▪ Le temps des commentaires pleins d’arrogance sur l’inéluctable poursuite du gonflement de la bulle boursière et obligataire semble avoir vécu. Les clones en costume à 2 000 $ venant réciter leur mantra haussier devant les caméras, le visage éclairé d’un petit sourire marquant un profond contentement de soi, vont pouvoir remballer leur discours pré-formaté car ça ne prend plus.
La partie truquée à laquelle nous assistons depuis la mi-juillet a peut-être pris fin avec la publication des trimestriels "excessivement bons" d’Amazon, Apple et Microsoft. La marge d’erreur acceptable pour un consensus d’analystes se voulant prudents a été franchie de façon aussi discrète que le mur du son.
Ils y sont allés un peu trop fort, pensant rééditer la manoeuvre qui avait si bien réussi à la mi-juillet. Ils ont voulu remplacer le "meilleur que prévu", usé jusqu’à la corde, par le "ça tient du prodige"… mais la capacité d’émerveillement du marché a ses limites.
Le mieux reste l’ennemi du bien ; les copieux gains de trading sur actions de quelques banques ont commencé à éveiller des soupçons. Elles ont gagné trop d’argent trop facilement. Pour cela, elles ont utilisé les effets de levier mais ont également mis en place une intense manipulation de l’opinion : "il y a tellement de liquidités à investir ailleurs que dans le monétaire"… "la reprise en ‘V’ est si vigoureuse que les marchés ne peuvent que continuer de grimper"…
Cela fonctionne avec les professionnels du sérail, qui répliquent le discours dominant le petit doigt sur la couture du pantalon. Mais cela n’a pas marché du tout auprès du grand public : une nouvelle bulle boursière gonflée avec l’argent de ses impôts ne saurait lui faire oublier qu’il devient chaque jour plus difficile de retrouver un travail bien rémunéré et de revendre son logement — un handicap insurmontable pour qui veut conserver sa mobilité professionnelle.
▪ Le niveau de valorisation des marchés américains est devenu si extravagant que Bill Gross, le président de PIMCO, a fait publier mardi une note dans laquelle il indique que toutes les classes d’actifs sont dangereusement surévaluées aux niveaux actuels, du fait d’un appétit excessif des investisseurs (il ne parle pas du de l’investisseur individuel) pour le risque.
Cet avertissement a été diffusé juste après que l’indice VIX ait atteint un plancher annuel de 20,5 points, ce qui n’était plus arrivé depuis la fin août 2008. Ce score reflétait un niveau de confiance et d’optimisme comparable à celui qui prévalait au milieu de l’automne 2007, lorsque Wall Street tutoyait encore ses records historiques absolus.
Le VIX a fait un bond de 12% mercredi soir alors que les indices américains plongeaient de 2% (S&P 500) à 2,65% (le Nasdaq Composite revient au niveau de son sommet du 26 août dernier). De nombreux supports techniques ont été enfoncés dans des volumes étoffés.
Les spécialistes de l’analyse graphique n’ont pas manqué de noter ces éléments et d’en tirer les conséquences. La tendance haussière est redevenue vulnérable, les vents boursiers ont peut-être mis le cap au sud (symbole de la baisse)… Ou tout du moins se sont-ils mis à tournoyer — ce qui rend de toute façon la navigation plus difficile.
La chaîne CNBC, qui n’a guère dissimulé sa satisfaction de voir Wall Street flamber ces derniers mois, s’est empressée d’allumer un contre-feu : cela fait une semaine que les indices baissent, il était grand temps de publier un sondage qui fait dire aux gérants interrogés que le S&P 500 se situera certainement 10% au-dessus des niveaux actuels d’ici la fin de l’année. Voilà de quoi se rassurer à bon compte.
▪ Puisque les acteurs interviewés sont toujours majoritairement haussiers, nous guettons à chaque fois la petite originalité qui vient à l’appui du postulat que les actions demeurent à ce jour le meilleur placement possible.
Confrontés à de mauvais chiffres immobiliers… à la baisse de confiance des ménages, qui ne se laissent pas berner par l’euphorie de Wall Street… à un rebond du dollar qui provient peut-être de l’anticipation d’un changement d’attitude de la Fed… les haussiers se sont vite passé le mot. Plutôt que de s’obstiner dans un discours artificiel qui devient inaudible, il convient de rassurer le chaland avec des arguments empreints d’un bon sens paysan.
Tout d’abord, il faut acheter le marché sur les creux (ce qui s’est toujours avéré payant depuis la mi-mars), ensuite, il ne faut pas espérer un gain immédiat — c’est réservé aux traders qui engrangent leurs bénéfices au jour le jour !
Il faut ensuite se convaincre que cette stratégie sera fructueuse d’ici le printemps prochain… c’est-à-dire aux calendes grecques du point de vue d’opérateurs dont les logiciels travaillent à la milliseconde et qui vendent par précaution à l’heure de l’apéritif pour racheter leurs positions au moment de se commander un café.
Et ces bons conseils vont peut-être fonctionner, après tout… si l’attention des investisseurs se porte sur les prévisions optimistes des entreprises les plus à l’aise en temps de crise. Notamment celles qui détiennent un quasi-monopole dans des marchés de niche ou qui bénéficient directement de l’argent des plans de relance.
▪ Il n’empêche que les vendeurs ont redoublé de virulence mercredi soir à Wall Street au lieu de se lancer dans une chasse aux bonnes affaires. C’est comme s’ils n’anticipaient rien de bon pour ce jeudi, avec au menu les chiffres hebdomadaires du chômage et la première estimation du PIB américain au troisième trimestre.
Pour être franc, nous ne parierions pas sur une mauvaise surprise : nous avons constaté, comme la plupart des économistes, la vigueur du phénomène de restockage au cours de l’été, même si la rechute du Baltic Dry Index de juin à septembre nous fait à présent douter de sa pérennité.
Nous refermons cette parenthèse pour nous intéresser au catalyseur du mouvement de liquidation survenu à Wall Street hier. Contre toute attente, les ventes de logements neufs sont ressorties en baisse de 3,6% au mois septembre, pour la première fois en six mois.
Mais il y a pire : celles du mois d’août ont été révisées à la baisse de 3%, de 529 000 à 417 000. Cela éloigne encore un peu plus le scénario d’un redémarrage rapide de l’économie américaine alors que prix de vente médian des maisons neuves stagne autour de 204 800 $, soit un recul de 12% sur un an.
▪ L’immobilier est peut-être en panne… mais l’économie américaine est sur de bons rails : vous pouvez y croire dur comme fer car c’est Timothy Geithner qui l’affirme !
Il déclare également que les Etats-Unis n’ont pas besoin d’un plan de relance… et il a doublement raison. Son pays n’a pas besoin de nouvelles dettes — et surtout, ce n’est pas le moment de provoquer la colère des Chinois en prenant une initiative qui torpillerait le dollar avant que Barack Obama ne s’envole pour Pékin.
Par ailleurs, nous savons tous où va l’argent injecté dans le système : dans la poche des banquiers qui spéculent sur la hausse des actifs financiers tandis que l’économie réelle voit le volume des prêts chuter de 10% en rythme annuel.