▪ Vous décrire l’évolution des places boursières le lundi 21 décembre est un vrai bonheur. Nous aimons les scénarios limpides, les évolutions qui coulent de source et le sentiment que seuls la compétence et le talent des gérants font la différence.
Voici la liste des éléments qui justifient l’envol de 2% des indices boursiers hier.
Statistiques économiques : néant.
Evolution des parités de change : néant.
Détente des taux cours ou longs : néant.
Hausse en éclaireur des places asiatiques : néant.
Nouvelles mesures de soutien économique : néant.
Accord en vue d’un moratoire sur la dette de Dubaï : néant.
Anticipations positives en préouverture à Wall Street : néant.
Enquête conjoncturelle favorable de l’OCDE ou du FMI : néant
Efforts de la Chine pour corriger la sous-évaluation du yuan : néant.
Ruée sur les valeurs vertes après le fiasco de Copenhague : néant.
Soutien du Sénat américain à la réforme du système de santé de Barack Obama : néant.
Un membre de la Fed, Charles Evans, promet de nouveau des taux bas très longtemps : oui.
Rafale d’études favorables d’analystes recommandant d’acheter le marché au plus haut : oui.
Pour résumer : aucun élément d’actualité concret n’explique l’apparente euphorie de la Bourse.
Il nous apparaît difficile de croire à la réédition à la virgule près d’un discours de Charles Evans datant du 13 novembre — nous avons pris le soin de comparer le contenu de son intervention télévisée ce lundi. Il en va de même pour la 36e recommandation d’achat sur Alcoa depuis le 3 août dernier ; existe-t-il un seul analyste qui oserait seulement suggérer qu’à force de faire de la surenchère sur la base des mêmes données conjoncturelles, ce titre devient hors de prix à 16 $ ?
D’après les commentaires lus et entendus lundi soir dans les médias, le marché s’est envolé parce qu’au lendemain de ce week-end neigeux, les acheteurs seraient redevenus spontanément plus confiants dans l’avenir économique et la croissance des dividendes… Après avoir douté de tout et même du reste jusque dans l’ultime quart d’heure de la séance de vendredi ?
▪ Le plus pénible, ce n’est pas que les marchés soient livrés depuis l’automne dernier aux quatre volontés de deux ou trois institutionnels « super géants », trop gros pour ne pas tout se permettre puisqu’au pire le contribuable paiera. Non, le vrai souci c’est que les médias refusent de le voir !
Comment éviter que ceux qui manipulent les cours continuent d’agir à leur guise ? Jusqu’à quand les épargnants vont-ils supporter qu’on leur serve du « que voulez-vous, c’est le marché qui décide »… alors qu’il n’y a plus à proprement parler de marché.
Jusqu’à quand les retraités américains vont-ils tolérer que les brasseurs d’argent fassent du day trading avec l’argent de leurs impôts et revendent ensuite les titres, lorsqu’ils ont bien (trop) monté, aux fonds de retraite qui gèrent leur épargne longue ?
Le cours de Bourse n’a plus comme fonction de fixer le juste prix d’un actif. Il se doit désormais de faire exploser les profits de quelques très gros intervenants au travers de stratégies à effet de levier — lesquelles sont d’autant plus juteuses qu’il n’y a aucun lien entre le cours et les perspectives réelles de l’entreprise qui constitue le sous-jacent.
Plus il y a d’opérateurs incrédules (le plus souvent à juste titre), surpris (surtout parmi ceux qui se pensent bien informés), déboussolés, pris à contre-pied… plus le phénomène de retournement de veste se transforme en vent de panique. Peu importe que ce soit à la hausse ou à la baisse : ce qui compte, c’est l’ampleur des écarts, suite à des prises de décision réflexe dictées par une peur instinctive.
▪ En matière de prise à contre-pied des anticipations, cette séance de lundi a été une sorte de quintessence. Wall Street était attendu en hausse de 0,3% à 0,5% (au grand maximum, et en espérant que les chiffres de mardi soient corrects) ; les gains ont dépassé les 1,4% dès la mi-séance.
Le Nasdaq a pulvérisé un nouveau record annuel à 2 242 points dans le sillage d’Intel, dopé par une 55e recommandation à l’achat depuis septembre. Cela représente +77% depuis les planchers annuels de l’indice des technologiques… sans avoir jamais reperdu plus de 7% lors de rares épisodes de correction intermédiaire.
Les jeux sont faits pour la gestion collective et les hedge funds : tirer les cours maintenant ne changera pas la performance annuelle 2009. Cela peut en revanche favoriser la mise en place de stratégies baissières quand tous les opérateurs se retrouveront structurellement acheteurs le 4 janvier prochain.
Qui peut bien orchestrer une hausse de 2,05% du CAC 40 dans un volume ridicule de 2,6 milliards d’euros en ce lundi… alors qu’il suffisait, pour se constituer un portefeuille avec le meilleur prix de revient possible, de ramasser du papier à la baisse jeudi et surtout vendredi, quand il y avait une grosse contrepartie à la vente ?
Toutes les explications rationnelles d’un tel rally passent probablement à côté des vraies causes, qui n’ont sans doute pas grand-chose à voir avec un jugement de sous-évaluation de certains titres. On ne découvre pas soudainement un 21 décembre que L’Oréal, Total ou Videndi sont « en retard » après les avoir systématiquement et délibérément négligées depuis 6 mois.
Une modification du contexte macroéconomique n’explique pas davantage le scénario du jour, vu l’absence de toute variation favorable sur les changes ou les marchés de taux par exemple (pas d’arbitrage au détriment des T-Bonds ou des OAT).
En revanche, il y a peut-être une piste à creuser du côté du secteur bancaire. Il semblerait que la révision des normes comptables dans le cadre de « Bâle II » (projet à l’étude ce week-end) s’opèrerait dans un sens moins contraignant que prévu. Cela rassurerait les ennemis irréductibles de toute forme de contrôle et de limitation des marges de manoeuvre des banques.
Si vous le comprenez comme nous : les marchés se sont en fait réjouis de la réitération par Charles Evans de la promesse d’argent gratuit (qui jamais n’ira irriguer l’économie réelle puisque le remboursement du TARP permet d’échapper à la tutelle de l’Etat) et du triomphe du laisser-faire en matière de pratiques bancaires.
L’année 2010 s’annonce donc sous les meilleurs augures, tout le reste n’est que littérature !