▪ Nous écrivions en préambule de notre chronique de vendredi dernier : « la BCE n’a pas laissé passer l’occasion de donner un coup de pouce salutaire à l’adjudication de deux minuscules tranches de bons du Trésor portugais – 500 millions chacune, portées à 600 et 650 millions vu la vigueur de la demande ».
Nous avions su par des « rumeurs de marché » qu’elle était également intervenue le lendemain lors des adjudications italiennes et surtout espagnoles, lesquelles auraient rencontré un « vif succès » vu le taux de sur-souscription constaté dès la mi-journée.
Nous savions — ainsi que tous les professionnels des marchés obligataires — que le meilleur moyen d’enrayer l’effet domino après que les taux longs portugais aient franchi la barre symbolique des 7%, c’était d’envoyer « un signal positif » aux investisseurs.
La BCE était bien dans son rôle en soutenant les pays émetteurs ; la Fed avait même recommandé publiquement aux autorités monétaires européennes de ne pas hésiter à gonfler son bilan avec des dettes offrant une forte rémunération pour un risque négligeable. Restait toutefois à connaître le montant de ce coup de pouce — nous aurions volontiers parié sur des achats représentant 25% à 30% du montant des enchères.
Eh bien, ces adjudications nous offrent une bonne occasion de démontrer que nous ne noircissons pas le trait ni ne surestimons systématiquement les manipulations dont font l’objet les marché. C’est désormais officiel : la BCE a ramassé l’équivalent de 10 milliards d’euros de dettes souveraines du 10 au 15 janvier… c’est-à-dire la quasi-totalité du papier mis aux enchères par les PIGS la semaine dernière.
Elle pourra certainement en revendre une partie au plus offrant — c’est la règle du jeu. Cependant, il apparaît maintenant évident que c’est elle qui a « fait le prix » en acceptant une rémunération bien inférieure à celle que les autres enchérisseurs exigeaient !
▪ Madrid avait en effet réussi à lever près de trois milliards d’euros d’obligations à cinq ans à un taux dans le bas de la fourchette anticipée (4,5%). Rome levait simultanément six milliards d’euros en bons du trésor à cinq et 15 ans au « taux marché », avec une demande couvrant trois fois les montants proposés. Ajoutez à cela les 1,25 milliards d’euros vendus par le Portugal la veille et cela fait un peu plus de 10,2 milliards d’euros en tout.
Nous en sommes restés bouche bée : la BCE a ramassé non pas 30% mais 90% du papier. Voyez à quel niveau résiduel se situe réellement la fameuse « confiance des marchés » !
Vous pourrez objecter que la France a également levé plus de huit milliards d’euros la semaine dernière et que la BCE s’y est peut être également intéressée (il n’y avait aucun suspense concernant la bonne fin de l’opération). L’Allemagne l’avait précédée et la BCE n’avait acheté qu’un milliard d’euros de dettes souveraines la première semaine de janvier. Si elle a décuplé le montant de ses acquisitions la semaine dernière, croyez-vous que ce soit pour acheter des OAT émises par la Banque de France et dotées d’un solide « AAA » confirmé par toutes les agences ?
Le sujet n’a pas fini de faire couler beaucoup d’encre : les ministres des Finances de la Zone euro sont réunis depuis hier après-midi à Bruxelles. Il est notamment question d’un éventuel redimensionnement du Fonds de stabilité financière, avec l’approbation pleine et entière de la BCE qui prône un renforcement quantitatif et qualitatif du FESM.
En ce qui concerne les pressions inflationnistes — une menace que les marchés jugent encore lointaine — le président de la Banque centrale européenne, Jean-Claude Trichet, a annoncé hier que l’institution « n’hésiterait pas à relever ses taux d’intérêts, en cas de nécessité, pour contrer l’inflation, même dans une situation de croissance molle ».
▪ La thématique de l’inflation ne perturbait guère les opérateurs ce lundi. En témoignent notamment la clôture à l’équilibre de l’Eurotop 100 ou de Francfort (+0,03%), ou encore l’effritement de 0,2% du CAC 40.
C’est à peine si les opérateurs ont levé un sourcil en voyant Shanghai dévisser de 3% lundi matin après le septième relèvement consécutif du taux de réserves obligatoires des banques chinoises, annoncé après la clôture des marchés vendredi dernier.
Si aucune donnée macro-économique n’était attendue hier, la semaine sera ponctuée par la publication de certains indices clés tels que le ZEW et l’IFO en Allemagne. Il y aura également les indices d’activité des Fed de New York et de Philadelphie aux Etats-Unis.
Les investisseurs seront aussi attentifs aux résultats trimestriels et annuels de plusieurs poids lourds américains attendus cette semaine, notamment ceux du conglomérat GE et de grands noms du secteur technologique comme IBM, Google… Il faut faire une mention spéciale pour Apple vers lequel tous les regards se tournent. Steve Jobs vient en effet d’annoncer, dans une lettre adressée à ses salariés, qu’il prend un nouveau congé « pour se consacrer à sa santé ». Cela alimente beaucoup d’inquiétudes compte tenu de la gravité de la pathologie qui l’avait tenu écarté de la direction du groupe durant plusieurs mois en 2004 (cancer du pancréas) et 2009 (greffe du foie). Le soupçon d’une récidive est effectivement une perspective des plus angoissantes.
▪ La réaction de Wall Street en dira beaucoup sur l’état psychologique des opérateurs, si toutefois une telle formulation a encore un sens… Après tout, depuis huit semaines, que les taux grimpent ou se détendent, que le dollar grimpe ou corrige — ou change radicalement d’orientation à 24 heures d’intervalle –, que l’inflation soit supérieure aux estimations et les créations d’emplois en deçà des attentes… vous l’avez constaté, les indices américains s’inscrivent dans un étroit canal haussier d’une parfaite régularité.
Wall Street nous fait penser à ces robots dans les dessins animés de Tex Avery qui continuent de ligoter ou de pilonner le même personnage alors que le tapis roulant de l’usine s’est arrêté.
Tout le monde voit bien que les machines livrées à elles-mêmes sont complètement idiotes… mais les spectateurs en redemandent parce que le comique nait de la répétition.
A Wall Street, c’est un peu différent : le fonctionnement des robots de trading apparait tout aussi idiot par rapport au contexte général, mais ceux qui les programment pour faire grimper inexorablement les cours touchent leur commission à chaque rotation de la machine. Les autres ne sont que spectateurs — via leur fonds de retraite de type « 401K » — et ils ne sont pas en mesure d’engranger cette richesse virtuelle.
Un point commun tout aussi absurde et inutile pour l’économie réelle… mais qui présente une sacrée différence avec les cartoons de Tex Avery : pour le coup, cela ne fait rire personne !