▪ Wall Street bat record sur record… la progression des indices américains semble inexorable… tous les gérants — et nombre de nos correspondants dans les salles de marché — devraient célébrer sans retenue cette bonne fortune, se réjouir pour leurs clients, se préparer à une année 2011 encore plus faste que 2010 (enfin presque partout… sauf à Shanghai et à Paris).
Mais quand j’entame une discussion avec un professionnel du secteur, la conversation dévie rapidement du sujet « bourse/marchés ». On se focalise plutôt sur la Chine qui va devenir maître du monde avant la prochaine coupe de foot au Qatar… ou sur l’or qui ira à 2 000 $ avant 2012… ou sur le Tea Party qui va disparaître aussi rapidement qu’il était apparu — parce que les Américains vont réaliser qu’il leur propose de restaurer les conditions d’un nouveau krach de 2008, mais en plus violent et en plus radical.
En fait personne n’a plus vraiment envie de parler de la bourse. C’est un peu comme un amoureux des chevaux qui éviterait de citer les plus fréquents vainqueurs des tiercés provinciaux — sachant que 90% des courses ont été ostensiblement truquées par le Bureau Central des Equins, au nez et à la barbe de la brigade des jeux et de la répression des fraudes… tandis que quelques fumeurs de gros cigares applaudissent à tout rompre le surprenant cinquième du quinté de mercredi, arrivé en boitant sur trois pattes, avec son jockey pendu à l’encolure.
Quelques parieurs mécontents portent plainte, dénoncent une tricherie grotesque, réclament une enquête… La réponse est invariablement la même : c’est le glorieux hasard de la course hippique ; il faut bien qu’il y ait un gagnant et un perdant… Et si un supposé tocard a déjà figuré 10 fois parmi les cinq meilleurs à l’issue des 12 derniers quintés, c’est que les parieurs ont tort de se fier à la maigreur de son arrière-train et de se moquer des jockeys de 90 kilos.
Si tant de professionnels n’ont pas envie de parler de la bourse autour de la machine à café, c’est soit parce qu’ils sont dans la combine des séances truquées à coup d’algorithmes et de fausse mornifle imprimée par la Fed… soit parce que gagner à tous les coups — comme Goldman Sachs grâce à son statut d’apporteur de liquidité et de market maker agissant comme un initié en situation de monopole sur nombre de dérivés — devient à la longue profondément ennuyeux et sans aucun attrait intellectuel, l’évolution des cours n’étant plus reliée à l’actualité du jour.
▪Il faut bien faire son métier, toutefois… alors Wall Street a inscrit mercredi soir une nouvelle séance de hausse à la marge (la 13ème sur une série de 15 pour le Nasdaq). Cela augure bien d’une cinquième semaine de hausse consécutive puisqu’il faudrait vraiment que survienne une rechute invraisemblable ce jeudi pour que les gains de la semaine disparaissent malencontreusement.
La progression somnambulique des indices américains se poursuit donc. Tout cela est parfaitement orchestré puisque les indices avancent inexorablement, mais pas suffisamment pour contrebalancer la perte de « valeur temps » sur les dérivés.
Le but de la manoeuvre : gagner sur les deux tableaux — à la fois sur la hausse algébrique des indices et sur l’écrasement de la volatilité.
En clôture, le Nasdaq affichait exactement les mêmes scores qu’à l’ouverture (+0,15%), le Dow Jones également (+0,2%) mais le S&P surperforme avec un gain de 0,35%.
Aucune volatilité durant toute la séance, pas de volumes… Bref, une journée d’un ennui mortel, sans le moindre suspense : il apparaissait évident dès l’ouverture hier que les indices américains n’iraient nulle part, à l’image du scénario soporifique observé en Europe durant plus de huit heures et demie.
▪ Paris a stagné durant 95% de la séance, dans des échanges anémiques, avec autant de vivacité qu’une méduse en train de s’échouer à marée basse.
Le CAC 40 avait clôturé pratiquement au plus haut mardi… Ce fut l’inverse mercredi avec un recul de 0,2% et un score qui coïncide précisément avec les plus bas du jour, à 3 920 points.
Ce repli ne signifie rien de particulier sinon que le marché est totalement sous contrôle des logiciels de gestion algorithmiques (le but poursuivi pouvant être l’écrasement de la volatilité).
Qu’il n’y ait eu aucune statistique ni aucun motif sérieux pour justifier 50 points de hausse en 48 heures, ou que les indices stagnent après des chiffres américains décevants, cela importe peu : les indices ne sont plus corrélés à l’actualité depuis bien longtemps.
▪ La révision à la hausse du produit intérieur brut (PIB) US dévoilé par le département du Commerce à 14h30 n’a même pas provoqué la moindre « vaguelette » indicielle. Le PIB est ressorti en hausse de 2,6% contre 2,5% en estimation précédente ; les économistes s’attendaient à une révision plus significative, vers 2,7% ou 2,8%.
Les reventes de logements anciens ont rebondi de 5,6% le mois dernier aux Etats-Unis, à 4,68 millions d’unités en rythme annuel selon les chiffres de la NAR. C’est conforme aux attentes des économistes qui anticipaient un score de 4,7 millions.
▪ Pas de quoi faire bouger non plus le marché des changes : le dollar a oscillé tout la journée autour d’un pivot de 1,31/euro.
Il est probablement moins facile de piloter le dollar avec quelques algorithmes et quelques centaine de « lots » (contrats à terme) que le CAC 40…
Nous vous laissons méditer sur les dernières statistiques concernant le marché des changes : 4 000 milliards de dollars changent de main chaque jour, l’encours des produits dérivés sur devises représente plus de 600 000 milliards de dollars.
Le chiffre est si colossal qu’il ne « parle » plus à nos esprits. Pour tenter de le remettre en perspective, disons qu’il représente plus de 10 fois le PIB mondial, ou encore une mise spéculative de 100 000 $ par habitant que compte la planète.
Alors que le PIB mondial s’accroît au mieux de 4% par an, les liquidités disponibles dans le monde progressent simultanément de quelque 15% (soit quatre fois plus vite) chaque année depuis l’an 2000. Curieux qu’il y ait autant de pauvres sur la planète alors qu’il y tant d’argent sorti de nulle part : il faut croire qu’il y retourne avant d’avoir eu la chance de profiter au plus grand nombre.
Ou alors… quelqu’un se sert au passage, et il n’est pas animé de l’esprit de Noël !