▪ Comment interpréter la consolidation de -2,3% de la bourse de Paris et de -1,5% de l’Eurotop 100 la semaine dernière ? Les indices plafonnaient sous leurs records annuels depuis le 17 septembre. La plupart des spécialistes invités à donner leur sentiment répètent cependant à l’envi que les liquidités sont archi-abondantes et que la majorité des gérants attendent le premier repli des actions pour se repositionner.
Vous ne manquerez pas de vous étonner de cette pléthore d’argent frais et "impatient de s’investir" stocké en coulisses en ce début d’automne. Il était pourtant réputé rare et allergique au risque lorsque les actions évoluaient 30% plus bas à la mi-juillet…
Qui a donc déniché une corne d’abondance durant l’été ? Qui a découvert le vaccin contre le manque d’audace boursier ? Tous ceux qui tentent d’emprunter pour s’acheter un logement ou d’apporter un peu d’oxygène aux finances de leur entreprise continuent de se demander de quel genre d’argent les marchés sont abreuvés.
Nous cherchons seulement à déterminer quel type de correction se prépare, sachant que rien ne distingue a priori l’éclatement d’une bulle d’un simple repli technique court terme. Le scénario de la consolidation amorcée mercredi dernier s’apparente beaucoup à celui observé du 7 au 14 août puis du 24 au 1er septembre. Cela commence par une succession de six ou sept journées hésitantes après l’inscription d’un zénith annuel, suivies d’un repli de 2,5% à 3% en une poignée de séances.
La tendance positive moyen terme n’a jusqu’à présent jamais été compromise depuis la mi-juillet. Un élément supplémentaire pourrait toutefois gripper la belle mécanique haussière : le pétrole amorce une franche correction qui invalide sa tendance ascendante moyen terme, avec une rechute de 8% sur l’ensemble de la semaine.
Le plus troublant, c’est que le dollar n’a pas profité de cette correction du baril entre 73 $ et 66 $ pour se refaire une santé face à l’euro (1,4690 contre 1,48/euro au plus bas). Il perdait encore du terrain vendredi face au yen, enfonçant le support des 90 yens.
▪ Un autre élément caractérise cette fin de mois de septembre : les opérateurs ont cessé de privilégier systématiquement les bonnes statistiques pour se préoccuper de celles qui remettent également en cause le scénario d’une reprise économique en V.
Wall Street a bien tenté — mais en vain — d’échapper à l’inscription d’une troisième séance de consolidation grâce au rebond de huit points de l’indice de confiance du Michigan (à 73,5)… mais les ventes de logements neufs n’ont progressé que de 0,7% au mois d’août aux Etats-Unis. Cela semble plutôt modeste et remet en cause le scénario d’un redémarrage rapide de l’économie américaine dans le sillage de l’immobilier.
Plus globalement, les investisseurs ont été déçus par le chiffre des commandes de biens durables aux Etats-Unis au mois d’août : -2,7% au lieu d’une hausse de 1% anticipée. Mais si la chute des commandes à l’industrie aéronautique explique la majeure partie de cette contre performances, les données mensuelles ne sont pas non plus encourageantes pour le secteur automobile (c’est une mauvaise surprise) ou les hautes technologies.
▪ Par bonheur ou par malheur, l’impact grandissant des stratégies de couverture permet à certains opérateurs de prendre tous les risques. Cela rompt le lien entre conjoncture et performances boursières : l’anticipation d’un futur radieux n’est tout au plus qu’un alibi servant à couvrir de nombreuses tentatives de manipulation des cours.
Les niveaux boursiers ne reflètent pas davantage l’évolution probable de l’économie des Etats-Unis ou de l’Europe que la cote de Salvador Dali lorsque deux richissimes collectionneurs acharnés se disputent la même toile… et il est même arrivé que l’un des enchérisseurs se déclare finalement insolvable.
A Wall Street, c’est un peu différent. Ceux qui ont les moyens de faire décoller les cours — le prétexte importe peu, la raison en sera connue après coup — peuvent compter sur les 80% de suiveurs structurels. En effet, ces gérants indiciels n’ont d’autre choix que d’alimenter la spirale haussière en réduisant leur exposition sur les produits sécuritaires. Cela leur permet de répliquer la performance globale des valeurs mobilières — catégorie qui recouvre également les Bons du Trésor et les obligations d’entreprises.
Tous les mécanismes de la formation d’une bulle sont de nouveau en place (comme de 1998 à 2000 puis de 2005 à 2007) depuis le milieu de l’été. Le pouvoir d’influencer les cours est concentré entre les mains d’un nombre d’acteurs de premier plan qui n’a jamais été aussi réduit depuis la disparition des banques d’affaires.
▪ Seul Goldman Sachs (GS) est ressorti totalement indemne — et encore plus puissante — du krach de septembre/octobre 2008, par le biais des décisions pas complètement impartiales de son ex-PDG, Henry Paulson.
Avec les résultats mirobolants de GS sur ses activités de marché, il apparaît évident que les liquidités vont s’investir en priorité dans les activités les plus spéculatives. Il y aura un recours en masse aux fameux "dérivés" qui procurent les meilleurs effets de levier.
C’est très précisément ce que le G20 s’était juré d’interdire, afin que les contribuables ne perdent pas une seconde fois leur mise (l’argent avancé aux banques) au cas où les choses tourneraient mal.
Nous ne sommes pas naïf. Nous comprenons mieux que beaucoup d’observateurs continentaux (et francophones) la collusion existant entre les grands médias américains et les sherpas de Wall Street pour imposer certaines thèses, même fallacieuses, qui favorisent le business — et donc plus d’investissements publicitaires de la part des gros annonceurs, plus de voyages tous frais payés, plus de soirées people, etc.
Une des maximes les mieux mises en pratique ces derniers mois est qu’un mensonge répété 100 fois devient une vérité. Une des variantes est la suivante : "si une personne te dit que tu es un cheval, moque-toi de lui. Si deux personnes te disent que tu es un cheval… pose-toi des questions. Si trois personnes te disent que tu es un cheval… cours t’acheter une selle". (Salvador Dali aurait adoré).
Le scénario de la reprise en "V" est une imposture économique et intellectuelle. Prétendre par ailleurs que le marché parisien n’est "pas cher" à 3 850 points — ou à 10 000 points sur le Dow Jones — suppose l’anticipation d’une croissance de 30% des profits en 2010 et 2011.
Si la flambée des dividendes n’est pas au rendez-vous (ou s’ils augmentent de 10% à 15% seulement en rythme annuel, ce qui serait déjà honorable), si l’idée qu’une reprise molle n’a jamais justifié de payer le marché plus de 15 fois les profits (et non 18 comme aujourd’hui)… une correction boursière de -20% à -25% serait un moindre mal, dans un contexte où les effets positifs des plans de relance se dissipent.