▪ Le voyage d’Obama en Chine fait les gros titres de tous les journaux. Le Financial Times nous raconte même "ce qu’il aurait dû dire". Selon le quotidien, le président américain aurait dû dire aux Chinois qu’il n’allait pas entraîner les Etats-Unis dans une crise dans le seul but de protéger les dollars possédés par la Chine.
"Nous ne vous avons pas demandé d’amasser tous ces dollars," voilà comment Obama aurait pu le formuler. "Ce n’est pas de notre faute si le dollar baisse et que vous perdez de l’argent."
Obama aurait peut-être dû citer les paroles immortelles d’un ancien ministre des Finances américain, John Connolly : "C’est peut-être notre dollar, mais c’est votre problème."
Chez USA Today, les rédacteurs s’inquiètent surtout des droits de l’homme. Le journal doit s’imaginer quelques années en arrière, à l’époque de Woodrow Wilson ou George W. Bush, quand les Etats-Unis s’étaient noblement lancés dans une mission visant à sortir l’humanité entière du péché et de la faute. De fait, M. Obama a dit que tous les êtres humains avaient des "droits universels", y compris le droit à une presse libre. Les dirigeants chinois se sont dit que c’était exactement le genre de choses que sa population n’avait pas besoin d’entendre. Alors ils ne l’ont pas mentionné dans leurs propres journaux. Le président américain aurait tout aussi bien pu parler tout seul.
▪ La Chine est le grand sujet du jour. Dans les média du monde entier, on assiste à une effervescence en ce qui concerne la "romance", la "relation historique" entre les deux titans. Certains journalistes y voient de l’amour. D’autres de la jalousie. Et d’autres encore de la rivalité.
A La Chronique Agora, nous ne résistons pas à la romance. Donnez-nous "une cigarette avec une trace de rouge à lèvres, un ticket d’avion pour une destination romantique…", et nous voilà sur un nuage. Mais nous ne voyons pas beaucoup de romantisme dans ce lien entre les Etats-Unis et la Chine. Ce que nous voyons, ce sont ces choses qui font le plaisir des psychologues et ennuient le reste du monde — la perversion, l’interdépendance et les jeux de pouvoir.
Vu de l’extérieur, les deux géants se chamaillent au sujet de l’argent, comme n’importe quel autre couple. Les Etats-Unis accusent la Chine d’être radine, de maintenir sa devise à un niveau trop bas et de trop épargner. La Chine accuse les Etats-Unis d’être dépensiers, de détruire son propre pouvoir d’achat en dépenses absurdes et imprudentes.
"Le président américain n’a pas suivi le script", clame un des gros titres du Financial Times. Les économistes américains pensent que la Chine devrait faire monter la valeur du yuan. Cela ferait immédiatement baisser la valeur, d’un point de vue local, des milliers de milliards d’actifs en dollars que la Chine détient comme réserves. Cela rendrait également les produits de la Chine moins compétitifs sur le marché mondial.
M. Obama n’était pas censé en parler pendant son voyage. Ce serait comme de parler des problèmes d’alcoolisme de votre mari le jour de votre anniversaire de mariage ; cela gâcherait la fête.
Apparemment, Obama n’a pas pu s’en empêcher. Ou peut-être a-t-il pensé que les Américains seraient heureux de l’entendre donner son avis aux Chinois.
▪ Comment le président américain peut-il savoir à quel prix doit être le yuan ? Un dollar qui plonge est bon pour les Américains. Pourquoi ne serait-il pas bon pour les Chinois ?
Un yuan fort contribuerait à "rééquilibrer" l’économie, disent les économistes qui croient savoir de quoi ils parlent. En résumé, les Chinois produisent trop et les Américains consomment trop. Un yuan plus fort aurait d’énormes conséquences — un pouvoir d’achat plus important pour les Chinois (et donc une augmentation de la consommation en République Populaire) et une augmentation des prix des exportations chinoises (et donc une baisse de la consommation de l’autre côté du Pacifique). Avec un yuan plus fort, les économies anglo-saxonnes seraient capables de produire et de vendre plus de choses aux Chinois, et de faire pencher l’économie américaine du côté de la création et de la production de capitaux.
Les dirigeants chinois ne sont pas idiots. Ils savent qu’ils ont une population "flottante" de près de 150 000 personnes à la recherche d’un emploi. Ils savent que s’ils ne trouvent pas le moyen d’occuper ces gens, ceux-ci vont leur causer des ennuis. Des ennuis que les dirigeants chinois veulent à tout prix éviter.
▪ "Vous croyez que vous avez des problèmes," aurait pu répondre le président Hu Jintao à M. Obama". Savez-vous qu’il y a près de 200 millions de Chinois qui vivent encore avec seulement un dollar par jour ? Observons les faits. Vous êtes assis là à Washington, à discuter confortablement du montant de la sécurité sociale et des assurances chômage à donner aux Américains. Nous n’avons ni le temps ni l’argent nécessaire pour ce genre de choses. Il y a trop de Chinois. Ils ne gagnent pas assez pour se permettre le genre de cadeaux que vous offrez à votre peuple du berceau au cercueil. Nous devons les faire travailler ; il n’y a pas d’autre moyen."
"Qui plus est, nous ne voyons pas vraiment pourquoi nous devrions payer pour vos erreurs. Ce n’est pas notre économie qui a explosé. Ce n’est pas notre industrie financière qui a vendu des maisons à des gens qui ne pouvaient pas les payer. Ce ne sont pas nos consommateurs qui ont dépensé plus qu’ils n’avaient et se sont couverts de dettes."
"C’est celui qui est endetté qui est censé payer, pas le créancier ! Nous sommes le créancier !"
▪ Derrière toutes ces disputes superficielles, ces accusations et ces plaintes, il y a pourtant une relation malsaine. Il faut savoir donner et prendre. Mais les Etats-Unis ne font que prendre. La Chine ne fait que donner. Et maintenant, des deux côtés, les autorités publiques font la même erreur. Aux Etats-Unis, ils essayent désespérément d’inciter les Américains à prendre plus pour continuer sur la mauvaise voie. Ils proposent toutes sortes de choses pour pousser les consommateurs à consommer encore plus. Et leur solution à la menace de la dette, c’est de contracter encore plus de dettes.
En Chine, pendant ce temps, les autorités essayent désespérément d’inciter la population à donner plus pour produire plus. Ou, au moins pour construire plus d’usines et d’équipements avec lesquels ils pourront produire plus de biens.
Aux Etats-Unis, les dépenses des consommateurs représentent près de 70% de l’économie. En Chine, la création de capital fixe aurait engendré 70% de la croissance du pays en 2008 et pas moins de 90% au premier semestre de cette année.
C’est ça la formule d’un mariage heureux ? Sur les deux dernières années, cette relation d’interdépendance a échoué. Paul Krugman a écrit dans le New York Times que nous avions assisté au " plus gros effondrement du commerce mondial de toute l’histoire."
Mais aucune des parties n’a appris quoi que ce soit. Celui qui prend propose maintenant de prendre encore plus. Et celui qui donne propose de donner plus.
Voir un conseiller conjugal ne leur servirait à rien. Ils doivent divorcer.