[Françoise Garteiser est en séminaire dans le bocage normand — à la recherche de nouvelles idées d’investissement… et du coin le plus ensoleillé sur la pelouse du château. Elle sera de retour dès la semaine prochaine ; en attendant, voici un essai signé Bill Bonner, paru à l’origine dans le magazine MoneyWeek]
▪ Tout comme aux Etats-Unis, le spectre qui hante l’Europe est celui de la dette. Aux Etats-Unis, les créances pourries du secteur privé — menées par les prêts subprime — ont causé des ravages à Wall Street à l’automne 2008. C’était comme si l’Enfer avait ouvert ses portes. Les autorités se sont ruées à la rescousse, mais que pouvaient-elles faire ? Certainement pas exorciser les esprits maléfiques. Elles ne pouvaient que transférer les dettes d’un débiteur à un autre — mettant en danger 8 000 milliards de dollars supplémentaires d’argent du contribuable.
A présent, c’est au tour des Européens de sauver le monde. Leurs autorités financières étaient considérées comme étant faibles et hésitantes. Début mai, toutefois, elles se sont montrées aussi hardies et empotées qu’un croisé en campagne. La dette de l’Europe concerne le secteur public — la dette des Etats subprime à la périphérie de l’Europe. Grâce au renflouage à 850 milliards de dollars, cette dette est transférée aux contribuables des Etats plus grands et plus solvables.
Parfois, les sauvetages ont une fin heureuse. Les ménages, les entreprises et même les gouvernements… avec assez d’auto-discipline et un peu de chance… peuvent parfois être sauvés du précipice. Mais ils doivent être au bord, non au-delà.
On parle beaucoup de l’Irlande, par exemple. Lorsque les marchés mondiaux se sont retournés en 2007, l’Ile d’Emeraude risquait la faillite. Comme la Grande-Bretagne et les Etats-Unis, elle en avait trop fait. Ses banques, ses ménages et son gouvernement avaient trop de dettes. Au bord du précipice, elle a taillé dans ses dépenses publiques, s’engageant à réduire l’équivalent de 7,5% du PIB dans le budget gouvernemental. Il y a eu des grognements et des plaintes. Mais généralement, les Irlandais semblent prendre leur opération chirurgicale avec bonne grâce.
Un détail important : il n’était pas trop tard. Les Irlandais ont une dette nationale ne se montant qu’à 50% du PIB — environ un tiers du total de la Grèce. En gros, avec une croissance modeste du PIB de seulement 2,5% annuellement, les Irlandais pourraient soutenir indéfiniment leur dette. S’ils s’en tiennent au programme, le problème pourrait même disparaître.
Il y a également l’exemple de la Corée du Sud. Les Coréens étaient confrontés à un désastre, durant la crise de la dette asiatique de 1997-1998. Le secteur bancaire avait prêté trop d’argent aux conglomérats du pays. Lorsque ces derniers n’ont pas pu payer, les banques se sont retrouvées en difficulté. Des programmes de prêts d’urgence ont été mis en place. Les conglomérats ont été contraints de fusionner, de vendre ou de réduire leurs dépenses. Plus remarquable encore, les Coréens ont fait preuve d’un esprit de solidarité révélant un manque alarmant de cynisme. En 1998, le gouvernement a lancé une campagne baptisée "Récupération de l’or pour l’amour de la Corée". Des millions de personnes ont volontairement fait don de leurs bijoux en or pour aider le gouvernement à rembourser ses prêts étrangers.
La Corée du Sud enregistrait les meilleures performances économiques avant la crise. Elle ne tarda pas à retrouver son rang. La dette nationale n’a jamais dépassé les 30% du PIB ; elle cessa rapidement d’être un problème.
Qu’en est-il du grand renflouage européen ? Fera-t-il disparaître le problème de la dette ? Nous n’allons pas perdre de temps à tourner autour du pot : la réponse est non. Bon nombre des dettes ont passé la frontière entre la vie et la mort il y a longtemps. Il n’y a pas moyen de les ressusciter. L’Europe gâche ses transfusions sanguines sur un cadavre.
Le problème, avec l’Europe, c’est que certains des Etats à la périphérie ne parviennent pas à verser les intérêts sur l’argent qu’ils ont emprunté. La Grèce, par exemple, devrait avoir une dette équivalant à 150% du PIB d’ici 2011. Même à 5%, il faudrait une croissance du PIB de 7,5% par an simplement pour payer les intérêts. Dans la mesure où la croissance en Grèce n’arrivera de loin pas à 7,5%, et qu’elle sera même probablement négative… le pays s’enfoncera plus encore. On ne peut raisonnablement supposer que la Grèce pourra un jour rembourser la dette actuelle, sans parler de plus de dette. Les créances ont mal tourné. Elles sont mortes. On ne peut ni les ressusciter ni les rembourser.
Les mauvaises dettes ne disparaissent pas. Les dirigeants européens les ont simplement transférées à un public plus large. A présent, les fantômes des dettes grecques, portugaises, espagnoles — et de tous les emprunteurs subprime — hantent le continent entier. Et ils ne trouveront pas le repos éternel tant qu’ils ne seront pas satisfaits.
Comment satisfaire une mauvaise dette ? Les prêteurs — les investisseurs obligataires — devraient les passer en pertes et profits dès que possible. Au lieu de ça, la macro-finance moderne appelle à de nouveaux renflouages. Les petites dettes deviennent grosses. Les problèmes d’aujourd’hui sont repoussés à demain. Les gens qui méritent de perdre de l’argent sont protégés, tandis que le public subit la perte.
Il est difficile d’imaginer comment les dirigeants européens auraient pu faire pire. L’argent est transféré du secteur privé vers le secteur public, où le retour sur investissement est généralement bien moins élevé et souvent négatif. On permet aux débiteurs d’emprunter plus, sans espoir de voir les sommes remboursées un jour. Dans l’ensemble, la dette augmente, puisque le renflouage vient s’ajouter à la somme d’origine. L’activité future est privée de capitaux désormais réalloués aux gouvernements en faillite. Et en remboursant les investisseurs obligataires, le gouvernement dirige les capitaux vers des gens qui ne savent de toute évidence pas quoi en faire.
Les fantômes se multiplient… jusqu’à ce que le chaos se répande.
Bill Bonner
La Chronique Agora