▪ Avant d’entamer la rédaction d’une Chronique, j’amasse une quantité de faits d’actualité, accumule des données chiffrées, glane quelques citations… Puis je brasse le tout et le repose un peu comme ça me vient.
Je déplace ensuite tous ces éléments disparates comme les lettres sur le chevalet du Scrabble jusqu’à ce que quelque chose qui fasse du sens prenne forme… et puis je cherche une place sur le tableau, espérant trouver une belle connexion me donnant accès à des lettres comptées triple ou des mots comptés double.
Même en bénéficiant d’un tirage chanceux et d’un minimum d’inspiration, il n’est pas toujours possible d’aligner les sept lettres d’un seul coup, souvent par manque de place. Alors il faut se contenter d’en écouler cinq ou six et d’espérer que le jeu s’ouvrira… mais parfois, c’est tout le contraire qui se passe et je m’écrie intérieurement « quelqu’un m’a pris ma bonne lettre » !
Or, aujourd’hui j’éprouve ce sentiment, non pas au sujet d’un petit bout d’idée que je me serais fait chiper, ni à propos d’un paragraphe qui exposerait une thématique qui me tient à coeur, avec « l’angle » qui va bien… Non, j’enrage de découvrir qu’Eric J. Fry a piraté à distance mon subconscient et goupillé, pendant que surveillais les turpitudes de l’euro, un texte cynico-humoristique qui devait émerger de mon traitement de texte dès la clôture des marchés ce mercredi.
▪ Mais qu’est-ce que je vais bien pouvoir raconter alors qu’Eric vient de vous envoyer un morceau de Chronique qui reprend au mot — et au concept — près ce qui devait constituer le coeur du message que je vous réservais pour ce jeudi !
J’enrage… tout ce qu’il a rédigé est parfait, pas une virgule à changer, tout y est :
« La Banque centrale européenne — tout comme British Petroleum — ne semble pas savoir comment contenir les dégâts, et encore moins les nettoyer pour de bon. Tout comme le pétrole brut jaillit du puits sous-marin de BP, la crise de la dette souveraine en Europe continue à se répandre, hors de tout contrôle, et menace d’atteindre les côtes italiennes, espagnoles et portugaises ».
« Une semaine ne suffit pas à juger du succès du ‘Plan de défense de l’euro’ lancé par la Banque centrale européenne, mais une semaine suffit largement à juger de son échec. Ce plan n’a rien réglé. Il n’a fait que déranger les vendeurs à découvert pendant quelques jours et inspirer des achats d’or enthousiastes ».
« Rome n’a pas été construite en un jour, c’est sûr. Nous ne devons donc pas nous attendre à ce qu’Athènes soit sauvée en une semaine… ou sauvée tout court. L’état budgétaire du pays n’est pas réparable. Soit la Grèce va s’enfoncer dans la Méditerranée, au figuré, soit ce sera l’euro… ou les deux. Emprunter 1 000 milliards d’euros pour lutter contre les conséquences de dettes excessives ne semble pas être la bonne stratégie à adopter ».
« Dans le pire des cas, la BCE va perdre son argent, son crédit et sa crédibilité en essayant de sauver la Grèce…et elle va détruire l’euro dans le processus. Dans le meilleur des cas, ce plan de relance va persuader quelques stratégistes de Wall Street que ‘le pire de la crise de l’euro est derrière nous’ et entraîner quelques crétins sur les marchés de la dette souveraine européenne avant que la situation ne devienne VRAIMENT moche ».
« Et ça va devenir moche… c’est sûr ».
Et c’est moche pour moi de devoir poursuivre dans la même veine car ce sera moins fort, moins percutant… et pire que tout : déjà vu !
Eric a de surcroît parfaitement synthétisé tout ce qui s’écrit dans la presse allemande depuis 10 jours — et tout ce qui se murmure plus ou moins à haute voix dans les sphères les plus élevées du pouvoir économique (Bundesbank, Chancellerie).
▪ Ce qui a suscité un flot de commentaires — souvent acerbes — des salles de marché aux étages supérieurs du vaisseau amiral de Bercy ou aux lambris de Matignon, c’est l’initiative du ministère des Finances allemands dévoilée mardi soir vers 21h. Elle vise à restreindre les possibilités de spéculer contre des actifs financiers libellés en euros, les valeurs financières comme les emprunts d’Etat.
Tout le monde a été surpris… mais bien plus par la forme plus que par le fond. Qui pourrait s’étonner que les autorités politiques et monétaires germaniques cherchent à court-circuiter la spéculation ?
Mais qui le ministère des Finances allemand a-t-il court-circuité ?
Eh bien la réponse semble unanime : tous ses homologues européens — et même les cellules de crise qui surveillent le pouls de l’euro depuis Bruxelles.
Les spéculateurs, eux, s’en remettront rapidement. Faute de pouvoir vendre à découvert à Francfort, ils se rabattront sur Londres puisque les valeurs allemandes et les Bunds négociés à la City y sont sans défense… mais il est apparu très vite plus commode et plus payant de « shorter » l’euro sur les places asiatiques.
▪ Ce fut décidément une très bonne nuit (de mardi à mercredi) pour les vilains spéculateurs qui s’acharnent depuis le début du mois de décembre contre la monnaie unique. Ils ont fait décaler les cours de -2% en quelques heures : de quoi se faire une véritable petite fortune et rentrer chez soi en rigolant d’avoir fait inscrire un nouveau plancher vieux de quatre ans à 1,215 $ au nez… (et non, rien d’autre en fait) d’Angela Merkel !
Mais alors qu’a-t-elle cherché à faire en agissant en solo, sans prévenir personne et surtout pas ses partenaires de lutte pour la stabilisation de l’euro (de peur que certains vendent la mèche) ? Le malaise et l’incompréhension étaient très palpables à travers toute l’Europe.
Consternation devant le fiasco sur le plan pratique (l’euro au tapis et des places boursières en chute libre de 3% dès la reprise des cotations et de pratiquement 4% au bout d’une heure)… et surtout politique : mais qu’est-ce donc que ce mythe incongru de dirigeants européens se prétendant sur la même longueur d’onde et ramant avec entrain dans la même direction ?
Une question s’inscrit en filigrane : si les vilains spéculateurs — qui ont l’air d’avoir de la suite dans les idées et une sacrée dose de sang-froid — repassent à l’offensive et ramènent la monnaie unique à sa valeur originelle (1,17 $)… qu’est-ce que Berlin ou Francfort vont donc nous inventer pour chasser la monotonie de nos débuts de soirée?
Et nous obtenons ce paradoxe qui réjouit de plus en plus de traders (les jeunes requins comme les vieux de la vieille) : qu’est-ce qui est plus dévastateur qu’une meute de hedge funds armés de tronçonneuses à euro ?
Une chancelière allemande armée d’un simple micro !