▪ Il est décidément impossible de s’ennuyer en ce mois de mai. Il est en revanche beaucoup plus difficile de s’enrichir car l’actualité s’avère pleine de chausse-trappes. Beaucoup de spéculateurs se sont fait déchirer ces dernières semaines, parfois en quelques heures, mais le plus souvent en quelques minutes… ce qui constitue la grande originalité des mouvements de type « porte de saloon » qui portent le millésime 2010.
Nous ne nous appesantirons pas sur le « flash krach » du 6 mai (toujours non élucidé… mais certaines vérités ne sont pas bonnes à dire) ou sur le vent de panique du 25 mai, qui s’apparentait d’avantage à un pétard sous une chaise qu’à une véritable alerte à la bombe. Il nous faut toutefois revenir quelques instants sur le plongeon vertical de Wall Street (-1,5%) survenu dès que le marché a pris connaissance d’un article du Financial Times évoquant le potentiel changement de politique d’allocation d’actifs de la Chine face aux incertitudes créées par le surendettement des pays du sud de l’Eurozone.
Les journalistes du FT passent généralement pour bien informés. Les propos rapportés émanaient bien de hauts fonctionnaires chinois — qui n’ont pas l’habitude de s’exprimer à tort et à travers au gré de leur fantaisie sans craindre d’être désavoués puis sanctionnés par leur hiérarchie.
Pékin dément que l’article du Financial Times reflète les véritables intentions de la Chine. Fort bien… mais si les journalistes ont bien fait leur travail et repris des propos autorisés (nous ne doutons pas qu’ils le soient), que s’est-il passé ? S’agit-il d’une manoeuvre délibérée ? Dans quel but ?
▪ Nous ne saurions répondre avec assurance à aucune de ces questions. Cependant, nous pouvons affirmer que ceux qui ont vendu massivement en fin de séance à Wall Street mercredi ont le sentiment de s’être fait tailler en pièces comme au coin du bois.
Christian Noyer, gouverneur de la Banque de France, invite les marchés à ne pas croire toutes les rumeurs… sauf que pour une fois, ce n’en était pas une. Et il ne s’agissait pas non plus d’un des ces mensonges thérapeutiques qui ont précédé l’aveu que la Grèce était au bord du dépôt de bilan. Il ne s’agissait pas plus d’une de ces insinuations distillées par un franc tireur désirant nuire à un de ses adversaires politiques ou torpiller des pourparlers en cours.
L’interprétation la plus neutre serait que la Chine a voulu tester le sang-froid des cambistes : elle affirme que c’est de leur responsabilité de faire le tri parmi des affirmations plus ou moins crédibles… Le résultat, c’est que bon nombre d’entre eux se sont fait coincer les doigts dans la porte alors qu’ils tentaient de gagner la sortie en arbitrant une fois encore — comme par réflexe — l’euro au profit du dollar.
▪ Pour la spéculation, cela a été le coup de trop à la baisse. 24 heures plus tard, la monnaie unique renouait avec les 1,24 $ : après un second test de la zone des 1,2150/1,2170 $, voilà que se constitue l’ébauche d’un rebond en « W » à 10 jours d’intervalle. C’est un pré-signal haussier qui invite à ne pas rester short sur l’euro, même si aucun des problèmes de fond n’est réglé : la spirale baissière est enrayée et c’est d’abord cela qui importe.
Puisqu’il faut par principe se méfier des rumeurs, nous avons le très net souvenir de banques centrales occidentales laissant circuler la semaine dernière le bruit d’une possible intervention concertée au cas où la volatilité des devises présenterait un risque pour la stabilité des échanges économiques.
Nous ne sommes pas capable de déterminer ce que serait la bonne parité pour l’euro/dollar. En revanche, nous savons désormais à partir de quel niveau précis Wall Street commence à prendre peur : 1,22/1,218 $ !
▪ L’incursion du Dow Jones sous les 10 000 points a forcément fait courir un frisson glacé dans les salles de marché mercredi soir (avec une rechute de 200 points par rapport aux plus hauts du jour)… Mais rien d’irréparable n’était à déplorer en fin de séance puisque le plancher annuel des 9 900 points du 8 février avait été préservé.
Rien ne fait plus efficacement rebondir les marchés que lorsque la peur change de camp et investit le clan des baissiers. Voilà donc que les taureaux haussiers reprennent leur charge : le sol tremble, cela soulève des nuages de poussière… Cependant, il va falloir attendre qu’elle se dissipe pour découvrir s’il s’agit de paisibles charolais venus se dégourdir les pattes avant de regagner l’étable — ou de fauves à longues cornes destinés à combattre furieusement et jusqu’à leur dernier souffle dans les arènes.
Les taureaux, quelle que soit la taille de leur croupe ou de leurs sabots, ont démontré à quel point le vert les motivait !
Tout comme les places européennes, qui ont défoncé la barrière des +3,5% de hausse quelques heures auparavant, Wall Street a bénéficié d’une accélération des programmes d’achat en fin de séance. Les marchés américains ont terminé au plus haut du jour et de la semaine : le S&P enregistrait +3,3% et le Nasdaq +3,75%, soutenant largement la comparaison avec l’Euro-Stoxx 50 ou le CAC 40.
▪ Mais plutôt que les taureaux, cette séance de jeudi n’aurait-elle pas été placée sous le signe du tigre chinois ? En plus d’avoir fait patte de velours sur l’euro, le félin continue de faire admirer sa force et sa souplesse avec une croissance économique de 12% et une attitude plus conciliante sur la question de la parité du yuan avec le dollar. Cela peut se comprendre vu les 15% de pouvoir d’achat récupérés sur le marché des matières premières sans bouger une vibrisse depuis le 1er janvier 2010.
Mais la force du billet vert commence déjà à produire ses premiers effets indésirables sur l’économie américaine. Le département du Commerce US a révisé à la baisse son estimation de la croissance du PIB à 3% au premier trimestre 2010 — contre 3,2% annoncés initialement alors que les marchés attendaient au contraire une révision à 3,5%.
Pour chaque dixième de point de croissance perdue, ce sont des dizaines de milliards de recettes fiscales qui s’évaporent et une dette qui s’accroît d’autant… De ce point de vue, c’est clairement l’Europe qui apparaît la plus vulnérable, comme un pauvre cabri enchaîné à un arbre en guise d’appât pour le tigre qui rôde silencieusement dans les faubourgs du village mondial.
Le félin est déjà tombé dans le piège de la dette, toutefois, et on ne l’y reprendra pas deux fois : tigre échaudé craint l’eau froide !