▪ La litanie des bears (des sceptiques ou des baissiers) qui basculent du côté des permabulls (les arbres montent jusqu’au ciel puis étendent leurs rameaux à travers les galaxies) se poursuit aux Etats-Unis.
Après Nouriel Roubini, David Rosenberg et Cody Willard, c’est au tour de Paul Farrell de retourner sa peau d’ours et d’enfiler une tenue de taureau intrépide.
Paul B. Farrell, chroniqueur sur MarketWatch.com tout comme Cody Willard, nous promet désormais rien de moins qu’un marché haussier rugissant jusqu’en 2017 ! Il enchaîne les références à la chanteuse Katy Perry, qu’il présente comme une sorte de Viagra psychologique pour les marchés, et à Robert Shiller, Prix Nobel et auteur du livre Exubérance irrationnelle. Sa conclusion est que dès lors que l’on s’interroge sur l’existence d’une bulle — ce qui semble être le cas en ce moment –, c’est que les opérateurs ne sont pas encore assez fous pour prendre tous les risques.
Certains gérants payent les plus hauts parce qu’ils ne seraient pas encore assez investis à six semaines des bilans de fin d’année… et ils vont forcément « courir après le papier ».
Cela écarte donc de facto le risque d’une explosion.
▪ La mécanique des fluides boursiers
Pas d’explosion + toujours plus de stimulus monétaire et des taux éternellement bas = gonflement éternel de la valorisation des actifs.
C’est le principe de la mécanique des fluides… ou plutôt des flux. Des milliers de milliards de fausse monnaie sont déversés directement dans les poches de quelques complices des banques centrales, triés sur le volet.
Cet argent ne leur est confié qu’avec la promesse implicite qu’ils ne l’investiront pas dans l’économie réelle — mais continueront d’accroître les leviers dans la finance casino, avec toujours plus d’encours spéculatifs sur les dérivés de taux, de devises, de volatilité… et de façon assez marginale et résiduelle, sur les actions.
D’ailleurs, la plupart des gérants permabulls n’achètent plus d’actions mais du risque.
Il m’arrive d’en croiser. Lorsque je leur demande s’ils réalisent que depuis 150 ans les cours n’ont jamais autant progressé en 12 mois par rapport à des profits quasiment stagnants dans l’intervalle, ils se retranchent immédiatement derrière l’argument des « marchés qui achètent l’avenir, pas le passé ».
Si l’avenir est radieux façon Google pour l’ensemble de la cote… alors Facebook n’est pas cher à 50 fois le chiffre d’affaires, Twitter est donné à 25 $ (même si la valeur d’actif instantanée ne dépasse guère 5 $) et se paiera probablement plus de 40 $ au soir de son introduction.
▪ Le marché, haussier jusqu’en 2020 ?
Il n’existe plus à ce jour aucune hypothèse de valorisation trop optimiste ni trop délirante. Les gérants ont du cash (c’est de la fausse monnaie mais ça s’investit comme de la bonne) et ils sont prêts à acheter de belles histoires.
Comme il n’y a pas d’inflation et des taux éternellement à zéro, les cours de bourse peuvent bien en effet grimper jusqu’en 2017, et pourquoi pas 2020. La prévision d’un Dow Jones à 50 000 points n’est pas si farfelue à un horizon de 10 ans si les profits mirobolants anticipés en 2014 grâce aux flux s’accroissent encore en 2015, 2016, etc.
Les permabulls travaillent en effet déjà sur le scénario d’une BCE se lançant à corps perdu dans un quantitative easing illimité, en taille et en durée. Les contours pourraient en être dessinés dès ce jeudi ; l’annonce officielle devrait tomber avant Noël.
Il n’est pas exclu que le CAC 40 en profite pour afficher sa plus forte hausse depuis 2005 (+23% à l’époque) ou 1999 (+51%).
▪ Le cas du Japon
Mais au fait… Pourquoi le Japon, qui enchaîne les QE et pratique les taux zéro depuis 1993, ne connaît-il pas une croissance de 3% par an depuis 20 ans ?
Et pourquoi, avec des obligations qui ne rapportent rien depuis 20 ans, le Nikkei n’a-t-il pas retrouvé son zénith des 38 000 points de fin 1989 et continue-t-il de se traîner entre 10 000 et 14 500 points ?
Parce qu’au Japon, cela fait tout de même 20 ans que les opérateurs n’ont d’autre choix que de prendre un risque qui tend vers l’infini puisque la rémunération de la dette tend vers zéro.
La réponse, chacun la connaît depuis 1996 et la généralisation du carry trade yen/dollar. Les Japonais achètent des actifs à l’étranger afin de laminer la valeur de leur monnaie et tirer profit de rendements obligataires généreux à l’étranger, en particulier dans les pays émergents… puis désormais sur les dettes des pays périphériques européens.
L’affaire était facile quand les investisseurs nippons étaient les seuls à faire fonctionner la planche à billets dans un monde en croissance.
Mais aujourd’hui, tout le monde imprime… y compris la BCE. Elle le fait de façon plus discrète et sournoise, mais elle crée également de la liquidité à partir de rien pour maintenir en vie les banques irlandaises, espagnoles, italiennes et même allemandes (eh si !).
Cet argent sorti de nulle part, ce n’est que de la nouvelle dette — quel que soit le nom qu’on lui donne — destinée à rembourser d’autres dettes que les emprunteurs sont incapables d’honorer. Son but n’est pas d’être remboursé mais de s’évaporer sous les feux scintillants de la future inflation que la croissance enfin retrouvée aura rallumée.
Une inflation qui restera naturellement « sous contrôle » grâce aux soins vigilants et toujours aussi pertinents des banques centrales.
▪ Vraiment ?
De l’inflation, elles en ont créé dans des proportions historiques sur les dettes d’Etat dont le rendement est au plancher alors même que leurs émetteurs sont insolvables. Et que dire des actions ? Leur progression moyenne atteint 20% en 2013 (et même 36% sur des indices larges comme le Russell 2000) alors que les bénéfices des entreprises sont en quasi stagnation.
Tout est orchestré afin que les prix ne reculent plus jamais car personne ne sait au juste quelle forme pourrait prendre la correction.
La Fed, la Banque du Japon, la Banque d’Angleterre optent donc pour la fuite en avant dans la création monétaire. Il ne manque plus que la BCE… mais elle a jusqu’à la mi-décembre pour annoncer un LTRO et la boucle sera bouclée. Les gérants seront quant à eux réduits à de simples gestionnaires de flux, à des arbitragistes du risque… avec comme seul choix d’en prendre chaque jour davantage.
C’est devenu un métier de simple exécutant, de fonctionnaire de la hausse… avec comme leitmotiv « le danger est de ne pas être dans le marché ».
Nous avions entendu cela en l’an 2000 avec les dot.com. On nous a resservi le même couplet sept ans plus tard avec les subprime : ne pas en avoir, c’était sous-performer les placements obligataires… impardonnable pour qui veut soigner son bonus de fin d’année !)
Alors la référence des références boursières accomplit docilement ce qui est exigé. Le Dow Jones (+0,82%) a débordé la zone de résistance des 15 650 points, testée à trois reprises depuis le 2 août dernier. Il a ainsi inscrit un nouveau record historique absolu, à 15 747 points, clôturant au plus haut du jour dans le sillage de Microsoft qui s’envole de 4,15%.
Tous les médias les plus grand public vont donc pouvoir faire leur gros titres sur Wall Street qui n’en finit plus de monter et de battre des records… malgré de nombreuses déceptions sur les trimestriels, malgré une croissance « désespérément lente », malgré la stagnation des salaires aux Etats-Unis, malgré un ralentissement de l’activité dans les émergents, etc.
Le débat est clos, l’affaire est pliée : la hausse l’emporte sans discussion ?
Pas si sûr puisque le Nasdaq restait sur la touche avec -0,2% à 3 932 points tandis que le Russell 2000 lâchait 0,45% et le Dow Transport 0,71%… Personne ne s’en préoccupe, toutefois : ces deux derniers indices ne servent pas de sous-jacent permettant de bâtir une stratégie sur les dérivés !
Et hors des dérivés, les marchés n’ont plus aucune réalité. La réalité, quant à elle, est depuis longtemps bannie des marchés.
1 commentaire
Farrell roi du sarcasme …