Les institutions européennes ont désormais de nouveaux dirigeants – la fine fleur de la démocratie, à n’en pas douter…
Ça y est, le grand mercato au sein des institutions européennes est terminé. Le moins que l’on puisse dire, c’est que de sommet européen en sommet européen, les chefs d’Etat ont eu besoin de temps pour réunir une majorité sur des candidats à l’investiture.
Renouvellement des élites européennes : les cinq noms les plus importants pour les cinq prochaines années
Aucun des noms avancés en milieu d’année n’a finalement été retenu. Exit le Spitzenkandidat allemand Manfred Weber qui devait remplacer Jean-Claude Juncker et sa « sciatique » chronique à la présidence de la Commission, exit l’Allemand Jens Weidmann et le Français François Villeroy de Galhau, pressentis pour devenir patron de la Banque centrale.
Il a en effet fallu attendre le 2 juillet pour que les candidats des Etats aux deux postes les plus stratégiques des institutions européennes soient connus…
… ce qui n’a pas manqué de déclencher une ASMR dans le cerveau de Marlène Schiappa.
Les institutions européennes présenteront donc un visage quasiment paritaire durant les cinq prochaines années, avec deux femmes qui occupent les deux postes clé. Dans le détail, on trouve :
– L’Italien David Sassoli (S&D – Alliance progressiste des socialistes et démocrates), vice-président du Parlement européen depuis 2014, en a pris la tête le 3 juillet dernier.
Profitons-en pour relever qu’il n’y aura pas de « super groupe » eurosceptique au Parlement : le groupe du Rassemblement national et de La Lega ne compte en effet que 73 députés, à défaut d’avoir pu rallier d’autres populistes (lesquels occupent 175 sièges), notamment du fait de leur russophilie décomplexée.
Cinquième force au Parlement européen, les eurosceptiques n’auront donc aucun poste d’influence (vice-présidences du Parlement et présidences de commission) au sein du Parlement ;
– L’ancien Premier ministre belge Charles Michel (centristes de Renew Europe) a pris ses fonctions le 1er décembre à la tête du Conseil européen ;
– L’Espagnol Josep Borrell (S&D) est devenu le 1er décembre le haut représentant de l’Union pour les Affaires étrangères et la politique de sécurité ;
– L’Allemande Ursula von der Leyen (PPE – Parti populaire européen), « seule ministre [Union chrétienne-démocrate (CDU)] à avoir fait partie de tous les gouvernements Merkel depuis 2005 », comme le rappelle Le Point, est entrée en fonction le 1er décembre à la tête de la Commission européenne ;
– Et c’est à la Française Christine Lagarde (PPE) que revient le Saint-Graal de la présidence de la BCE.
David Sassoli, Charles Michel, Josep Borrell, Ursula von der Leyen et Christine Lagarde
Que penser des noms qui ont été retenus ?
L’Union européenne, cette entité politique en déficit de démocratie dirigée par des seconds couteaux recyclés
Sur le plan de la légitimité des personnalités victorieuses, on trouve donc :
– Un Parlement européen dirigé par un Italien opposant à Matteo Salvini, l’homme politique le plus populaire de l’autre côté des Alpes ;
– Un Conseil européen présidé par un Premier Ministre belge défait aux élections législatives fédérales du mois de mai, et dont les mauvaises langues disent qu’il a été recommandé par son père, Louis Michel, ancien Commissaire européen entre 2004 et 2009 ;
– Des affaires étrangères incarnées par un Josep Borrell dont Bill Wirtz rappelle sur Contrepoints « qu’en 2012, [il] a été contraint de démissionner de son poste de président de l’Institut universitaire européen (IUE) à la suite d’allégations de conflit d’intérêts. Il percevait alors 300 000 € en tant que membre du conseil d’administration de la société espagnole d’énergie durable Abengoa, tout en promouvant au même moment les bio-carburants à travers l’institut. »
– Une Allemande perçue cet été par ses compatriotes comme la deuxième personne la moins compétente au sein du gouvernement fédéral selon le quotidien Bild, en particulier du fait de soupçons de favoritisme et de corruption au ministère de la Défense (affaire des contrats à des consultants externes pour plusieurs centaines de millions d’euros) ;
– Et une Française qui n’a jamais été élue au suffrage universel de sa vie et qui a été condamnée en décembre 2016 pour « négligence » par la Cour de justice de la République française, mais dispensée de peine en raison de sa « personnalité » et de sa « réputation internationale ».
Bref, il ne manquait plus que Sylvie Goulard et ses casseroles pour renforcer la Commission, et le tableau aurait été parfait.
Heureusement, la Française a été recalée par les députés le 10 octobre, et c’est finalement Thierry Breton qui a obtenu le portefeuille du Marché intérieur.
Pour ce qui est des Verts, ils ne remportent aucune institution. Ils gagnent cependant la bataille des idées en cela que les politiciens des grandes économies européennes suivent tous les préceptes écologistes, en particulier en recyclant leurs copains à l’échelon européen. Et ce n’est manifestement pas Emmanuel Macron qui va mettre un terme à ce genre de pratiques.
Enfin, avec la nomination d’Ursula von der Leyen à la tête de la Commission, le conte pour enfants de la démocratisation de l’institution purement technocratique qu’est la Commission a fait long feu.
Rappelons en effet que le renouvellement de la Commission devait être l’occasion d’assoir le principe allemand du Spitzenkandidat, qui consiste à proposer comme président la tête de liste du groupe politique arrivé en tête des élections parlementaires européennes, comme cela avait été le cas en 2014 avec Jean-Claude Juncker. Tant pis pour Manfred Weber (désigné comme Spitzenkandidat par le PPE en novembre 2018) qui n’avait pas les faveurs de notre Jupiter national.
Ceci posé, comment interpréter le choix de ces cinq personnes en termes de rapports de force entre les différents Etats membres de l’Union ?
Avec le Brexit, l’Union européenne passe aux mains des interventionnistes « progressistes » auxquels font face les interventionnistes « populistes »
Sur le plan de la répartition de ces postes de direction par pays, Alexandre Massaux fait une remarque très intéressante sur Contrepoints :
« Mis à part la présidente allemande de la Commission, les quatre autres officiels sont issus de pays endettés, voire en situation de déficit budgétaire. Pour reprendre la division entre Europe du nord et Europe du sud, c’est cette dernière qui est mise en avant à travers ces nominations. Or, les Etats du sud de l’Europe s’avèrent les plus dépensiers et les plus interventionnistes dans leurs politiques internes. »
Avec cette nouvelle configuration qui prive les pays nordiques et les pays d’Europe centrale et de l’est de représentants à la tête des instance dirigentes de l’UE, « le groupe de Visegrad [NDLR : Hongrie, Pologne, République tchèque et Slovaquie] s’avère le grand perdant alors qu’il était représenté lors de la précédente législature dans le Conseil européen avec le Polonais Donald Tusk », poursuit Alexandre Massaux.
Eh oui, au sein de l’Union européenne, ce sont les élites politiques des Etats mauvais élèves qui dirigent, c’est comme ça !
Pour ce qui est de la présidence allemande de la Commission, le moins que l’on puisse dire c’est que le programme d’Ursula von der Leyen laisse des doutes quant au fait que l’Allemagne va contribuer à faire rentrer les pays du sud dans le droit chemin budgétaire, comme nous le verrons dans un prochain billet.
Au-delà du groupe de Visegard, les Pays-Bas et le Danemark devront se contenter de deux vice-présidences de la Commission dévolues à Frans Timmermans (S&D – commissaire européen à l’Action pour le climat) et Margrethe Vestager (Renew Europe – commissaire chargée du Numérique, incluant la concurrence).
Conclusion d’Alexandre Massaux :
« Ces nominations mettent en évidence un tournant plus interventionniste de l’UE. Depuis le traité de Maastricht, le pouvoir politique de l’Union s’est accru et la présence du Royaume-Uni faisait contrepoids aux politiques plus étatiques des pays du sud de l’Europe dont la France. […]
En outre, il apparaît que l’opposition prônée par Macron entre les progressistes et les populistes devient peu à peu une réalité. Le Royaume-Uni offrait une voie libérale aux eurosceptiques et permettait d’être un pont entre les pro-européens et [leurs] opposants. Avec la disparition de ce médiateur, l’Europe va être le terrain d’un affrontement entre des positions de plus en plus extrêmes. »
Voilà qui n’est pas une bonne nouvelle pour qui défend les libertés en Europe. Reste à savoir si « la victoire des conservateurs britanniques pourra […] inspirer les partisans de la liberté sur le continent pour se rassembler et enfin agir », comme l’écrit Frédéric Mas sur Contrepoints…