▪ Le dernier journal économique occidental (le Strait Times, l’équivalent asiatique du Financial Times) que j’ai eu entre mes mains le 1er mai en quittant Singapour pour la Birmanie évoquait dans l’une de ses chroniques les difficultés de la Chine à demeurer compétitive face à des pays tels que le Bangladesh (où le salaire horaire ne dépasse pas 0,4 euro de l’heure) ou le Vietnam (0,5 euro de l’heure).
L’autre article qui a retenu mon attention traitait d’une déclaration d’Oskar Lafontaine datée du 30 avril. Ce fervent partisan de la monnaie unique, lorsqu’il était président du SPD, croyait à l’unification — si possible par le haut — des salaires à l’échelle européenne (c’était au début des années 2000).
Il considère aujourd’hui que « la situation économique se dégrade de mois en mois et que le chômage a atteint un niveau critique qui sape jusqu’aux structures démocratiques de l’Eurozone […] tandis que l’Allemagne se comporte de façon de plus en plus hégémonique avec une politique égoïste visant à défendre un euro fort qui lui convient à merveille mais qui va finir par scinder le Vieux Continent ».
« L’Allemagne risque d’allier contre elle l’ensemble des pays de l’Europe du sud, plus la France. En les condamnant — via un ajustement par les salaires plutôt que monétaire — à une paupérisation économique irréversible, il faut s’attendre un jour ou l’autre à une riposte qui ne fera pas dans la demi-mesure ».
« Si l’architecture économique et politique européenne ne change pas rapidement et en profondeur, Oskar Lafontaine estime que les jours de la monnaie unique sont comptés : il n’y a déjà plus guère d’autre choix que de revenir à un système qui rende possible les dévaluations et les réévaluations, comme c’était le cas avec le SME ».
Si jamais l’Eurozone se trouvait acculée à une telle extrémité, il envisage la mise en place d’un strict contrôle des mouvements de capitaux, à l’image du scénario chypriote. Cela aurait comme conséquence de faire fuir temporairement les investisseurs internationaux.
▪ Un Munich monétaire
En imaginant que l’Europe se dote des marges de manoeuvre qu’elle se refuse depuis le début de la crise… irait-elle jusqu’à dévaluer de 30% les devises du sud par rapport au dollar, comme vient de faire le Japon (et ce n’est pas fini) ?
L’Europe aurait tort de se priver puisque, comme prévu, le G7 applaudit presque la politique d’affaiblissement du yen du Japon. Cela au motif que le gouvernement et la Bank du Japon (BoJ) ne se sont pas fixé d’objectif en la matière — c’est donc « le marché qui décide » !
C’est un peu comme si les Américains avaient passé l’éponge sur Pearl Harbor sous prétexte que l’aviation japonaise et l’état-major nippon ne s’étaient pas fixé d’objectif en matière de destruction de cuirassiers et de porte-avions américains. A partir du moment où la météo du Pacifique aurait pu faire capoter l’opération, il n’y a pas lieu d’y voir une initiative d’éradication de la concurrence occidentale ou des émergents d’Asie du sud-est.
Si nous poussions un peu plus loin l’analogie, nous pourrions interpréter l’approbation tacite du G7 comme un Munich monétaire. Une nouvelle fois, c’est la peur de prononcer le mot « guerre » de crainte qu’elle n’éclate médiatiquement alors qu’elle fait déjà rage sur le terrain !
La manipulation des devises ne constitue toutefois qu’un des aspects de la subversion du système capitaliste à l’oeuvre depuis 2009 par les banques centrales. Avec l’instauration du principe de l’acheteur unique qui fixe souverainement la valeur des actifs — en totale déconnexion avec les fondamentaux — nous assistons à l’enterrement de la notion de marché.
▪ Faillite pour tout le monde !
La bourse (nous incluons les marchés obligataires) est devenue une sorte d’étrange casino. Les banquiers centraux nous y proposent un nouveau type de roulette avec 26 cases « hausse », quatre cases « stabilité » (on restitue leur mise aux joueurs) et six cases « repli ».
Ces chiffres vous disent peut-être quelque chose ? C’était le ratio observé du 15 novembre au 30 décembre 2012 sur le CAC 40 ; c’est désormais celui du Nikkei depuis le 1er janvier.
Au fur et à mesure que les joueurs gagnent à tous les coups, les banques centrales espèrent qu’ils vont s’emparer de leur smartphone pour commander une montre hors de prix, appeler leur agent immobilier ou bien contacter leur concessionnaire Porsche pour réserver le dernier roadster.
Seuls les premiers joueurs (les initiés et complices de Bernanke ou Shinzo Abe) qui échangeront leurs (faux) jetons contre des devises ayant cours légal dans l’économie réelle disposeront des moyens de régler leurs achats et prendre livraison de leur commande.
Les autres pourront uniquement échanger leurs jetons contre des billets de Monopoly fraichement imprimés… et dont nous pressentons qu’ils ne permettront pas d’acheter grand’chose dans le monde de l’après-quantitative easing.
Ce sera la faillite — une belle faillite « à la Madoff » –, pour la majorité des acheteurs par anticipation… et cela entraînera celle des commerçants et des producteurs de biens et services réels.
▪ La sortie du QE reste hypothétique
Vous pensez qu’il est encore trop tôt pour se préoccuper du sort qui attend toute la fausse monnaie que la Fed, la BoJ, la Banque d’Angleterre continuent d’imprimer ?
Vous êtes aussi incrédule que nous le sommes, ainsi que bon nombre de lecteurs du Wall Street Journal ? Ce dernier a publié un long article très détaillé évoquant la mise en place par la Fed d’une stratégie visant à mettre fin — graduellement et avec 1 000 précautions — à ses 85 milliards de dollars de rachats d’obligations par mois.
Cet hypothétique « plan d’allègement » de rachats d’actifs (dette d’Etat, créances hypothécaires) n’est pour l’instant ni fixé dans son ampleur et — ce qui importe plus que tout — ni au niveau du calendrier, lequel serait conditionné par l’évolution du marché du travail.
Comme il existe des dizaines de millions d’Américains « hors circuit » et complètement bannis des statistiques officielles, voilà une réserve presque inépuisable de demandeurs d’emploi potentiels (s’ils jugeaient possible de retrouver un poste). Ils devraient interdire que la barre des 7% de chômeurs soit jamais enfoncée, l’objectif de la Fed étant fixé à 6,5%.
Les partisans d’un QE éternel et illimité peuvent donc dormir sur leurs deux oreilles… jusqu’à ce que la Chine sonne — comme nous le pressentons — la fin de la partie.