▪ Les places européennes reprenaient légitimement leur souffle mercredi matin. Il le fallait bien, après l’envolée en quelque sorte historique de la veille : c’est la première hausse de plus de 3% depuis l’automne 2008 sans aucune annonce d’une banque centrale ou de hautes autorités politiques… Rien de rien, juste l’habituel troupeau de suiveurs qui se calent dans la roue de robots montés sur crémaillère.
C’était bien parti pour ressembler à une journée de consolidation entre 3 750 et 3 790 points (ex-zénith du 29 janvier)… mais non, pas moyen de digérer tranquillement le festin haussier de la veille, puisqu’une nouvelle friandise est venue réveiller l’appétit des marchés.
Impossible de ne pas redevenir résolument acheteur en découvrant un nouveau chiffre conjoncturel bien pourri — à savoir un indice IFO du moral des milieux d’affaires allemands qui chute de 2,3%, à 104,4 contre 107 attendus.
Oui vraiment, cet IFO, c’est du pain béni pour des marchés qui ne montent que grâce aux mauvaises nouvelles, lesquelles alimentent les spéculations concernant une baisse des taux de la BCE.
L’aspect le plus positif de ce chiffre, c’est qu’il confirme la convergence de la décroissance de l’économie allemande (qui se contracte rapidement depuis janvier) vers le scénario de récession qui sévit en Europe. Vivement que tous les pays de l’Eurozone s’alignent sur le standard de récession espagnol (avec en prime un système bancaire en faillite et des régions en banqueroute), ou pourquoi pas grec !
Voilà de quoi alimenter les spéculations sur un QE massif de la BCE, au nez et à la barbe de la Bundesbank qui nous plombe la croissance depuis quatre ans avec son obsession de l’orthodoxie budgétaire et des cures d’austérité pour les pays « cigales ».
▪ L’échec des banques centrales
Le CAC 40 reprend 5,2% en 48 heures ; il en résulte la plus forte hausse hebdomadaire depuis la mi-novembre 2012 et la première quinzaine d’octobre 2011 (+5,6% respectivement).
Une hausse qui surgit totalement à contre-courant des dernières statistiques économiques… et en réalité grâce à des chiffres qualifiés de « mauvais » qui enflamment les spéculations sur une initiative de la BCE (baisse de taux ou nouvelle mouture de programme OMT, des injections monétaires qui n’assument pas ce statut… afin de ne pas indisposer Angela Merkel et Jens Weidmann).
Nous admirons cette foi inébranlable des marchés dans la capacité des banques centrales à dicter leur volonté aux cycles économiques.
Cela fait 20 ans que la banque du Japon s’y casse les dents, la Fed n’a réussi qu’à engendrer bulle sur bulle dans l’économie américaine depuis 1994 (le premier krach obligataire de l’ère moderne). Quant à la politique de relance économique chinoise de 2009, elle débouche sur une montagne de créances immobilières douteuses et des faillites d’entreprises telles que le n°1 mondial des panneaux solaires.
Les marchés se moquent totalement que les politiques monétaires « quantitatives » aient échoué. Ils ne cherchent même pas à imaginer quelle forme pourrait prendre une stratégie de sortie au 21ème siècle (à quoi bon, aucun financier n’en a jamais vécue une seule depuis Bretton Woods) et Goldman Sachs mettait hier tout le monde à l’aise : « ça prendra des décennies ! »
Non, les marchés sont simplement comme des drogués en manque. Que la Fed leur offre leur shoot d’héroïne à pleine seringuées ou que la BCE — qui n’a pas une âme de dealer — leur prescrive de la méthadone (un « geste médical » donc acceptable moralement)… ce qui compte c’est de vivre le grand flash, celui qui les déconnecte du réel et les plonge dans un état d’indicible béatitude.
Leur excuse, c’est de croire que cette béatitude est contagieuse… et qu’elle va dispenser de la confiance et de la bonne humeur chez ceux qui se débattent avec une conjoncture que Wall Street s’acharne à travestir par des chiffres bidouillés avec le cynisme le plus achevé.
▪ Des statistiques obstinées
Il y a malheureusement des statistiques américaines impossibles à maquiller, comme la sévère rechute des commandes de biens durables au mois de mars : -5,7% après une hausse de 4,3% en février (contre +5,6% en première estimation, alors qu’une contraction de seulement 2,8% était attendue).
Cela ne fait que confirmer la chute du PMI manufacturier publié la veille (-2,4 points à 52) ainsi que le recul du baromètre du climat des affaires de la Fed de Richmond, publié mardi (mais très discrètement !).
Hors transports, les commandes à l’industrie américaine ont baissé de 1,4%… Mais hors défense et construction aéronautique, elles ont progressé de 0,2% (contre +0,5% anticipé).
Et comment réagit Wall Street face à ce genre de douche froide conjoncturelle ?
Par un simple haussement d’épaules.
Comment ont réagi le CAC 40 et l’Euro-Stoxx 50 ?
Par une simple accélération à la hausse qui a enterré sur place ceux qui avaient tenté un short sur la nouvelle.
Motif : l’économie américaine n’a jamais été aussi proche du redressement car tout l’argent déversé par la Fed va finir par doper la croissance… ce n’est pas possible autrement. Plus le rebond tarde, plus il va être puissant — c’est cela que les marchés intègrent en revisitant leurs records annuels ou historiques.
Le CAC 40 se retrouve ainsi à 0,5% de son zénith 2013 et devrait subir un « effet d’attraction » des 3 870.
Le but de cette remontée dantesque obtenue à coup de robots algorithmiques, c’est probablement de remettre à flot des positions longues sur les indices boursiers qui pourraient coïncider avec le changement d’échéance sur le SRD. Mais le motif officiel serait des achats d’anticipation, inspirés des flots de liquidités attendus en provenance du Japon ces prochains jours.
Nul doute que les investisseurs japonais vont s’empresser de tout payer (les actions, les Bunds, les OAT, les T-Bonds, les BTP italiens) au plus haut pour nous faire plaisir, se substituant ainsi aux « gogos » (les muppets) que Goldman Sachs se faisait fort de rameuter par millions vers Wall Street avant que les marchés ne s’écroulent.
Car c’est toujours ainsi que se terminent les hausses : quand les « idiots utiles » sont convaincus de gagner à coup sûr.