** Wall Street a rouvert en hausse mercredi, dans le sillage de Google qui pulvérise la barre symbolique des 700 $ (à 705 $). Cela commence à faire cher le bout de papier… On croirait une action suisse, sauf qu’il n’aura fallu que trois ans pour voir le cours du titre multiplié par huit — alors qu’il faut généralement 30 ans pour parvenir à ce résultat au pays de l’horlogerie de haute précision.
Les compteurs ne tournent pas à la même vitesse sur les rives de l’Hudson et du lac de Neuchâtel (ou celui des Quatre Cantons) : Wall Street s’efforce de caler son évolution sur la trotteuse qui permet de voir défiler les secondes… tandis que Zurich trouve que le monde tourne bien assez vite en se référant à l’aiguille qui indique les heures.
De ce point de vue, Google a de quoi donner le tournis à un épargnant helvétique : le titre valait à peine 500 $ à la mi-août, mais le cap des 600 $ fut franchi dès le 6 octobre dernier… et il ne lui aura fallu que trois semaines pour gagner 100 $ de plus. A ce rythme, une action Google vaudra une once d’or (soit 785 $) dès la mi-novembre.
Son prix d’introduction devrait avoir décuplé d’ici le 21 décembre prochain (le troisième vendredi du mois, surnommé "journée des quatre sorcières", la plus importante de l’année pour les gérants de portefeuilles américains).
Oui, véritablement, le titre Google, c’est de l’or en barre : au cours actuel, il suffit de 36 titres pour obtenir un lingot ! Toute la question est de savoir s’il ne serait pas temps d’échanger cette chatoyante bulle de technologie de l’information contre des pièces — tout aussi étincelantes — de 20 francs suisses ou de 50 pesos mexicains (qui pèse une once très précisément).
** A deux mois de la fin de l’année 2007, il nous semble effectivement préférable de détenir quelques onces de métal précieux, plutôt que du dollar. Ce dernier s’enfonce en effet sous les 1,4450/euro et inscrit un nouveau plancher historique à 1,4468/euro.
Le plus paradoxal, c’est que ce score vient d’être confirmé moins d’une heure après la publication d’une surprenante première estimation de la croissance au troisième trimestre aux Etats-Unis : elle se maintiendrait à 3,9% (contre 4% au second trimestre), au lieu d’un fléchissement vers 3,5%… voire 3% en tenant compte de la crise qui frappe le secteur immobilier et du crédit (même si les dépenses de construction ont rebondi de 0,3% au mois de septembre).
Le chiffre du PIB s’accompagne d’un spectaculaire rebond de l’indice PCE, le baromètre de l’inflation le plus suivi par la Fed : il indique +1,8% contre +1,5% anticipés.
** Alors comment se faire une idée juste de la dynamique conjoncturelle outre-Atlantique ?
Cela devient très compliqué, puisque peu après la publication du PIB, nous découvrions un indice précurseur de l’activité industrielle en net recul : le PMI de Chicago chute vers 49,7 contre 53 attendus (après 54,2 en septembre)… et le basculement sous le seuil des 50 points s’interprète comme un signal avancé de contraction économique aux Etats-Unis.
Si nous laissions libre cours à notre penchant pour les sarcasmes, nous aurions matière à mettre en parallèle un ralentissement de la croissance et une poussée inflationniste… et il ne nous ne en faudrait guère plus pour être conforté dans notre scénario de stagflation (celui que nous vous promettons depuis février dernier et que récusent les investisseurs qui ne se fient qu’aux statistiques à géométrie variable du département du Commerce ou du Travail).
** L’envolée de l’euro évoquée un peu plus haut s’explique non seulement par une succession de mauvais chiffres aux Etats-Unis — ceux du jour étant plus mitigés –, mais également par une poussée de l’inflation en zone euro au mois d’octobre. Elle ressortirait à +2,6% en rythme annuel, selon les chiffres provisoires publiés ce mercredi matin par Eurostat (le consensus des économistes tablait sur un score de +2,3% après +2,1% au mois de septembre).
L’enfoncement de nouveaux planchers historiques successifs (1,4360 puis 1,446/euro) depuis une semaine ne semble pas altérer la confiance des investisseurs européens. Le CAC 40 (+0,5%) revient tester ses meilleurs niveaux du début du mois d’octobre (soit 5 835/5 840), comme si Wall Street devait à nouveau servir de locomotive aux places occidentales, comme ce fut le cas mi-septembre, et pour des motifs identiques, intervention de la Fed oblige.
Wall Street s’était laissé déstabiliser mardi soir en toute fin de séance par la rumeur d’un hypothétique statu quo de la Fed ce mercredi ; la confiance est rapidement revenue, avec un S&P 500 qui grimpe de 0,5% et un Nasdaq 100 qui n’a d’yeux que pour Google.
C’est un éditorialiste du Wall Street Journal (Greg Ip, un des journalistes les plus proches de Ben Bernanke) qui avait semé le trouble mardi matin. Il avait révélé que les membres de la Fed restaient partagés entre la possibilité de maintenir le statu quo monétaire ou d’opter pour une baisse de 25 points de base des fed funds — alors que le scénario d’un abaissement du prime rate semblait joué d’avance… à 98%.
C’est ce même Grepg Ip qui avait écrit — avec l’aval du patron de la Fed, pensait-on au mois de septembre — que la banque centrale américaine n’avait pas vocation à voler au secours des spéculateurs lorsque leurs stratégies trop risquées tournent mal.
Nous savons tous ce qu’il est advenu : un abaissement massif du prime rate de 50 points qui provoqua l’une des plus fortes hausse du S&P de l’histoire. Le Dow Jones bondissait également de 360 points, un des scores algébriques les plus spectaculaires de son histoire (et en matière de pourcentage, cela fut le second plus gros écart observé depuis l’an 2000).
** Les marchés se sont trouvé depuis lors une autre source d’optimisme inépuisable : la flambée des places asiatiques, qui se perpétue sans faiblesse depuis fin juillet.
La question qui nous taraude depuis une dizaine de jours, alors que Shanghai vient de se hisser au-delà des 6 000 points (indice SSE "composite") et Hong Kong au contact des 30 000, reste la suivante : à partir de quel seuil, de quels degré d’excès indiciels les autorités "communistes" de Pékin décideront qu’il est temps de prouver que le capitalisme doit rester sous contrôle ?
Pas question — tout du moins officiellement — de s’en remettre à la seule "main invisible" chère aux ultra-libéraux occidentaux pour réguler des marchés ; ces derniers n’ont aucun sens de la mesure et perpétuent aveuglément une tendance dominante jusqu’aux les limites de l’absurde.
Mais n’est-il pas déjà trop tard alors que la plupart des analystes, tant fondamentaux que techniques, estiment que la flambée des indices chinois s’apparente déjà à la bulle boursière la plus monumentale des 30 dernières années, dépassant par son ampleur celle des valeurs japonaises en 1989 puis celles des dot.com en 1999 ?
Et si la banque centrale du Japon (qui a maintenu son taux directeur inchangé à 0,5% ce mercredi) décidait d’entamer très prochainement un cycle de resserrement monétaire, comme elle s’est engagée à le faire "préventivement" pour éviter l’émergence de sérieux déséquilibres économiques et commerciaux ?
Voilà qui pourrait enrayer la mécanique du carry trade ! Mais rassurez-vous, les cambistes n’y croient pas une seule seconde, la preuve : il a suffi d’évoquer une hausse des taux nippons pour que le yen dégringole de 0,6% sous les 115,5 face à un dollar déjà mal en point.
Tout le monde a bien compris que la BoJ n’avait osé cette boutade que pour détendre l’atmosphère… et les cambistes ont bien ri. C’est un peu comme si George Bush avait évoqué la réduction des déficits (par le biais des impôts) ou des inégalités sociales (avec l’instauration d’une "Sécu" universelle) aux Etats-Unis !
Philippe Béchade,
Paris