Paul Volcker a sauvé le système monétaire américain dans les années 1980 – pour mieux le ruiner quelques années plus tard ?
Générer de l’inflation n’est pas toujours aussi simple que cela en a l’air. Evidemment, comme l’a souligné Ben Bernanke, ancien président de la Réserve fédérale, un gouvernement déterminé peut toujours y arriver…
… Mais pas nécessairement quand et comment il le souhaite. Même le cambriolage le mieux planifié peut parfois échapper à tout contrôle. Les victimes se rebellent. La voiture prend un mauvais virage lors de la fuite. Les flics se pointent.
Rigide comme l’acier, dur comme le roc
Rudolf von Havenstein était président de la banque centrale prussienne. Rigide comme l’acier. Dur comme le roc. L’Histoire ne connaît pas de fonctionnaire plus strict avec lui-même ou la devise de son pays.
Pourtant, confronté à la menace de la Révolution bolchevique… et sans autre moyen de refinancer la dette gouvernementale de l’Allemagne… Von Havenstein a fait son choix. En 1923, l’Allemagne avait des marks à ne plus savoir qu’en faire – et chacun d’entre eux portait sa signature.
Le taux d’inflation en Allemagne en 1914 était inférieur à 2%. Mais soumis à l’urgence de la guerre, le gouvernement a fait ce que les Etats-Unis ont fait en 1971 – couper le lien entre le mark et l’or.
A la signature de l’armistice, le 11 novembre 1919, il y avait quatre fois plus de marks papier en circulation. Les prix avaient plus que doublé… mais il n’y avait aucun indice du désastre monétaire à venir.
Les autorités allemandes avaient financé la guerre en imprimant de l’argent. Elles se sont dit qu’elles pouvaient désormais se sortir de la dépression d’après-guerre en en imprimant plus encore…
La bonne décision ?
Cette décision semblait être la bonne, à l’époque. Elle empêchait une crise immédiate – avec du chômage de masse et des bouleversements politiques.
Von Havenstein savait que cela générerait de l’inflation, mais il considérait cela comme le moindre de deux maux. Il semblait aussi penser que l’inflation serait modérée… comme elle l’avait été durant la guerre… et qu’elle réduirait le poids écrasant de la dette de guerre de l’Allemagne.
Un petit pas a mené à un autre. Cinq ans plus tard, lorsque Von Havenstein est mort, la banque centrale allemande avait imprimé quelque 500 quintillions de marks. Cette hyperinflation de la masse monétaire a engendré une hyperdéflation de la valeur du mark.
A la fin décembre 1923, un dollar US valait 4 200 milliards de marks.
Malgré tout « l’argent » que les Allemands détenaient, ils étaient pauvres. L’économie s’était effondrée. Des foules déchaînées parcouraient les rues. Une décennie plus tard, les nazis accédaient au pouvoir, le Reichstag brûlait et 60 millions de personnes mouraient durant la Deuxième guerre mondiale.
Mais qui aurait pu le voir venir ?
Et qui aurait pu prédire ce qu’il se passerait aux Etats-Unis après que les Etats-Unis ont supprimé l’or de leur système monétaire en 1971 ?
De l’Indochine à Washington
Ces derniers jours, nous explorons les années 1970. Le changement effectué en 1971 – de l’ancien dollar adossé à l’or au nouveau dollar s’appuyant uniquement sur les promesses et l’intégrité de la Fed – a été fait pour résoudre un problème.
Les autorités américaines s’étaient mises dans le pétrin. Elles avaient dépensé trop d’argent.
Bon nombre des dollars qu’elles avaient dépensé ont échoué dans des banques vietnamiennes, reliques de l’empire colonial français en Indochine. A partir de là, les billets verts se sont frayés un chemin vers Paris, où ils ont été échangés contre des francs à la Banque de France.
De la Banque de France, ils ont embarqué pour Washington, où ils étaient destinés à la « fenêtre de l’or », au Trésor US. Chaque fois que les Français apportaient 35 $, ils recevraient une once d’or. C’est ainsi que cela avait toujours été – et cela fonctionnait très bien depuis 179 ans.
Cela signifiait toutefois qu’une bonne partie de l’or américain serait remis aux Français et autres étrangers. Au lieu de laisser faire, l’administration Nixon, aidée et encouragée par le Prix Nobel d’économie Milton Friedman, a fermé la fenêtre de l’or.
A partir de là, les Français n’avaient plus qu’à aller se faire voir. Tout ce qu’ils pouvaient obtenir du Trésor US, c’était d’autres bouts de papier, d’autres dollars. Pourquoi se donner du mal ? Il n’y avait qu’à détenir directement des dollars en tant que devise de réserve, rendant l’or superflu.
L’effet de cet échange d’anciens dollars contre des nouveaux s’est fait sentir relativement rapidement. Les prix à la consommation aux Etats-Unis grimpaient au taux de 5% au début de la décennie. A la fin, les prix avaient doublé et augmentaient encore à un taux annuel de près de 14%.
La grande mésaventure américaine
Ce n’était que le début, bien entendu. La grande mésaventure des Etats-Unis avec l’inflation a commencé en 1971.
10 ans plus tard, la plupart des hommes d’affaires, économistes et politiciens américains étaient pour la poursuite du programme d’inflation. Il a fallu un président de la Fed remarquablement déterminé, volontaire et lucide – un autre Prussien, Paul Adolph Volcker – pour s’opposer à eux.
S’il n’avait pas pris le dessus… ou s’il n’avait pas eu le soutien du président Ronald Reagan… l’expérience serait probablement déjà terminée. Les taux d’inflation auraient probablement continué à grimper. L’économie aurait probablement continué à ralentir. La stagflation – une hausse des prix dans une économie qui s’affaiblit – aurait empiré.
Très probablement, la crise économique en cours aurait déclenché une crise politique… et dans l’effondrement qui se serait ensuivi, le système du dollar papier aurait été abandonné.
Mais le succès engendre souvent une plus grosse punition que l’échec. En 1923, l’expérience allemande avec l’inflation était terminée, après neuf ans seulement. Principalement grâce au fait que Volcker avait réussi à sauver le système de fausse monnaie, celle des Etats-Unis se poursuit.
Seul Dieu sait quelles calamités cela amènera… mais cela ne nous empêche pas de faire quelques suppositions. Restez à l’écoute…