▪ Alors que votre correspondant avait été invité vendredi après-midi sur BFM pour faire le bilan de la semaine boursière, la conversation a dévié sur le Nouvel an chinois (les festivités avaient lieu ce week-end) et la redoutable année du serpent… du point de vue boursier.
Tous les 12 ans, les investisseurs asiatiques se remémorent que le krach de 29 était survenu durant l’année du serpent. Idem pour l’éclatement de la bulle internet… les attentats du 11 septembre 2001… ainsi que le massacre de la Place Tienanmen un certain 5 juin 1989.
Parmi les événements majeurs archi-connus qui ont changé la face du monde lors d’une année du serpent, j’aurais pu ajouter Pearl Harbor en août 1941 ou l’explosion de la première bombe H soviétique en 1953, qui marqua un tournant majeur dans la Guerre froide. Plus sérieusement, vous pourrez trouver une foule d’événements cataclysmiques (tremblements de terre, conflits meurtriers) et autant d’effondrement boursiers qui n’ont aucune corrélation avec l’année du serpent.
Je me suis contenté de rappeler que le serpent est un animal qui mue pour grandir. La version positive de l’approche symbolique, c’est l’opportunité de faire peau neuve — la version négative consistant à « se dépouiller » ou à se retrouver en situation temporaire de vulnérabilité.
De nombreux lecteurs ne manqueront pas de rappeler que cette maudite bestiole nous a valu d’être chassés du Paradis. Ce ne serait pas arrivé avec un lapin, un coq, une chèvre… ou avec n’importe quel animal possédant au moins une paire de pattes et qui égaye une basse-cour.
De toute façon, nous ne sommes pas superstitieux, à La Chronique Agora (les superstitions, ça porte malheur, tout le monde le sait). Le problème, c’est que les Chinois le sont… et qu’ils sont très nombreux.
Essayez de trouver des Chinois se mariant un 4 avril ou signant l’achat d’une maison (ou n’importe quel contrat majeur) ce jour-là !
Nous pourrions citer de mémoire quelques événements très positifs associés à une année du serpent, comme la naissance d’Apple en 1977 (eh oui, 36 ans déjà), l’apparition de la minijupe en 1965, la séparation de l’église et de l’Etat en France en 1905. Tout ceci peut paraître anecdotique mais cela a bien changé l’état d’esprit général (surtout la minijupe) ou notre façon d’avoir l’air branché (le Mac ou l’iPhone).
Pour en revenir à la sphère purement financière, les Chinois considèrent que l’année du serpent corrige souvent les excès d’enthousiasme ou de prises de risque de l’année du dragon qui la précède.
Quand les marchés viennent de beaucoup monter (rappelons que Shanghai vient de reprendre plus de 20% en deux mois), les mauvais présages associés à l’arrivée du « rampant à la langue fourchue » peuvent conduire à des ventes de précaution, voire à des dégagements assez appuyés sur des actifs risqués.
▪ A Wall Street, en revanche…
Le genre de comportement et de perspective qui se situe à mille lieues de l’état d’esprit régnant à Wall Street depuis pas moins de huit mois. L’impression d’invulnérabilité de Wall Street a été renforcée vendredi par une clôture au plus haut du jour, de la semaine, des cinq dernières années et même de tous les temps pour le Russell 2000.
Les commentateurs se sont empressés d’affirmer que ces nouveaux records annuels ou historiques étaient de bon augure à la veille du week-end.
C’est toutefois un scénario devenu trop systématique depuis le 5 janvier pour refléter un « optimisme naturel » des opérateurs. C’est tout simplement la sixième semaine de hausse consécutive s’achevant exactement de la même manière parfaite.
Tout se déroule comme s’il y avait une volonté délibérée d’induire un diagnostic chartiste 100% haussier du fait de l’absence du moindre signe précurseur d’une possible consolidation en début de semaine suivante.
Les indices américains volent ainsi de record en record : +0,61% sur le Russell 2000 à 914 points… +0,4% sur le Dow Transport à 5 911 points… Quant au Nasdaq, il s’est envolé de 0,9% vendredi et retrace ainsi son zénith annuel des 3 196 points de la mi-septembre 2012. Le S&P 500 (+0,57%) inscrit également un nouveau zénith pour 2013 à 1 518 points.
Pourtant, l’environnement économique est loin d’être aussi porteur que le suggère l’hyper-euphorie des investisseurs. Cette formulation n’a rien d’exagéré car selon les derniers sondages réalisées auprès d’un panel de gérants et de communautés d’opérateurs réguliers, le consensus est haussier à… 90%.
Comment pourrait-il en être autrement ? Si Wall Street grimpe encore de 0,5% quand l’Euro-Stoxx 50 dévisse de -3% la même semaine, c’est que rien ne peut stopper le mouvement perpétuel à la hausse.
Les opérateurs new-yorkais citaient des chiffres qui allaient « dans le bons sens ». Ils insistaient sur une spectaculaire embellie de la balance commerciale américaine pour décembre, avec un déficit réduit de 10 milliards de dollars — à 38,5 milliards dans le rouge contre 46 milliards anticipés et 48,7 milliards de dollars le mois précédent.
Le net ralentissement des importations (-6,25 milliards de dollars) semble cependant traduire une véritable faiblesse de la demande intérieure. Cela tendrait à confirmer le tassement de la croissance et de la production industrielle fin 2012.
Et puis, nous aussi, nous pouvons abattre le joker « Sandy ». De nombreux ports de la Côte est ont été fermés lors du passage de l’ouragan début décembre et leur remise en état a parfois pris plus d’une semaine. Par conséquent, les services des douanes ont peut-être pris en peu de retard ; les chiffres de janvier pourraient s’avérer moins florissants — surtout avec l’arrivée des grands froids combinés avec la hausse du pétrole au-delà des 95 $ et des 97 $ le baril.
Wall Street continue pourtant à ne voir que le verre à moitié plein et se sent bien à l’abri des méfaits du serpent : la plupart des espèces des pays tempérés (où il gèle durant l’hiver) hibernent jusqu’au printemps.
Ouf, nous voilà rassurés !