▪ Pour la plupart des responsables politiques, des investisseurs, des économistes et des médias, une banque centrale ne devrait servir que des intérêts partisans et catégoriels.
– Elle devrait faire plaisir aux spéculateurs qui vont faire sans risques (en tout cas pendant un temps souvent considérable) du carry trade très rentable — en empruntant à des taux quasi-nuls fixés par la banque centrale d’un pays A pour vendre la devise de ce pays A contre la devise d’un pays B et replacer ainsi les liquidités obtenues sur des actifs financiers à "haut" rendement de ce pays B.
Pourquoi pas, si les profits de ces activités de trading améliorent la rentabilité des banques et permettent de baisser le coût de la tarification des services bancaires ? Il est cependant permis d’en douter compte tenu de la volatilité et de l’instabilité des résultats issus du carry trade.
– La banque centrale devrait maintenir à un niveau élevé les indices boursiers et à un niveau faible les taux longs pour faire en sorte que les plus values-latentes des portefeuilles financiers se regonflent.
Là encore, pourquoi pas si cela crée des effets de richesse psychologiques permettant d’instaurer un réel climat de confiance généralisée dans l’économie ? Mais chacun sait que les effets de richesse liés à la hausse des actifs financiers ont des conséquences plutôt neutres sur l’économie (notamment en Europe continentale) dans laquelle l’épargne l’emporte sur la consommation.
LA LISTE NOIRE DE L'INVESTISSEMENT |
Malheureusement, le lien entre la bonne santé des banques et la bonne santé de l’économie est loin d’être mécanique… |
– La banque centrale devrait encore et toujours distribuer de l’argent abondant et à taux quasi nul pour les banques (qui, d’ailleurs, n’en demandent pas tant). Ceci maintient leur profitabilité. Tant mieux car cela signifie que l’activité traditionnelle d’une banque — qui consiste à transformer une partie de ses ressources court terme indexées sur les taux courts en crédits à long terme indexés sur les taux longs — est rentable. Malheureusement, le lien entre la bonne santé des banques et la bonne santé de l’économie est loin d’être mécanique…
– La banque centrale devrait céder aux gouvernements qui ainsi ne sont pas encouragés à faire preuve d’une vraie discipline budgétaire et fiscale.
▪ Oui, mais…
… Une banque centrale ne devrait pas être là pour faire plaisir à qui que ce soit (marchés, investisseurs, banques, gouvernements). Pourtant, malgré des statuts officiels d’indépendance, la BCE a aujourd’hui un comportement extrêmement dépendant de la pression des politiques et des marchés.
Les deux rôles d’une banque centrale sont, en réalité : huiler le circuit du crédit, protéger le pouvoir d’achat.
Une banque centrale doit, avant tout, faire preuve d’efficacité. Efficacité pour le financement de l’économie (en faisant en sorte que les canaux de transmission du crédit à l’économie fonctionnent), et pour la protection de l’épargne et du pouvoir d’achat de particuliers.
Le passage en territoire négatif des taux directeurs devient dès lors un problème. L’Histoire donnera sans doute raison à long terme au "faucon" Weidman, patron de la Bundesbank allemande et donc, de fait, membre du Directoire de la BCE, plutôt qu’à Draghi la colombe.
C’est vrai que ce n’est pas très populaire et plutôt déroutant dans les milieux financiers de critiquer ce bon Monsieur Draghi (vénéré aujourd’hui car market friendly) et de défendre le méchant Monsieur Weidman (honni car considéré comme un monétariste dogmatique). Comme pour beaucoup de sujets de société, il y a ce qu’il est bon de penser et ce qui ne l’est pas. Le discours officiel consiste à considérer que la BCE n’est jamais suffisamment accommodante.
On ne peut résoudre des problèmes économiques (compétitivité, innovation…) avec des taux toujours plus bas et toujours plus de liquidité |
▪ Erreurs et dogmatisme
On ne peut résoudre des problèmes économiques (compétitivité, innovation…) avec des taux toujours plus bas et toujours plus de liquidité. Là est le vrai dogmatisme — et cette croyance est une erreur stratégique qui coûtera très cher un jour :
– Bulles d’actifs financiers de plus en plus délirantes qui repoussent dans le futur des crises financières encore plus violentes, complexes et incontrôlables.
– Distorsions créées par des niveaux de taux anti-économiques (taux courts négatifs en Zone euro, absurdes et dangereux) avec un développement de la rente et non du capital qui produit des richesses.
– Absence d’incitation au niveau de certains gouvernements à réformer et réduire les gaspillages publics et donc l’insoutenable surendettement public.
D’ailleurs, Jürgen Stark, ancien chef économiste de la BCE, n’a pas hésité à proclamer officiellement que la politique monétaire actuelle de la Zone euro créait "une distorsion fondamentale des conditions de marché, par exemple en ce qui concerne la valeur des obligations des pays fortement endettés au sein de la Zone euro".
Et d’ajouter que les conditions d’"une nouvelle crise grave" sont de plus en plus réunies (ce que nous pensons) et qu’un taux directeur négatif "ne produira pas un euro de crédit supplémentaire".
Certains minimiseront ces propos en considérant qu’ils viennent d’un ancien banquier central aigri de ne plus être dans ses anciennes fonctions ; d’autres, au contraire, y accorderont une importance particulière en mettant en avant le recul, la lucidité et l’indépendance d’un expert des questions de macroéconomie monétaire. Nous nous rangeons dans cette seconde catégorie.
La suite dès demain…