▪ La « camisole algorithmique » vient de craquer au niveau des coutures à Wall Street. Cependant, la plupart des attaches tiennent encore bon, de telle sorte que les indices américains parviennent juste à remuer les épaules… mais restent parfaitement contrôlables.
Aucun seuil technique crucial n’était menacé jeudi soir, malgré le surgissement d’une vague appréhension consécutif à la teneur du compte-rendu de la Fed publié la veille au soir.
Ceux qui suivent nos analyses sur le Téléphone rouge savent que les robots gèrent parfaitement la situation. Chaque fois qu’un indice sectoriel ou un titre emblématique de la cote (un Apple ou un Google) vient tester un seuil de rupture, un sursaut salutaire vient éviter au dernier moment que les vendeurs se rendent maîtres de la situation.
Le scénario est parfaitement rôdé, comme nous avons eu l’occasion de le constater lorsque les valeurs parapétrolières (Vallourec, Technip, CGG Veritas) ont testé leurs supports moyen terme il y a une semaine tandis que les bancaires, au top de leur forme, compensaient la lourdeur de ce trio.
Et comme par un heureux hasard, les valeurs pétrolières ont rebondi juste avant de se retrouver les deux épaules au sol… avant de s’envoler jeudi tandis que BNP Paribas, Crédit Agricole et Société Générale subissaient une vague de dégagements appuyés mais insuffisants pour effacer les gains accumulés la semaine précédente et placer ces titres dans une situation « compliquée ».
▪ Toujours les mêmes victimes
Tout est si parfaitement orchestré qu’aucun signal clairement baissier ne s’est matérialisé en dépit d’une rechute de 3% du CAC 40 en 48 heures.
Les principales victimes sont toujours les mêmes : les valeurs télécom, les utilities, les Peugeot… qui sont depuis longtemps ancrées dans une tendance négative et se font laminer avec allégresse par les vendeurs à découvert.
Ceux qui détiennent des valeurs du luxe ou des exportatrices exposées sur les émergents peuvent continuer de dormir sur leurs deux oreilles : l’heure de déboulonner les icônes n’a pas encore sonné, même si les PER donnent le vertige (la sensation la plus agréable qu’un investisseur puisse éprouver depuis novembre dernier).
Il n’en reste pas moins que Paris en a terminé au plus bas du jour jeudi (-2,29%) à 3 625 points (contre 3 641 le 31 décembre 2012), avec un gonflement significatif des volumes (quatre milliards d’euros).
Le scénario graphique a été parfaitement identique sur l’EuroStoxx 50 avec une chute de -2,3%. Toutefois, cette similitude de destin boursier n’est qu’apparente : la séance de jeudi pourrait bien faire la différence car l’EuroStoxx 50 a clairement enfoncé son plancher annuel des 2 597 points en clôturant à 2 580 points.
Il faut se garder d’en tirer des conclusions hâtives sur l’imminence d’une correction moyen terme en Europe. Le diagnostic baissier semble en effet trop évident, puisque la cassure des supports graphiques s’inscrit sur fond de cascade de mauvaises statistiques économiques.
Des chiffres déprimants dont les opérateurs se contrefichent allègrement depuis 3 mois, alors pourquoi les prendraient-ils soudain en compte dans leur politique d’investissement ?
▪ Retour à la réalité sur les marchés ?
Ceci posé, nous ne pouvons pas exclure que la « reconnexion au réel » se déroule à l’instant sous nos yeux… mais nous allons devoir en vérifier toutes les preuves, sur les marchés de changes, sur l’obligataire et à Wall Street.
Autant nous montrer franc : nous n’avons rien détecté de très probant depuis 48 heures ! Nous en resterons donc pour l’instant au stade du factuel — et nous ne vous apprendrons rien en affirmant que les chiffres publiés jeudi n’étaient pas bons.
Les investisseurs en conviennent volontiers, il n’y avait aucune raison de se réjouir de la chute inattendue de l’indice flash PMI des services en Zone euro à 47,3 contre 48,6 (idem pour le secteur manufacturier). Le recul est encore plus brutal en France où le PMI plonge vers 43,6 (contre 45 en janvier). Cela pourrait finir par impacter notre principal partenaire, l’Allemagne.
La série des mauvaises surprises ne se cantonnait pas à l’Europe. Les Etats-Unis ne sont pas épargnés, avec la chute de l’indice d’activité Philly Fed à -12,5 — alors qu’une hausse était anticipée à +1,6 (après -5,6 en janvier). Il fallait aussi compter avec le rebond des inscriptions hebdomadaires aux allocations chômage (+20 000 à 362 000).
L’indicateur avancé du Conference Board pour le mois de février ressort à +0,2% (contre +0,3% attendu). L’institut qui l’a publié jeudi qualifie la reprise américaine de « paresseuse ».
Heureusement que le Pentagone et les administrations qui gèrent les aides sociales (chômage, bons alimentaires) sont au taquet, sinon la croissance américaine ressemblerait à celle que nous subissons en France… mais c’est normal puisque nous sommes tellement paresseux aux yeux de certains fabricants de pneumatiques américains.
Il y a cependant des degrés de mauvaise foi qui finissent par nous faire sortir de nos gonds : il y a en effet des salariés qui ne travaillent que trois heures par jour chez Goodyear, mais il s’agit d’horaires mis en place par la direction elle-même dans le cadre de la gestion du chômage partiel, imputable lui-même à la chute des commandes de l’industrie automobile.
Mais bon, dans ce cas, ce sont les acheteurs de voiture qui sont paresseux… donc de toute façon, les Français sont bel bien coupables… coupables, coupables !
▪ Tempête dans un verre d’eau
L’autre grand sujet de conversation du jour n’a pas pu vous échapper : il s’agissait du compte-rendu de la réunion de la Fed, publié mercredi soir. Il laisse transparaître de sérieuses divergences de vision et de stratégie entre ses membres : nombreux sont ceux (et il se pourrait que ce soit une majorité) qui suggèrent de ralentir le rythme des rachats d’actifs (85 milliards de dollars par mois), voire de les interrompre avant 2014.
Il semble évident que le QE3 — comme le QE2 avant lui — échoue à doper la croissance… tandis qu’il engendre des bulles d’actifs, notamment sur les T-Bonds et les actions, ce que personne ne cherche plus à nier.
De nombreux commentateurs estiment cependant que ce n’est qu’une manière habile de « calmer l’euphorie de Wall Street » et que c’est bien la ligne Bernanke/Yellen qui va continuer de prévaloir. De telle sorte que la Fed n’est pas près de retirer le « bol de punch » qui enivre les marchés et alimente une bulle obligataire.
Wall Street n’aura pas eu à trembler bien longtemps puisque John Williams, le président de la Fed de San Francisco, déclarait dès jeudi après-midi que le QE3 constitue un soutien indispensable à l’économie et qu’il s’avèrera nécessaire au moins jusqu’à la fin de l’année (sous-entendu dans son intégralité).
Goldman Sachs estime qu’en cas d’exit strategy (retour graduel à une politique non « quantitative »), l’emprunt de référence à 10 ans pourrait voir son rendement bondir de 1,90%/2,00% vers 3,00%. Cela génèrerait pour la Fed des pertes potentielles énormes (imaginez une moins-value latente de 10% ou -15% sur un encours obligataire de 3 000 milliards de dollars) et mettrait à mal sa crédibilité.
Mais qui juge encore la Fed crédible alors que ses rachats de dette tous azimuts n’ont plus — et depuis très longtemps — vocation à soutenir la croissance mais à éviter tout simplement la faillite des Etats-Unis ?
Il n’est plus question de crédibilité mais de pari sur la soutenabilité de cette fuite en avant… et du moment le plus opportun pour s’éclipser discrètement de la salle de bal du Titanic afin de mettre à l’eau une chaloupe avec toutes les rations de survie nécessaires.
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Lucide !