▪ Nous en revenons à la pauvre Janet Yellen. C’est le jour J. Dans quelques heures, une bonne partie du monde aura les yeux fixés sur la Fed et sa présidente. La Fed a quasiment promis de rendre la vue aux aveugles et de faire marcher les paralytiques. Elle affirme qu’elle — et elle seule — est capable d’améliorer l’économie américaine et, par extension, toute l’économie mondiale. Les gens gagneront plus d’argent grâce à la Fed, et ils auront à craindre moins de calamités financières comme celles qui se sont produites avant que la Fed ne soit mise en place en 1913.
Dans l’inconscient populaire — s’il existe — on croit également que la Fed "ne permettra pas" un grand marché baissier parce que "ce serait mauvais pour l’économie".
La Fed contrôle la totalité du monde du commerce, de la finance et de l’investissement.
Janet Yellen contrôle la Fed.
Mais qui contrôle Janet Yellen ?
Oui, le poids de ces affirmations et promesses extravagantes repose désormais sur une seule femme — Janet Louise Yellen, de Brooklyn, NYC.
Pendant ses heures de travail, Mme Yellen garde la tête haute et parle le jargon embrouillé d’une économiste ordinaire. Mais pendant la nuit, tard, après s’être tournée et retournée dans son lit, ses pensées doivent se concentrer. Par intervalles de terreur pure, elle doit voir la position impossible dans laquelle elle a été mise.
Les prix sont fixés par les marchés, pas par des bureaucrates |
▪ Monologue nocturne
"Comment suis-je censée savoir à quel prix le crédit devrait être ? C’est impossible, évidemment. Les prix sont fixés par les marchés, pas par des bureaucrates. Quand on essaie de faire autrement, on se retrouve toujours avec un beau gâchis.
Et pourtant, me voilà. J’ai une responsabilité. Je suis à la tête du plus grand cartel bancaire au monde. Je suis chargée — par la loi — de faire quatre choses (je le sais parce que je l’ai lu sur le site internet de la Fed ce matin) :
– Mener la politique monétaire du pays en agissant sur la devise et les conditions de crédit dans l’économie avec pour objectifs le plein emploi et la stabilité des prix.
– Superviser et réglementer les banques et autres institutions financières importantes afin d’assurer la sécurité et la santé du système bancaire et financier de la nation, et protéger les droits au crédit des consommateurs.
– Maintenir la stabilité du système financier et contenir les risques systémiques qui peuvent apparaître sur les marchés financiers.
– Fournir certains services financiers au gouvernement US, aux institutions financière US et aux institutions officielles étrangères, et jouer un rôle majeur dans le fonctionnement et la surveillance des systèmes de paiement du pays.
Je ne devrais pas me poser de questions. Je devrais juste faire mon job. Le plein emploi. Oui… je crois qu’on est en bonne voie. Des prix stables ? D’où ça vient, ça ? Je ne savais pas que c’était là. Là, aucun doute, on y est. Les prix sont plus stables qu’on le voulait. On visait 2% d’inflation. Va comprendre.
▪ L’emploi en doute
Bon, si l’économie est en aussi bonne santé que je le dis, elle ne sera pas perturbée par une augmentation d’un quart de point. Si elle n’est pas en aussi bonne santé… et si la hausse des taux la met dans tous ses états… eh bien c’est que ces sept longues années de taux zéro n’ont rien fait pour elle ; autant les augmenter, non ?
Il faudra probablement encore deux ans avant que les Etats-Unis atteignent le plein emploi |
Attendez… peut-être que le marché de l’emploi n’est pas aussi sain qu’on me l’a dit. Mon ancien assistant, Andy Levin, radote chez Bloomberg :
Il faudra probablement encore deux ans avant que les Etats-Unis atteignent le plein emploi, quoi qu’en disent les statistiques du chômage et ce qu’en pensent les responsables de la Réserve fédérale.
Tel est en tout cas le point de vue d’Andrew Levin, autrefois conseiller spécial de l’ancien président de la Fed Ben S. Bernanke et de Janet Yellen, vice-présidente à l’époque, entre 2010 et 2012. ‘Nous ne sommes même pas encore proches du plein emploi, a-t-il déclaré dans un entretien.
Des millions d’Américains travaillant à temps partiel accepteraient un poste à temps plein s’ils en trouvaient un. Et de nombreux autres sortis du marché de l’emploi pourraient y retourner s’ils avaient le sentiment qu’ils avaient une chance de trouver un poste.
Dans l’ensemble, Levin estime que cela se monte à 2,2% de la main-d’oeuvre potentielle, soit l’équivalent de 3,5 millions d’emplois à plein temps environ. Quand bien même ce chiffre est en baisse par rapport aux 7,8% atteints fin 2009, il est tout de même plus élevé que la moyenne de 2% en vigueur depuis 1994. Et il est bien supérieur au taux de 1,1% qui régnait en juin 2004, lorsque la Fed a commencé à augmenter les taux.
Et tous ces clowns à la télé, expliquant pourquoi je devrais ou ne devrais pas… pourquoi je vais le faire… pourquoi je ne le ferai pas. L’un me dit que le taux de chômage n’est pas aussi bon qu’il le semble. Un autre me dit que la Chine est en route vers une sérieuse dépression. Un autre encore s’inquiète du ralentissement du commerce mondial…
Un dit d’accélérer. Un autre de ralentir. Ils croient que j’ai une sorte de machine sous la main : il suffirait d’appuyer sur l’accélérateur et l’économie partira en trombe. Mais si c’était réellement le cas, j’aurais mis le pied au plancher il y a longtemps. Ca ne marche pas comme ça…
Peut-être qu’on n’obtient pas la stabilité, le plein emploi, la sécurité et ainsi de suite en tirant sur des leviers et en tournant des boutons |
▪ Une erreur dans le choix de carrière ?
Et… oh non… peut-être que le principe même est faux ! Peut-être que je n’ai pas lu la description de poste assez attentivement. Peut-être qu’on n’obtient pas la stabilité, le plein emploi, la sécurité et ainsi de suite en tirant sur des leviers et en tournant des boutons. Peut-être qu’être banquier central n’est pas du tout comme être mécanicien. Peut-être que c’est plus comme être juge.
Les juges n’ont pas besoin de trouver ces nouveaux outils du genre de l’assouplissement quantitatif. Ils ne sont pas censés utiliser des méthodes non-conventionnelles. On n’attend pas d’eux qu’ils améliorent le monde, bon sang. Les juges sont simplement censés appliquer la loi et arriver au même jugement demain que celui qu’ils ont fait hier. La principale caractéristique du rôle d’un juge, c’est l’absence d’innovation. On tue quelqu’un, le juge vous condamne. Facile.
Les juges n’ont pas le monde entier qui les regarde… anticipant leur prochaine décision ; leur prochaine décision est censée être exactement la même que la précédente. Ils n’ont pas non plus besoin de se soucier de ce qui arrivera une fois le jugement rendu. Leur travail consiste simplement à rendre le bon jugement… à chaque fois… comme la fois précédente.
C’est peut-être ainsi que les banques centrales sont censées fonctionner aussi. Ce n’est pas à moi de me soucier des rigolos qui ont parié sur des taux bas. Pourquoi est-ce que je m’inquièterais de la baisse de leurs actions ? Mais attendez… si elles baissent trop… et trop vite… on pourrait avoir… eh bien… une situation sur les bras. Et elle pourrait se transformer en un très gros gâchis… le plus gros gâchis de l’histoire du monde.
Oh là là… On est déjà le matin ?"
1 commentaire
Très drôle … pour nous 🙂 par pour Janet.
Maintenant est-ce qu’il n’y a pas une stratégie d’Etat (US) qui pourrait aider à la décision et pour nous y voir plus clair ou bien encore favoriser quelques scénarios ?
Autrement dit accepter de perdre, c’est peut-être gagner à long terme.
C’est comme aux échecs, on accepte de sacrifier des pièces, même importantes, si toutefois on (les US) s’en sort plus victorieux que le (s) concurrent (s).
Autrement dit la stratégie de la ruine (ou toute autre stratégie) peut-être un choix rationnel si cela rapporte relativement plus qu’aux compétiteurs.
Alors bien sûr, il est difficile de deviner une telle stratégie, car par définition ce genre de plan est « secret », en tout cas « discret » et il n’est pas sûr que ce plan même s’il est réel… fonctionne !
Merci pour tous ces articles toujours très intéressants.