous ceux qui sont endettés et ont fait des paris sur l’avenir par le biais du crédit – tous ceux-là sont en difficulté.
L’épargne est bannie parce qu’elle fait du tort aux cigales. Elle ralentit la bicyclette : elle roule moins vite, elle est donc moins stable et étant moins stable, les plus maladroits – les plus endettés – tombent.
Voilà pourquoi on a décrété que celui qui épargne conformément aux vraies lois de l’économie, aux lois éternelles du bon sens et de la nature, celui-là c’est l’ennemi : il empêche de s’endetter en rond, de mentir, de voler et il met le système en danger.
[NDLR : Retrouvez toutes les analyses de Bruno Bertez sur son blog en cliquant ici.]
1 commentaire
La plupart des articles de Bruno Bertez sont, à mon humble avis, confondants de bon sens.
Epargner est une nécessité mais face au hold-up effectué sur l’épargne par le truchement de taux zéro ou négatifs et le prélèvement de frais bancaires de toute nature, je ne vois guère comme solution que de minimiser ses avoirs en monnaie fiduciaire, en ne conservant que minimum nécessaire pour faire face à un coup dur, et en plaçant le reste dans des actifs qui ne se déprécient pas, voire s’apprécient : métaux précieux, bitcoin ou objets de collection. Ils sont certes peu liquides, à l’exception du bitcoin, mais permettent d’éviter l’érosion d’un capital difficilement accumulé au prix d’années de labeur.
Consommer ? Pour un smartphone doté d’un appareil photo un peu meilleur ? Une TV à la diagonale un peu plus grande ? Une voiture dotée de quelques gadgets à la mode ou plus « statutaire » ? Sans doute surtout pour combler un énorme vide existentiel qu’un marketing bien affûté (et surtout très culpabilisant) contribue à installer chez une majorité de personnes.
Le consommateur, vu de façon collective, dispose de l’énorme pouvoir de contrôler la machine infernale en mettant un frein à ses pulsions de consommation, mais je crains qu’il ne le fasse qu’au moment où il sera frappé par la misère.