** Nous vous présentons tous nos vœux de bonheur, de santé et de félicité pour l’année 2008. Mais nous ferons aujourd’hui une petite impasse sur la mention « prospérité » car cette première journée boursière efface déjà la totalité des gains engrangés à Paris en 2007… et la séance de mercredi pourrait bien nous ramener un peu plus d’un an en arrière sur le CAC 40. En effet, aucune embellie ne s’est dessinée à Wall Street, après une entrée en matière qui s’avérait la pire observée depuis le 2 janvier 2001 — et même depuis près de 20 ans puisque le Dow Jones n’a jamais perdu plus de 1,5% au lendemain du réveillon !
Après une entame de séance placée très classiquement sous le signe des achats techniques, les indices boursiers européens s’étaient stabilisés entre 0,1% et 0,7%, au mieux, dès la fin de la première demi-heure de cotations. Le seul élément un peu singulier résidait dans l’étroitesse des volumes, comme si les gérants étaient encore en panne d’initiative après la triste séance du 31 décembre, où des records d’inactivité avaient été battus à Londres ou à Paris.
Mais les indices — qui s’étaient mis en roue libre dès le milieu de la matinée — semblaient devoir poursuivre sur leur lancée haussière jusqu’à la clôture, puisque Wall Street affichait un biais modérément haussier en pré-ouverture. Le Dow Jones et le Nasdaq devaient confirmer cette tendance molle mais positive dès les premiers échanges, grâce à quelques hausses spectaculaires sur Amazon, Foster Wheeler ou Research in Motion qui s’étaient déjà distingués l’an dernier. Puis nous avons pu constater des achats tactiques sur Exxon, 3M ou Coca-Cola (autant de valeurs appréciées pour leur caractère défensif).
** Ce 2 janvier fut donc plutôt morne et ennuyeux jusque vers 16h00 : c’est à ce moment précis que les indices boursiers ont basculé dans le rouge et que le moral des opérateurs s’est retrouvé du côté obscur de la Force.
La publication de l’ISM manufacturier américain (pour le mois de décembre) a fait l’effet d’un puissant courant d’air sur une bougie d’anniversaire ou sur le chandelier posé sur une table de réveillon. La timide flamme haussière des premiers instants s’est éteinte en une fraction de seconde.
Le CAC 40, qui affichait encore +0,6% peu avant la diffusion de ce chiffre, a reculé de 1,5%. Une demi-heure plus tard, il parvenait à limiter son repli à 1,15% à 17h30. Mais en transactions « hors séance », il ne tardait pas à enfoncer virtuellement ses plus bas du jour dans le sillage du Nasdaq 100 qui plongeait de 1,8%.
La croissance de l’activité du secteur manufacturier américain s’est contractée au-delà des plus sombres prévisions fin 2007, selon l’enquête de l’Institute for Supply Management. Son indice mensuel d’activité plonge de 50,8 vers 47,7, pulvérisant le seuil fatidique des 50.
L’enfoncement des 50 préfigure presque à coup sûr une phase de contraction de l’activité économique aux Etats-Unis. Pour ne rien arranger, la sous-composante inflation associée aux prix industriels dérape au-delà des 4% annuels.
Les dépenses de construction — qui ont augmenté de 0,1% en novembre aux Etats-Unis alors que les analystes de Wall Street s’attendaient en moyenne à une baisse de 0,5% — ont été complètement ignorées des cambistes qui laminent le dollar du fait de la résurgence des anticipations de baisse de 50 points de base du prime rate par la Fed dès fin janvier.
Le billet vert a dévissé en quelques minutes de 1% face à l’euro (de 1,4595 jusque vers 1,4750 euro) et de 2% face au yen (de 112 vers 109,30 — et il s’effondre de 4% en quatre séances), trahissant une inversion brutale des opérations de carry trade, lesquelles dépendent tout autant des anticipations de croissance outre-Atlantique que de la politique monétaire de Ben Bernanke à l’horizon 2008/2009.
** Au-delà des turbulences qui ont agité le marché des changes et les indices boursiers, cette journée restera marquée par le nouveau record absolu battu par l’once d’or (+3% à 858 $/once) ainsi que par le baril de WTI — la barre des 100 $ vient d’être franchie ce mercredi sur le NYMEX. Cette flambée des matières premières s’est matérialisée sur fond d’instabilité au Pakistan, d’incidents meurtriers à Port Harcourt au Nigeria — les principaux terminaux pétroliers des compagnies occidentales débouchent dans cette zone — sans oublier une vague d’attentats en Algérie et des émeutes sanglantes au Kenya.
Cela faisait beaucoup pour un 2 janvier : les indices boursiers de la zone euro ont chuté de 1,35% en moyenne en Europe et de 1,65% à Wall Street. Le Dow Jones s’est battu pour préserver le seuil des 13 000 points après un peu moins de trois heures de cotations tandis que le Nasdaq 100 flirtait avec les -2% avec plus de 85% de titres en repli : la faute à Bank of America, qui recommande de se détourner des fabricants de semi-conducteurs en 2008, ce qui a entraîné une chute de 5,5% d’Intel et de 4% d’AMD.
La volatilité ressurgit donc brutalement alors que l’étroitesse des volumes — 3,8 milliards d’euros échangés seulement à Paris — amplifiait les écarts à la baisse. Le CAC 40 a affiché plus de 135 points de variation en intraday pour clôturer juste sur le seuil des 5 550 points.
Nul doute que les stratèges des grandes banques d’affaires ne vont pas tarder à nous ressortir le concept de « chasse aux bonnes affaires » et de « fonds souverains » proche- ou extrême-orientaux à l’affût d’opportunités historiques. C’est un artifice susceptible de générer du trading sur du très court terme mais parfaitement inefficace pour restaurer une tendance haussière à moyen terme.
** La Fed ne nous laisse guère le loisir de nous bercer d’illusions en ce qui concerne la conjoncture américaine au premier semestre 2008. Les « minutes » de sa dernière réunion mettent l’accent sur les risques de contraction de la croissance, attendue inférieure à sa moyenne historique.
Les économistes en déduisent que le PIB affichera une progression nettement inférieure à 2% au premier trimestre, et il faudra probablement attendre le troisième trimestre pour voir les récentes baisses de taux commencer à produire leurs premiers effets positifs.
Le petit jeu des pronostics concernant la prochaine réunion de fin janvier (-25 points ou -50 points de base) a torpillé le billet vert. Cela pourrait préfigurer un scénario comportemental que les consommateurs japonais ont largement mis en pratique de 1990 à l’an 2000 et qui se résume par la formule « il est urgent d’attendre ».
Pas question en revanche de différer la mise en place de stratégies orientées vers la sécurité dans le contexte économique et géopolitique actuel. Les gérants se ruent sur les T-Bonds — dont le rendement a chuté de 13 points mercredi à 3,90%. Quant au métal précieux, qui pulvérise la barre des 850 $, il devra se hisser largement au-delà des 1 000 $ pour rattraper une partie du retard accumulé face au pétrole et au Dow Jones depuis janvier 2003.
Philippe Béchade,
Paris