▪ Une pluie de records absolus un lundi, comme ce 12 mai 2014, c’est un peu comme Noël un 23 décembre : le sapin et les guirlandes sont installés, la dinde et la bûche sont commandées, les cadeaux sont camouflés dans le haut des armoires… mais il n’y a personne pour faire la fête. Aucun rire joyeux, pas de tintements de coupes de champagne, aucun bruit d’ambiance… et puis voilà que les cloches se mettent à sonner à toute volée.
Boursièrement, cela nous donne des indices américains au zénith (avec un Dow Jones au-dessus des 16 700, un S&P 500 qui tutoie les 1 900)… un EuroStoxx 600 au plus haut depuis la mi-janvier 2008… un CAC 40 au-delà des 4 510 points (dividendes inclus)… Et cela alors que les opérateurs n’ont pu s’inspirer d’aucune statistique macroéconomique ni d’une réelle détente de la situation géopolitique au lendemain du simulacre de référendum d’autodétermination dans deux régions de l’est de l’Ukraine.
Je ne vois pas davantage d’éclairages haussiers nouveaux dans les déclarations de David Lockhart, membre de la Fed, qui confortaient samedi les anticipations des marchés américains : pas de hausse des taux avant fin juin 2015.
Pas davantage d’explication du côté du marché des changes où les variations furent quasi-nulles…
▪ Alors d’où provient la motivation des acheteurs ?
En Allemagne, les opérateurs se focalisaient sur les rumeurs d’OPA, une thématique reprise à l’envi lundi soir à Wall Street… mais sans véritable catalyseur, sans rien de consistant à se mettre sous la dent.
A Paris en revanche, c’est une étude des stratèges de la Société Générale qui a fait le buzz : ils s’enthousiasment pour le récent remaniement ministériel qu’ils interprètent comme un tournant politico-économique majeur.
MADE IN EUROPE ! |
Considérant qu’il s’agit de la réponse adéquate aux attentes du marché, le succès (la reprise) devrait être au rendez-vous |
A tel point qu’ils le baptisent "Hollandenomics" et argumentent leur point de vue : "la nouvelle politique est basée sur une équation simple : 30 milliards d’euros de réductions de charges et impôts sur les entreprises financés par 50 milliards d’euros de réductions des dépenses publiques".
Considérant qu’il s’agit de la réponse adéquate aux attentes du marché, le succès (la reprise) devrait être au rendez-vous. Il pourrait se traduire par une envolée du CAC 40 en direction des 7 000 points d’ici fin 2016.
Cela ne fait jamais que 2 500 points de hausse… Bon, d’accord, cela représente +56% — mais sur 27 mois, cela nécessite juste de soutenir un rythme de +90 points par mois, soit un gain somme toute modeste de 2% qui ne devrait impressionner personne puisque le S&P 500 y est bien parvenu depuis novembre 2011.
Qui nous dit que la BCE ne va pas y aller à son tour de ses 80 milliards d’euros de quantitative easing mensuel |
Certes, avec un petit coup de pouce de la Fed… mais qui nous dit que la BCE ne va pas y aller à son tour de ses 80 milliards d’euros de quantitative easing mensuel (soit plus de 100 milliards de dollars par mois), jusqu’à ce que la croissance atteigne les 3% en rythme annuel, comme aux Etats Unis.
Je vous vois venir : on est loin du compte au moment ou vous lisez cette chronique… mais oubliez vite les 0,1% de hausse du PIB américain au premier trimestre 2014. Cela ne compte pas puisqu’il a fait froid !
Ce que je ne m’explique pas, c’est qu’avec la douceur exceptionnelle qui a régné en Europe cet hiver, la croissance dans l’Eurozone soit aussi insignifiante que celle observée aux Etats-Unis.
▪ Météo et poisson rouge
Je ne suis peut-être pas très compétent en matière d’évaluation de l’impact des conditions météo sur la croissance économique (les marchés ont heureusement tout compris… et tout le monde sait à quel point ils sont omniscients et infaillibles), en revanche je n’ai pas une mémoire de poisson rouge.
Et quand j’ai réalisé que le microcosme financier s’excitait (s’extasiait?) lundi sur l’étude la Société Générale, j’ai failli tomber de mon fauteuil à bascule !
Car les "stratèges" de la Société Générale, à un néologisme près — les Hollandenomics — n’ont fait que nous resservir une étude de leur patron Alain Bokobza publiée le 9 septembre 2013, puis exhumée le 14 janvier 2014 quand le CAC 40 faisait mine de franchir les 4 350 points : "je ne vois aucun frein à l’ascension du CAC 40. L’indice vedette parisien devrait atteindre les 4 300 points d’ici début 2014 et pourrait retrouver ses plus hauts niveaux historiques à presque 7 000 points, dans les deux-trois ans".
Alain Bokobza se garde bien de tempérer son propos et ses anticipations, il poursuit pied au plancher : "le CAC 40 pourrait même dépasser son record de 2000 (soit 6 944 points)… quinze ans après. Toutes les conditions sont, en effet, réunies pour que les actions de la Zone euro, et le CAC 40 en particulier, grimpent".
Je lui donne cependant raison — sans ironie — sur le point suivant : "la politique de la Banque centrale européenne reste très accommodante, bien plus désormais que celle de la Fed américaine".
Je le rejoins également sur l’affirmation suivante : "la conjoncture européenne a commencé à montrer des signes de stabilisation. Il est même possible que la croissance surprenne, dans les prochains trimestres, les attentes des économistes étant faibles. La baisse des matières premières, sur fond de ralentissement de la Chine, devrait jouer positivement".
Des divergences, cependant
Comme vous le devinez, je ne suis pas de son avis sur l’impact haussier d’une croissance qui pourrait avoisiner 1,5% en 2015. Cela signifierait qu’elle stagne à mi-chemin de celle anticipée à la mi-2007, lorsque le CAC 40 flirtait avec les 6 100 points (soit 10 200 points, dividendes réinvestis).
Lundi soir, le CAC40 GR (Global Return, dividendes réinvestis) affichait 10 175 points. Si j’en crois Alain Bokobza, l’indice pourrait atteindre une valeur de 15 900/16 000 points d’ici fin 2016.
Je ne vois guère Wall Street sous-performer le CAC 40 avec une croissance deux fois supérieure |
Je ne vois guère Wall Street sous-performer le CAC 40 avec une croissance deux fois supérieure (hausse stabilisée autour de 3% au cours des trois prochaines années aux Etats-Unis). Cela signifie donc que le Dow Jones devrait flirter avec les 26 000 quand le CAC 40 s’attaquera aux 7 000 points.
A côté des valorisations implicites envisagées par Alain Bokobza dans son étude de septembre 2013 (et que la Société Générale nous ressert avec une régularité de métronome tous les quatre mois), la bulle des dot.com de 1999/2000, c’était de l’eau tiède.
Mais bon, faisons confiance à M. Bokobza : il écrivait dans une note publiée le 9 octobre 2007 (très exactement le jour même du record historique de clôture du S&P 500 à 1 565 points) que " les actions américaines n’ont jamais été aussi peu chères depuis 40 ans, il ne s’agit pas d’être trop défensif dans un tel cadre".
Alors la promesse d’un CAC 40 à 7 000 points qui ressort le jour même d’un record du Dow Jones à 16 700… j’achète les yeux fermés.
Pas vous ?