▪ La rechute de 3,8% de Tokyo hier matin aurait dû alerter les investisseurs… Mais ils ont cru bon de jouer aux plus malins en espérant que le scénario serait celui d’un rapatriement des capitaux du Japon vers l’Europe — comme ce fut semble-t-il le cas au lendemain du premier plongeon du Nikkei entre 15 900 et 14 400 points.
Le CAC 40 avait effectivement inscrit son zénith annuel le 28 mai alors que Tokyo était en pleine déconfiture, 10% en-deçà de son zénith du 22 mai.
La matinée n’a donné lieu qu’à des pertes anodines, de 0,5% en moyenne. Une première glissade sous les 3 900 points s’est enclenchée durant l’heure du déjeuner… et nous n’avons aucune idée de ce qui l’a motivée.
Les permabulls ont tenté de reprendre la main vers 3 880 points, entre 13h et 17h, mais la fin de la séance a été un calvaire pour eux.
Au final, Paris chute de 1,87%, à 3 852 points, et enregistre sa plus lourde correction depuis le 17 avril dernier.
Mais pas plus qu’à la hausse, la volatilité des cours à la baisse n’a donné lieu à aucun gonflement significatif des volumes : 2,65 milliards d’euros, cela reste très modeste.
En reperdant 200 points sur ses récents sommets, le CAC 40 ne fait qu’effacer 40% des gains engrangés en ligne droite entre 3 600 et 4 050 points (double-sommet à ce niveau). L’indice hexagonal ne s’est constitué aucun support intermédiaire : l’ex zénith des 3 871 points du 15 mars n’a enrayé la baisse que l’espace de quelques minutes.
Sous 3 856 (niveau de clôture du mois d’avril), l’indice pourrait poursuivre sa correction jusque vers 3 790 (ex-zénith des 28/29 janvier) — s’il y a 61% de retracement de la récente hausse.
▪ Baisse de moral à Wall Street aussi
A Wall Street, les investisseurs semblent également victimes d’une brusque chute de moral après la publication d’un indice ISM des services américains ressorti un peu en-deçà des attentes (53,7 contre 54 attendu après 53,1 en avril).
Les commandes à l’industrie n’enregistrent pas non plus une hausse flamboyante en avril (+1%). Cela tombe mal, après l’enquête d’ADP publiée hier qui fait état de 135 000 emplois créés en mai dans le secteur privé, contre 160 000 espérés.
Cela fait trois indices décevants et inférieurs aux prévisions. D’ordinaire, cela soutient le marché, mais une « quatrième lame » est venue couper l’optimisme résiduel au ras de la racine.
Wall Street a perdu pied après l’annonce d’une chute historique des coûts salariaux (-4,3%) au premier trimestre 2013. Cela semble contradictoire par rapport à la baisse de la productivité de 1,8% vers 1,6% : si les coûts chutent, la productivité augmente en théorie, sans compter l’accélération de la mécanisation ou des économies liées aux technologies de l’information.
▪ Obamacare et bidouillages
Ce qui précède est un peu complexe mais je vais tenter de faire simple : les entreprises américaines sont en train d’appliquer massivement une « bidouille » qui permet d’échapper à la contribution au programme Obamacare.
Il suffit en fait de limiter la durée de temps de travail à moins de 30 heures pour les salariés nouvellement embauchés — idéalement 28 heures, ce qui laisse une marge pour appliquer deux heures supplémentaires.
Comme il est très facile de se débarrasser de ceux qui travailler 40 heures et plus, les entreprises ne se gênent pas ! Beaucoup de salariés à la limite des 30 heures se voient proposer de travailler 10% de moins… et perdre 10% de salaire + Obamacare : une bonne façon de les pousser à la démission.
Pour ceux qui acceptent, on leur met la pression pour qu’ils fassent en 28 heures ce qu’ils faisaient en 32 (sinon la prochaine « revue de performance » sera saignante). Il ne leur reste plus qu’à se trouver un deuxième emploi qui sert uniquement à financer une mutuelle bas de gamme.
Voilà l’explication d’une baisse des coûts salariaux et des heures supplémentaires sans augmentation de la productivité : les embauchés à bas coût ne sont pas plus performants que les temps-pleins qualifiés et expérimentés.
Au final, cela crée marginalement un peu plus d’emploi. Si l’on prend un quota de 1 000 heures travaillées par semaine et qu’on le divise par 30 au lieu de 35, cela fait 15% de postes supplémentaires à créer… Mais si on en profite pour mécaniser plus et qu’on pressure un peu les temps-pleins, alors on s’en sort en embauchant la moitié de ce qu’induit un simple calcul arithmétique.
Le principal avantage du procédé, c’est de sauvegarder les marges et d’accroître artificiellement les profits… à défaut d’accroître le chiffre d’affaires — la dernière chose dont Wall Street se préoccupe en ces temps d’injection monétaire.
▪ Ben Bernanke dans l’espace
Les opérateurs auraient dû se réjouir de la teneur des minutes de la Fed publiées mercredi soir. Elles confirment en effet la lenteur de la reprise et suggèrent même une panne de la croissance au printemps. Comme l’affirme Nouriel Roubini, il n’y a aucune raison d’anticiper une réduction du QE3 avant la fin de l’année 2013… voire début 2015 (le FMI commence à réviser à la baisse ses estimations pour 2013 et 2014).
Plus le temps passe, cependant, plus il devient difficile d’identifier les effets positifs du QE3 sur l’économie réelle. En revanche, l’économie virtuelle connait un âge d’or qui n’est pas sans rappeler les neuf premiers mois de l’année 1929.
La comparaison s’arrête là puisque Bernanke — qui a beaucoup planché sur le krach de 29 — a mis en évidence que la Fed de l’époque souffrait de graves lacunes théoriques, manquait d’audace monétaire et n’avait pas conscience de l’impact planétaire d’une faillite du système bancaire américain.
Autant de pièges qu’il se fait fort de savoir contourner… comme un corps céleste passant à proximité d’un trou noir. Sa course s’accélère et il semble bénéficier d’un effet « fronde » qui l’éloigne temporairement de la zone d’attraction maximum… pour mieux y retomber.