** Je m’envole d’ici 24 heures à destination de Rome pour venir à la rencontre de ceux de nos lecteurs et abonnés qui allient les plaisirs d’une croisière en Méditerranée aux joies de la découverte de nouveaux horizons de placement.
Je ne doute pas que la plupart d’entre vous considéreraient le cycle de conférences (organisé avec notre partenaire La Vie Financière) proposé à bord du MSC Liricas comme un simple perfectionnement de connaissances largement acquises. Mais les vertus du grand large peuvent également s’appliquer aux réflexions sur tel ou tel aspect de la gestion de portefeuille, à la lumière des derniers développements de l’actualité macro-économique…
Quand j’embarquerai vendredi soir, si la rechute de Wall Street puis du dollar se confirment, je crains d’être porteur de nouvelles inquiétantes pour certains. Je pense aux partisans d’une gestion « père de famille » qui repose (une croisière aussi c’est fait pour cela !) sur le sentiment que la hausse finit toujours par triompher… à condition de se montrer patient.
Les mouvements boursiers sont comme une succession d’escales : chacun peut choisir d’enrichir son album de souvenirs en effectuant une série de visites à terre. Mais cela accroît d’autant le risque de voir un impondérable interdire de remonter à bord avant que le bateau ne lève l’ancre. Et lorsque le paquebot a pris sa vitesse de croisière, il ne faut pas compter le rattraper en embarquant sur un bateau de pêche ou un zodiac.
Les incorrigibles retardataires qui tiennent le guide des marées à l’envers ne devraient pas miser sur la bourse pour accroître leur capital. Et ceux qui enfilent un bermuda dès que le bateau à destination des Bahamas quitte le Havre un soir grelottant de décembre non plus !
Mais il peut s’avérer très payant d’anticiper un grain, voire un bon coup de tabac boursier, lorsque l’horizon se bouche et que les oiseaux de mer se mettent à voler au ras des flots. L’amorce d’un retournement baissier sur les marchés se double cette année d’un foisonnement de nouveaux outils de gestion, bientôt accessibles au grand public.
** Des vents porteurs soufflent depuis l’Angleterre et les Etats-Unis dans le secteur des instruments de type CFD (Contracts for Difference) et options zero prime. Ils donnent accès à un pur effet de levier, via leur adossement aux titres les plus liquides de la cote. Moyennant un simple dépôt de garantie, ce système s’avère beaucoup moins gourmand en cash que les dérivés traditionnels qui se règlent une fois pour toutes, et en intégralité, au comptant.
L’un des avantages décisifs de ce genre de contrats sur actions, assortis d’un simple appel de marge — lequel peut rapidement s’avérer créditeur — est que l’ouverture d’une position acheteuse ou vendeuse est une opération strictement équivalente en termes de couverture. Aucune restriction, aucune garantie supplémentaire, n’est associée à une vente à découvert.
L’acheteur qui vous fournit la contrepartie opère dans des conditions strictement identiques du point de vue comptable. Son avis d’opéré comporte simplement un « A » au lieu d’un « V » et l’estimation du gain ou de la perte potentielle.
La faculté de vendre initialement — de la façon la plus naturelle qui puisse se concevoir — puis de solder la position par un rachat symétrique nous intéresse au plus haut point en cette période de regain de volatilité des marchés.
Pour échapper au syndrome de la « porte du saloon » (celle qui vous aplatit le nez avant de vous percuter l’occiput), il faut effectivement bien observer le mouvement des battants avant de s’engager d’un pas assuré.
** Nous constatons pas mal de bobos depuis jeudi dernier avec une belle série de variations supérieures à -2,5% puis +2,5% successivement depuis le jeudi 18 octobre, soit un mois jour pour jour après l’abaissement de 50 points de base du loyer de l’argent aux Etats-Unis. Le Dow Jones est pratiquement revenu à la case départ : le miracle du put Bernanke s’évapore !
A Paris, les rachats de découvert de dernière minute ont permis au CAC 40 de réduire sa perte de 0,8% à 0,53%. Mais la rechute sous les 5 730 points puis les 5 700 points et enfin les 5 670 n’en fut pas moins brutale. La volatilité que nous évoquions un peu plus haut est de retour, à notre plus grande satisfaction.
La débâcle des 90 dernières minutes (-75 points, soit pratiquement la différence constatée entre les extrêmes du jour) s’explique en partie, mais en partie seulement, par la publication de chiffres aussi mauvais que redoutés concernant les reventes de logements anciens aux Etats-Unis au mois de septembre.
** La crise de l’immobilier a continué de s’aggraver le mois dernier avec un recul historique de 8% des reventes de logements anciens (global) et de 10,2% des maisons individuelles. Les stocks d’invendus sont les plus élevés observés depuis 20 ans : ils atteignent 10,5 mois de transactions, alors que le prix moyen ressort à 211 700 $, soit une décrue de 4,3% sur les 12 derniers mois (dont 11 de baisse, la plus longue série depuis 1993).
Cette déprime explique largement les pertes de Merrill Lynch (2,24 milliards de dollars) découlant des 7,9 milliards de dollars de provisions passées en catastrophe sur les prêts à risque. Aucune de ses principales concurrentes n’a fait état de difficultés aussi importantes découlant de la crise du subprime. Le titre perd plus de 6% sur le S&P 500 (qui rechute de 1,5% sous les 1 500 points.
Nous ne pouvons nous empêcher de vous rappeler à quel point notre scepticisme fut grand lorsque JP Morgan annonça qu’une dépréciation d’actifs de 1,3 milliards de dollars devrait lui permettre de solder les turpitudes liées aux dérivés de crédit — alors que cette banque revendique le rang de numéro un mondial dans le domaine des dettes titrisées et collatéralisées.
** Autre souci pour les marchés : le sursaut de près de deux dollars du baril de pétrole (à 86,8 $) en réaction à la chute spectaculaire (5,3 millions de barils) des réserves de pétrole puis de deux millions de barils d’essence (en données hebdomadaires).
Mais rien ne s’avérait aussi dévastateur pour le Nasdaq Composite qu’une rafale de trimestriels décevants : l’indice dégringolait de 2,5% (avec 90% de titres en repli) à deux heures de la clôture, ce qui effaçait intégralement les gains accumulés lundi et mardi. Amazon s’effondrait alors de 16% sur la publication de prévisions de marges décevantes pour la période des fêtes de fin d’année (à 100 $ le titre et à 50 fois les profits, il y avait de quoi se gratter le coin du sourcil !). Altera et Broadcom plongeaient également de 17% et 18% pour cause de chiffres d’affaires trimestriels inférieurs aux attentes. Juniper Networks dévissait de 10%, Level-3 s’effondrait de 9% et enfonçait le seuil historique des trois dollars.
A la mi-séance, et compte tenu de tous les éléments bien concrets évoqués tout au long des paragraphes précédents, les chances de rebond apparaissaient très minces, voire quasi nulles. La rechute du dollar sous les 114 yens montre un phénomène synonyme d’anticipations de ralentissement économique aux Etats-Unis.
** Et pourtant, de façon proprement miraculeuse, le Dow Jones terminait à l’équilibre, le S&P en repli insignifiant de 0,25% et le Nasdaq (-0,9%) récupérait les deux tiers du terrain perdu au cours des quatre premières heures de cotation. Mais quel prodige a donc permis à des marchés américains au comble de l’anxiété de revenir à l’équilibre en l’espace de 90 minutes… en l’absence de tout élément tangible, de toute actualité concrète pouvant être interprétée comme positive?
Ce merveilleux sortilège a pour nom « baisse en urgence du taux d’intervention de la Fed ». Il ne s’agissait que d’une rumeur… Elle a commencé à circuler vers 20h parce que la situation apparaissait si compromise que les opérateurs se sont soudain imaginé qu’une constellation de témoins d’alerte au krach boursier se mettaient à clignoter dans le bureau de Ben Bernanke !
Comme le patron de la Fed n’a d’autre mission que de calmer les angoisses de Wall Street chaque fois que le S&P ou le Nasdaq se font une grosse peur avec la flambée du pétrole, la crise du subprime ou l’effondrement de l’activité dans le secteur immobilier, nul ne doute qu’il sortira sa grosse seringue d’anxiolytiques pour une belle injection de dollars à 4,50% dès le 30 octobre prochain. Ah ! Merveilleux marchés américains qui oublient en quelques minutes toutes les difficultés bien concrètes qui les assaillent — au même titre que la faim, la soif, le froid, les rhumatismes — rien qu’en se représentant mentalement le prochain shoot monétaire.
Le seul fait de sortir une petite cuiller, un élastique et un briquet… et voilà déjà un avant-goût de l’extase de l’héroïnomane : plus son mal-être devient profond, sa déchéance douloureuse, plus l’injection s’avèrera libératrice.
Quoi que nous prépare le bon Docteur Bernanke d’ici la fin de l’année, nous prédisons au mieux un « mauvais trip »… et au pire, une overdose de subprime aux indices américains d’ici janvier prochain.
Philippe Béchade,
Paris